Echo des Plaines : Chapitre VII ▬ Le Retour d'Inasmir


 
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 Retrouvailles ( Terminé )

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Solan Runnarth

Solan Runnarth

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MessageSujet: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyLun 18 Avr 2011, 03:43

Solan soupira d'ennui. Depuis combien de temps attendait-il, déjà ? Une éternité, surement plus. Il faisait nuit depuis un moment maintenant et il savait que ses chances de voir quelqu'un passer par là s'amenuisaient de minute en minute, si bien qu'il finissait par se demander s'il parviendrait à gagner de quoi manger ce soir-là. Pourtant, il avait été précautionneux: il s'était tapi dans la pénombre d'une petite ruelle d'Unigol, le genre dont on ne s'étonnerait pas d'apprendre que ce soit un coupe-gorge où se balader n'est franchement pas une idée des plus lumineuses. La lumière, ou plutôt le manque de lumière, c'est ce qui avait fait faire ce choix à Solan qui, soucieux de se dissimuler aux yeux d'éventuels victimes, avaient choisis l'un des rares endroits que la lumière blanchâtre de la Lune, pourtant parfaitement ronde ce soir-là, ne parvenait pas à éclairer totalement. C'était sans compter qu'en plus l'ennui profond que lui inspirait cette attente interminable, le paria n'était jamais tout à fait à l'aise - un comble pour un bandit - quand il s'agissait de commettre un méfait ici à Unigol: qui pouvait être assez fou pour venir chasser dans le quartier même où les Inquisitrices ont élu domicile ? Lui l'était, apparemment. Pourtant, ce n'était pas dans ses habitudes et bien que les chances de tomber sur une Inquisitrice étaient tout à fait minces, il ne pouvait jamais réellement se détacher de cette peur instinctive, presque naturelle, car c'est tout en lui qui lui criait que l'endroit était mal choisi. Il fallait donc en finir, et vite.

D'un coup la pluie se mit à battre et le torrent d'eau qui s'abattait maintenant sur Cathairfal termina d'emporter les maigres espoirs qu'avait Solan d'être dans les bonnes grâces d'Eydis ce soir-là. Il fallait songer à laisser tomber, maintenant. Il resserra son capuchon, s'apprêtant à faire demi-tour. Il faillit ne pas remarquer, ne pas entendre le fracas de ses pas sur le pavé qui vint s'ajouter aux gouttes d'eau s'écrasant dans un silencieux vacarme sur les toits de chaumes et de tuiles. Il jeta un œil et, l'espace d'un instant, il entr'aperçut celle qui serait sa future victime. Une femme, pas bien impressionnante: une bénédiction, car, quand il s'agit de dépouiller quelqu'un, il vaut mieux qu'il soit sans défense. Certes, il n'en tirerait aucune gloire, mais la gloire n'était pas ce qu'il préférait se mettre sous la dent midi venu , cela tombait donc plutôt bien. Il pouvait entendre les pas se rapprocher rapidement. Elle courait. Dos au mur, il attendait encore mais c'était cette fois une attente savoureuse, dispensatrice d'un plaisir malsain peut-être, surement, du genre de celui que l'acteur éprouve avant de rentrer sur scène, un délicieux mélange de fierté et de trac, une alchimie parfaite et terriblement addictive, comme une drogue qui ferait toujours autant d'effet après vingt ans de consommation intense. Il fallait se concentrer.

Ses pas se rapprochaient, encore et encore. Elle allait trop vite, l'intercepter était trop délicat, elle risquait de l'emmener avec lui, ils pourraient chuter, elle s'enfuir. De la patience, encore un peu, juste un peu afin de rentabiliser il l'espérait une abominable attente. Elle le dépassa sans même soupçonner sa présence dans l'ombre de cette petite ruelle. Il la laissa prendre un peu d'avance puis, basculant dans la relative clarté de la rue principale, appela Madame. Elle fut l'erreur de se reconnaître, de se retourner. Quand peut-être elle comprit, Solan s'était déjà rué vers elle, l'avait déjà empêché d'appeler à l'aide, l'avait déjà entraîné dans une autre ruelle parallèle à l'autre sans jamais lui laisser la moindre chance de s'échapper. Il la plaqua violemment au mur, un peu trop peut-être. Elle était plutôt jeune. Ses yeux étaient si ronds ... c'était peut-être la peur ou bien la lame que Solan avait sortie d'un geste vif, imperceptible, et dont l'estoc effleurait maintenant le creux de ses reins. L'adrénaline ne devait pas lui faire faire d'erreur. Il prononça quelques mots, comme sus par cœur: « - Ne bouge pas. Ton argent, vite. Il ne va rien t'arriver, tu verras. » . Solan n'était pas stupide et il se doutait bien que peu importait les mots qu'il employait, cela ne changerait rien à l'horreur que devaient vivre ses victimes. Pourtant, il ne se laissait pas attendrir. Elle était plutôt jolie. Non, il devait rester concentrer. « Plus vite. »

La pluie continuait de tomber comme rarement elle tombait une fois le printemps venu. Solan était maintenant trempé des pieds à la tête et, à en voir l'allure de la pauvre fille qu'il tenait toujours fermement contre le mur de cette ruelle - qu'elle éviterait surement à l'avenir -, il devait en être pareil pour elle. L'espace d'un instant, il fut presque désolé, mais il savait bien que ce n'était qu'un semblant de remord, un sentiment comme une illusion provoqué par l'apparence de celle qui était devenue bien malgré elle sa victime. Comme pour se montrer à lui-même qu'il ne flanchait pas, Solan enfonça un peu plus sa dague contre la peau de la jeune femme, ce qui la fit tressaillir un peu plus, lui faisant comprendre par la même occasion qu'il ne faudrait pas qu'elle traîne. Ici, la lumière de la Lune était beaucoup plus présente que dans la ruelle où il s'était caché plus tôt, se reflétant particulièrement intensément dans les yeux clairs de Solan ainsi que sur son visage tout entier. Il serait facile pour elle de le reconnaître - à cette distance son capuchon n'était d'aucune utilité - si elle prêtait attention un peu à son visage, mais c'était déjà trop tard pour y remédier: la seule chose à espérer maintenant c'était que sa bourse soit pleine ou qu'elle ait sur elle un objet d'une quelconque valeur.


Dernière édition par Solan Runnarth le Mar 06 Déc 2011, 14:38, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyLun 18 Avr 2011, 19:51

La brosse glissa sur ses cheveux alors qu'elle fixait son reflet, la mine impassible, presque trop songeuse. Ses boucles ondulèrent sur ses épaules et ses lèvres formèrent un pli renfrogné. La maison se trouvait plus calme maintenant que les clients s'étaient retirés vers leur demeure respectueuse. Quelques discussions se firent percevoir dans le couloir puis se turent peu à peu. Chacune regagnait sa place. Elle laissa sa chevelure en paix et reposa l'ustensile de torture sur la tablette. Dans le miroir, ne se reflétait que son expression des mauvais jours. Ses traits étaient tirés et quelques cernes agrémentaient son regard terne. Elle ne l'avait pas convoqué depuis son arrivée. Elle s'était abstenue, peu encline à se faire surprendre à pareil tour. Un soupire lui échappa et elle se leva pour atteindre le tiroir d'une commode.

Ses doigts tremblèrent un peu quand elle se saisit d'une plume et d'une feuille. Le contact réveillait naturellement son pouvoir et un frisson d'anticipation la parcourut. La plume accrocha un peu le papier au premier trait. Il semblait peu assuré, hésitant et une inspiration fut nécessaire avant qu'elle n'ose un nouvel essai. Elle connaissait ce visage par cœur et le réaliser les yeux fermés ne relevait même plus de l'exploit, seulement son cœur s'emballait à chaque courbe tracée et l'angoisse la gagnait irrémédiablement. Ce n'était qu'une illusion. Elle dépendait de son pouvoir et parfois le trouble la saisissait et la maintenait dans l'incertitude. Ses capacités se voulaient souvent si limitées. Elle replaça une de ses mèches et tendit le portrait devant elle. Il avait toujours ce sourire mutin. Elle caressa la joue illustrée et lui insuffla sa volonté.

Una n'eut pas à se retourner pour deviner qu'il se tenait dans son dos, elle regroupa et ramena sa chevelure vers sa poitrine et dévoila son épaule sans pour autant risquer le coup d'œil qui ferait flancher ce jeu morbide. Elle n'avait qu'à imaginer les murmures pour qu'ils glissent jusqu'à elle. L'air lui manqua et elle refoula le sanglot qui se bloquait dans sa gorge. Elle porta ses doigts à son front et sa tête s'inclina alors que la douleur de sa perte refluait. Il était là. Il était là et elle perdait ce temps à le fuir. Elle secoua la tête et renifla avant de redresser son buste et de se tourner vers l'apparition. Elle était imparfaite mais ses yeux avaient la même lueur que celle de ses dernières heures. Elle essuya les larmes qui lui échappaient et un sourire naquit sur la commissure de ses lèvres dans un hoquet ravi. Il lui manquait. Terriblement.

Elle pouvait se contenter de si peu. Cela suffisait mais déjà, il s'esquivait. Il ne lui accorda pas un regard quand il disparut par la porte et son cœur se gonfla d'amertume. Rapidement, elle revêtit une lourde cape sur sa tenue de nuit et accrocha une ceinture à sa taille. Puis, elle glissa une mince bourse de cuir dans son décolleté. Elle ne savait jamais avec certitude où il la menait ainsi mais toujours, se retrouvait-elle les pieds dans l'eau. Sans plus attendre, elle franchit la devanture et se rua dans la ville à bride abattue. La pluie fouettait son visage et ses cheveux dégoulinèrent rapidement de ce surplus d'humidité. Ses lèvres bleuirent et le froid engourdit ses membres avant même que cette course effrénée ne soulève sa fatigue. Elle suivait sa trace, ne pouvait s'en détacher et ses yeux s'y ancraient obstinément. Elle ne voyait plus qu'une ombre secouée par les intempéries et ne songea pas un instant à stopper là son échappée.

Un « madame » pourtant l'interrompit. Elle ne savait même pas pourquoi elle s'était arrêtée. Enfin si, elle savait. Il se tenait immobile maintenant, prêt à patienter. La suite lui parut irréelle toutefois. A peine avait-elle compris qu'elle se retrouvait acculée contre la pierre, menacée d'une arme. Elle tressaillit au contact de la pointe et darda sur son assaillant un regard teinté de sombres menaces. Una ne craignait pas les vols à la tire, elle-même était parfois passée par le larcin, plus par jeu que par vocation d'ailleurs. Elle n'avait pas de temps pour contester, son pouvoir n'était pas éternel, la nuit non plus et l'argent lui reviendrait. Les voleurs n'étaient pas les derniers à passer dans son lit. Elle aspira un peu d'air tandis que l'inconnu appuyait davantage sa menace contre son flanc et commença à délier les lacets de son décolleté pour s'emparer du maigre butin que l'individu comptait s'approprier. Son regard l'arrêta, néanmoins.

Son accent était de Darya, moins prononcé que le sien, mais elle ne pouvait se tromper. Les îles pirates l'avaient bercé autant qu'elle. Elle y mettrait sa main au feu. Un sourire étira ses lèvres alors qu'elle détaillait son visage. Elle connaissait la cicatrice qui se distinguait sur ce menton comme elle retrouvait les traits qui l'avaient vu enfant. Ce n'était pas une intuition, ni même une révélation, c'était une chose qu'elle n'expliquait pas mais qui irradia son être d'une aura inquiétante. Elle se fit plus proche de lui et se saisit du poignet armé alors que ses doigts accrochèrent la nuque et que ses lèvres allèrent cueillir l'esgourde de ce fantôme du passé.

«  Je te connais Solan. Tu ne m'as jamais fait peur, ni même mal. »

Elle se surprit à sourire à cette affirmation et invita la lame à percer sa chair. C'était infime mais le sang coula doucement sur son flanc et aussitôt sa paume se porta à cette plaie. Il ne lui faisait pas peur, c'était une vérité mais elle se refusait à se montrer docile ou même inoffensive. Toutes les encres ne sont pas faites de noir. Dans l'atmosphère, elle dessina un rapide symbole de sang et le rouge sembla s'éclairer alors qu'une lumière aveuglante envahissait la ruelle avant de s'estomper aussi promptement. Profitant de cette intermède, Una s'était dégagée de son emprise et le scrutait durement. Une main toujours sur sa hanche abîmée. Elle avait d'autres ombres à chasser cette nuit. Y songeait-il seulement ?
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Solan Runnarth

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMer 20 Avr 2011, 00:41

Sa main était ferme. Il ne tremblait pas, n'hésitait pas. Sa dague toujours en place, Solan attendait maintenant que la jeune femme daigne enfin lui obéir. En général, les victimes sont tout d'abord choquées, si bien qu'elles sont incapables de réfléchir ou d'obéir puis, dans un second temps, elle cherche un moyen de s'échapper ou de négocier et, s'il n'y en a pas, elles finissent par collaborer. On pourrait croire qu'il suffit d'être physiquement imposant pour pouvoir menacer quelqu'un tout en étant efficace alors qu'il faut au contraire une certaine subtilité, de l'empathie même, pour comprendre celui qui devient sa victime, car,comme on ne braque pas une banque sans préparer soigneusement son plan, on n'agresse pas quelqu'un sans se préparer à toutes ses réactions potentielles. Chaque attitude, chaque geste étaient réfléchis. Par exemple, l'usage d'une arme a beaucoup plus d'impact psychologiquement que physiquement. Les mots comptaient tout autant: ayez l'air trop gentil ou désespéré et votre victime tentera de négocier ou d'appeler la garde, ayez l'air trop violent et elle cherchera par tous les moyens à se débattre, craignant que vous donner ce que vous voulez ne suffise pas à lui garantir la vie sauve. Cette femme, elle était calme, sereine. Elle ne dit pas un mot, ne protesta pas. C'en était presque déconcertant. Elle se contentait de défaire les lacets de son décolleté, là où elle cachait probablement sa bourse. Loué soit Eydis: il ne deviendrait probablement pas très riche avec ce seul butin, mais avec une cible aussi docile que celle-là, c'était de l'argent facilement gagné, trop peut-être. Cette dernière pensée pourtant sembla lui porter malheur, car, alors qu'elle s'apprêtait à lui abandonner une bourse chétive, la jeune femme s'arrêta net, fixant maintenant du regard son agresseur.

Solan fronça les sourcils, s'apprêtant à appuyer encore un peu plus la lame de sa dague contre la peau de celle qui semblait maintenant être tout à fait subjuguée par celui qu'elle observa quelques secondes durant, sans dire un mot. A quoi pouvait-elle penser ? Solan se tenait aux aguets, prêt à sévir s'il s'avérait qu'elle avait en tête de s'enfuir. Il était prêt à tout sauf à ce qu'elle s'apprêtait à faire, à dire ... Il sentit le contact mouillé de ses doigts délicats venant se poser autour de son bras, de son cou aussi. Elle l'enlaça presque. Il aurait pu paniquer, lui enfoncer sa lame dans le foie, s'enfuir à toute jambe. « Je te connais Solan. Tu ne m'as jamais fait peur, ni même mal. » Ces quelques mots, lointains, presque étrangers, ne le laissèrent interdit, capable d'aucun geste, d'aucune parole. Ces mots ils les connaissaient, ils les comprenaient, mais il ne les avait pas entendus depuis une vie entière, si bien qu'il fallut qu'il aille en déterrer la signification au plus profond de sa mémoire jusqu'à débloquer enfin cette langue jusqu'alors enfouie. Il ouvrit la bouche à plusieurs reprises sans que rien n'en sorte, des semblants de mots peut-être, comme si la langue avait autrefois été un torrent qui passait en lui et qu'aujourd'hui seules quelques flaques restaient là, dans la sécheresse ambiante. Après vingt années à Lanriel, il avait quelques fois entendu cette langue, celle de Darya, mais jamais elle ne l'avait frappé si violemment ... Peu à peu, les mots débarquèrent dans son esprit, emportés à nouveau par ce même torrent qui le secouait il y a longtemps ... Pourtant, après des années, tous ses mots n'avaient étrangement pas la même saveur, plus de ce sel dont il se souvenait parfois. En vingt ans, même le goût des mots change.

« - Tu parles la langue de Darya. » dit-il, encore hésitant.

Elle parlait la langue de son enfance, certes, mais c'était loin d'être le plus troublant ... « Je te connais Solan. » Elle l'avait dit avec une telle conviction ... Elle le connaissait vraiment ? Impossible. Ceux qu'il a connus à Darya sont morts à son départ, morts quand enfin il avait arrêté de pleurer leur perte. Qui était-elle, pour revenir à la vie ? Sous une pluie à en noyer un pirate ! Il avait pu la connaître, quand il était enfant ... Qu'importe ! Sa main flancha un peu quand il sentit son fantôme se presser d'elle-même un peu plus contre l'estoc de sa dague. Il crut s'évanouir, aveuglé par une lumière si intense qu'il aperçut l'espace d'un instant le visage resplendissant d'une fillette aux airs mutins ... Il fait chaud, la pluie tombe encore. Comment Una a-t-elle fait pour l'aveugler ainsi ? Elle s'est libérée. Una ? Una oui c'était bien ça, son prénom. Il l'entend rire ; elle le scrute durement. Il recule d'un pas, sa tête lui fait mal. Je pars pour devenir dragonnier.

« - On se connaît ? Una ... » lâcha-t-il, confus.

Il l'avait pourtant enterré avec les autres, tellement profond, tellement loin ... Jamais il ne devait avoir à l'extirper ainsi de la tombe qu'il lui avait faite, il avait mis si longtemps à le préparer, ce joli cercueil d'aveuglement enfoui là, dans les méandres de sa mémoire. Avait-elle le droit d'en revenir ainsi ? Il avait enterré tellement de larmes avec elle, beaucoup d'espoir aussi. Ça lui arrachait le cœur de la voir ainsi devant lui, c'était comme ... Sa main flancha encore, on entendit à peine le bruit de sa dague heurtant le pavé d'Unigol, avec toute cette pluie. Ses yeux se baissèrent vers la dague alors tombée. Puis, les ramenant vers Una, il soupira: « - Je suis désolé. ». Il n'avait même pas prêté attention à cette blessure qu'elle s'était elle-même infligée et il n'éprouvait pas encore de honte à l'avoir agressé ...

Mais il était désolé.

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyVen 29 Avr 2011, 21:03

Ses cils se courbaient sous le poids de gouttes de pluie alors que le froid s'insinuait sur sa peau. Sa cape s'alourdit et elle ne doutait pas de l'odeur de chien mouillé qui la suivrait une fois au sec. Ses doigts caressèrent le tissu qui recouvrait sa plaie. Eau et sang se mêlaient, cela ne lui tirait pas même un gémissement. Immobile, elle restait sur la défensive et scrutait ses réactions sans savoir s'il lui faudrait faire preuve d'ardeur, de force ou de soumission. Elle resserra le pan de sa cape sur sa personne et sa tête s'inclina un peu alors qu'elle acquiesçait à son affirmation. Il reconnaissait la langue. Elle déglutit et humecta ses lèvres devenues gelées et plus qu'humides. La pluie était douce. Le sel manquait à ce tableau tout comme les tonitruants chants pirates qui suintaient de chaque baraque. Ce quartier-ci n'était que silence et ordre.

Un tremblement la saisit et ses dents s'entrechoquèrent alors qu'elle ne savait faire taire leur claquement. Sa paume serra un peu sa hanche et ses yeux se fermèrent suite à la douleur qui l'atteignait enfin. Elle avait perdu son apparition. Elle l'avait délaissé le temps de confronter l'ancien pirate et son inattention se payait maintenant. Un gémissement lui échappa alors qu'elle malmenait toujours sa peau. C'était peu et inapproprié, mais cette souffrance qu'elle s'imposait valait celle qui meurtrissait son âme. Palpable et évolutive, elle supplantait celle plus vicieuse de son incompétence et en cela se voulait plus précieuse. Quand enfin ses ongles firent céder sa résistance et que les larmes ruisselèrent sur ses joues, elle renifla et et s'approcha de Solan à pas prudents.

L'abasourdissement se lisait sur son visage, l'incrédulité également et la culpabilité la tarauda quand elle comprit qu'elle venait d'éveiller des peines passées. Elle n'avait pas voulu le heurter, ou peut-être que si, mais pas le secouer de cette manière. Elle luttait pour son obsession, sa survie et sans doute la dose d'orgueil qui animait parfois ses actions. Lentement, elle posa ses mains sur les joues mal rasées. La barbe naissante fit courir un frisson sur sa peau et tout en cherchant les prunelles d'océan, elle chassa doucement une goutte de pluie de sur sa pommette.

«  Ne sois pas désolé. »

Una ne connaissait que trop bien les regrets, les remords et les sentiments qui altéraient les jugements, s'infiltraient et persistaient dans un quotidien. Elle ne nourrissait aucune rancœur à son égard. Les torts lui incombaient. Elle ne faisait preuve d'aucune intelligence, elle se perdait et entrainait les autres dans son sillage. Son impudence se paierait un jour; elle le savait, alors ses bras entourèrent la taille et son visage se nicha sous son cou. Que ne donnerait-elle pas pour l'étreinte d'un ? Son buste se souleva d'un souffle lourd de ressenti et son emprise sur Solan se fit un peu plus forte. Le martèlement de la pluie sur les pavés se fit plus fort sous une soudaine bourrasque et comme s'il s'était agi d'une gifle, la dessinatrice bondit en arrière et son rire léger éclata. D'un revers de main, elle effaça les vestiges de sa faiblesse. Elle se montrait si sotte. Elle négligeait leurs années de séparation comme s'il ne revenait que tout juste d'un raid de plusieurs saisons. Il n'était plus pirate, ni même marin mais voleur. Cela changeait des choses.

Sans un mot toujours, elle écarta légèrement sa cape et s'accroupit pour se saisir de la dague. Ses bas trempés engourdissait ses mollets et elle se releva légèrement chancelante. Gênée par la raideur qui trainait dans ses jambes. Son immobilité soudaine suite à sa course folle se manifestait doucement. Prenant soin de ne pas se couper, elle essuya la lame sur sa cape. Solan ne semblait pas avoir noté son imbécile excès de bravoure. Elle le lui épargnerait pour l'heure. Elle lui tendit le manche de l'arme et nota le soin avec laquelle il avait, jadis, été décoré. Elle s'interrogea à peine sur sa provenance. Peu importait l'artisan ou même le propriétaire légitime d'une arme tant que celle-ci faisait office de sursis dans un combat et que les mains la maniant se révélaient performantes.

« Tiens. Ne la perd pas. Combien souhaitais-tu ? »

Tout en l'interrogeant d'un rapide coup d'œil, elle extirpa de son corsage sa bourse et la dénoua. Elle ne possédait pas grand chose sur elle, tout juste de quoi lui offrir une chambre pour la nuit ou plusieurs tournées de boisson. Elle s'excuserait presque d'avoir gêné sa besogne si cela n'avait pas mis un frein à sa poursuite et brisé son espoir morbide. Un soupire filtra entre eux et finalement peu désireuse de marchander, elle posa la totalité de sa monnaie dans son poing. Ses mains refermèrent les doigts abîmés sur le cuir et elle se détourna pour scruter la ruelle mais aucun bruit ne laissait présager un danger imminent.

«  Ne restons pas là. »



Dernière édition par Una Syrion le Dim 29 Avr 2012, 02:35, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptySam 30 Avr 2011, 18:12

Cette nuit-là, ce n'était pas comme ce soir. Il faisait chaud et clair. Trop ? Il étouffe presque, ce n'est pas le Soleil de Darya, même la chaleur lui est devenue étrangère. Et cette lumière ... des étoiles partout, la Lune ronde comme un bonhomme ventru ... Ah, ce vieil homme gras et dégoûtant ! C'est à cause de lui qu'il se retrouvait là, à dormir sous cette lumière qui l'aveuglait presque. À la belle étoile, qu'il avait dit. Ces étoiles n'avaient rien de belles, celles de Darya étaient merveilleuses: brillantes, pas blanchâtre. Cette nuit là, même la paille qui lui servait de couche, dans cette grange où le vent pénétrait sans mal, lui semblait être la chose la plus désirable au monde, le seul luxe auquel il pouvait espérer avoir le droit dorénavant. Des loups rôdent, tu resteras dehors pour surveiller. Cette nuit-là, les loups ne vinrent pas. Peut-être Eydis eut-elle pitié de la pauvre créature chargée de protéger le bétail de ses maîtres. A la place, elle envoya d'autres monstres, plus vile encore, car ceux-là Solan n'avait pas besoin d'être enchaîné à un piquet pour ne pas pouvoir les fuir. C'était des visages, des voix et odeurs qui revenaient le hanter depuis des mois, chaque nuit, quand le travail ne lui occupait plus l'esprit. Chaque nuit il se rappelait de chacun de ceux qui étaient sa vie avant, priant qu'on les lui ramène. Ils étaient sa mère, sa famille, ses amis ... Ces nuits là, quand il était seul et qu'il ne craignait plus de se faire rosser, il pleurait beaucoup. Mais ce soir là, il était las, fatigué de tout et il savait que ses larmes ne seraient pas une défense suffisante la prochaine fois qu'il servira d'épouvantail humain, de pâture aux loups. A quoi bon s'acharner à se rappeler ces fantômes ? Il ne les reverra jamais. Il les pleura chacun leur tour, à mesure qu'il prononçait leur nom. Mais, cette fois, il ne pleura pas comme on pleure de désespoir, il pleura comme on pleure un mort. Il fallait toutes les tuer, ces images de rires et de sourire, qu'ils reposent en paix à jamais.

Una avait fait partie des premières que Solan avait assassinées de la sorte. Il avait commencé par les plus difficiles, ceux qui provoquaient à l'époque les peines les plus vives et les plus douloureuses. Mais aujourd'hui, dire pourquoi elle lui avait été si chère était presque impossible. Des bribes de souvenirs où Una est présente lui revenaient bien, et il se souvenait vaguement qu'ils avaient été très proches, autant que l'on puisse l'être à leur âge, mais comme pour cette langue dont il se souvenait mais qui était dénuée de vigueur, il avait de plus longtemps perdu l'intérêt et l'amitié que suscitait Una chez lui, quand ils étaient enfants. Pouvait-on lui en vouloir ? Lui ne s'en voulait pas, pas encore du moins. Sentir les mains d'Una sur son visage mouillé aurait pu faire renaître en lui quelques sentiments, mais peut-être étaient-ils déjà tous morts eux aussi, car il se contenta de rester impassible, à la fixer. Ne sois pas désolé. Lui en voudrait-elle, quand elle se rendra compte qu'il n'était plus le garçon qu'elle avait connu et apprécié ? Elle chassa une goutte d'eau qu'on aurait pu prendre pour une larme, mais ce n'était rien d'autre que la pluie, car tout le sel s'en était allé: il s'en était débarrassé et les larmes ne coulaient plus. Il resta abasourdi, sans rien dire ni penser vraiment. Elle se serra contre lui et, l'espace d'un instant, il retrouva une chaleur familière et pas étrangère celle-là, un sentiment depuis longtemps inconnu qu'il ressentit le temps d'une seconde. Elle l'enlaça un peu plus fort, il restait immobile. Il faillit se risquer à dire un mot ou à la serrer un peu lui aussi, mais ce n'était pas si simple et bien vite elle s'arracha à lui, sans qu'il ne s'en étonne d'ailleurs. La pluie tombait plus fort, gâchant ce rire qu'il crut d'abord n'avoir jamais entendu , finissant par lui paraître étrangement familier.

Elle faillit trébucher alors qu'elle ramassait la vieille dague que Solan venait pourtant d'utiliser contre elle. Elle l'essuya avec soin. Elle devait être d'une bonté sans limites ou peut-être l'avait-elle énormément aimé, pour qu'elle soit si peu rancunière. Elle lui demanda même de faire preuve de prudence, de ne pas la perdre. Même à ce moment, Solan ne sut vraiment s'il ressentit de la gêne ou de véritables remords. Una ne s'arrêta pas là dans ce qui apparaissait aux yeux de Solan comme une bonté presque divine, de la bêtise si cela avait été quelqu'un d'autre qu'elle à sa place. Lui proposait-elle sérieusement de lui donner sa bourse ? Il crut qu'elle se jouait de lui, ou que ... Il n'eut guère le temps d'y réfléchir davantage qu'elle refermait déjà ses doigts sur le maigre butin qu'il lui aurait été destiné si elle avait été une parfaite inconnue. Il aurait pu lui redonner et, si elle avait refusé, il aurait pu insister. Mais oui, être voleur changeait des choses et l'opportunisme qui caractérisait Solan le poussa à ranger les pièces dans sa besace, car une amitié retrouvée ne suffirait pas à le nourrir et la chaleur qu'il avait pu ressentir tout à l'heure était bien peu de chose face à celle d'un lit dans une taverne - ou dans un bordel. Dire merci aurait rajouté à sa honte - car il en était plein à ce moment -, aussi se contenta-t-il d'attendre, toujours sans un mot. Elle jeta un œil autour d'elle, elle voulait partir ... avec lui ?

« - Il y a une auberge, elle est dans le quartier. Suis-moi. »

Sans attendre qu'elle ne réponde vraiment, il se mit en route, abandonnant l'obscurité de la ruelle. Il pressa d'abord le pas puis ralentit. Il l'avait blessé ? Elle avait du mal à suivre. Ils finirent pas arriver tous deux à l'endroit où Solan voulait amener Una. Il n'était pas un client régulier de l'établissement, mais il lui était arrivé de passer quelques soirées à une de leur table. Il s'installa le plus proche de la cheminée qu'il fut possible de le faire. Ici, elle ne claquerait pas des dents et leurs vêtements sècheraient plus vite près du feu. Il enleva la cape qui lui servait aussi bien à le dissimuler dans la pénombre qu'à le protéger de la pluie.

« - Tu as faim, ou soif ? » demanda-t-il, toujours dans la langue de Darya.

Parmi les millions de questions qu'il pouvait - et voulait - lui poser, c'était la plus évidente, la plus simple surtout. Il y en aurait surement d'autres qui allaient suivre, beaucoup plus délicates, mais Solan n'avait jamais pensé à celle-là, probablement parce qu'ils pensaient n'avoir jamais à les poser.
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyDim 01 Mai 2011, 01:06

Ses pas trainent un peu alors qu'elle le suit. Les mouvements de ses jambes tirent sur sa plaie. La blessure semble irradier quand le reste de son corps est transi. L'inconfort s'installe et si la pluie ne dégoulinait pas sur son visage, peut-être se penserait-elle en sueur. Solan semble le remarquer et son allure ralentit. Son menton se relève à ce constat et elle tâche de reprendre le rythme de base plutôt que lui avouer sa faiblesse; qu'il mette son relâchement sur le compte des émotions plutôt que la coupure qui tiraille son flanc. Les soins sont probablement superficiels, elle verra cela plus tard. Sa cape bruisse derrière elle et Una inspire subitement une goulée d'air quand l'auberge lui fait face. Elle n'a pas pris garde au chemin emprunté et dans la nuit noire, la devanture lui semble inconnue, presque menaçante. Furtivement, l'idée d'être menée jusqu'à un coupe-gorge volète dans son esprit. Elle en chasse pourtant jusqu'à la moindre hypothèse et suit le voleur.

Il évolue avec suffisamment d'aisance pour que les lieux ne lui soient pas totalement inconnus. L'intérieur est sommaire mais chaleureux. L'aubergiste leur adresse un mince signe de tête tout en essuyant une chope puis poursuit sa conversation avec un homme au comptoir. Leur entrée ne semble intéresser personne d'autre. Elle se fait la sensation d'être une petite souris déboulant par maladresse dans une masse humaine. Assez discrète pour ne pas être ennuyée et tout à fait sans intérêt pour jouer à la silhouette galopante, cela la vexerait presque si ce pseudo anonymat ne lui convenait pas autant. En silence, elle prend place sur un banc. Solan en parfait vis à vis. Le ronflement de l'âtre l'apaise et elle sursaute à peine au premier craquement de bois. Sa cape goutte à ses pieds, et elle rabat vers l'arrière son ourlet pour éviter de se tremper davantage. La lourde laine reste pourtant accrochée à son cou. Elle est sortie à la va-vite. Sa tenue n'est pas respectable et sa position de catin lui permet peut-être quelques relâchements vestimentaires mais celui-ci est bien trop impudique pour s'y risquer.

«  Non. Ni faim. Ni soif . »

Elle lui adresse un mince sourire. Sa soirée s'achevait et les prémisses de l'aube ne tarderont pas. A cette heure, on l'attend dans un lit pas à courir la cité sur les talons d'un fantôme créé de toute pièce. Ses doigts s'entremêlent sur ses cuisses. Ses yeux s'abaissent et elle réajuste sa cape pour masquer son ensemble de nuit. Sa mâchoire se contracte un peu et elle esquisse une moue teintée de fatigue. De sa manche, elle tire une ou deux épingles et essore un peu sa chevelure avant de les nouer sur son crâne de manière négligée mais efficace. Au moins, ne détremperait-elle pas tout le plancher. Son visage dégagé, elle le laisse choir au creux de sa paume tandis qu'elle s'accoude à la tablée et prend le temps de détailler l'ancien pirate. Les années n'ont pas gâté son physique mais son regard semble porter l'amertume entière de Lanriel. Il lui semble que chaque habitant de la cité porte sur son visage un stigmate de ses souffrances. La rudesse de ses îles lui paraît bien douce en comparaison.

Elle ne questionne pas pourtant et se fend d'une lueur mutine alors que sa main libre dessine des arabesque contre le chêne. Des années se sont écoulées et si les questions devraient se bousculer, elle se trouve bêtement muette face à lui. Incapable de savoir par quoi débuter, ni s'il le souhaite. Peut-être s'est-elle trop imposer à lui ? Baignée de cette lumière dorée, elle se sent soudainement mise à nue. L'obscurité et les libertés qu'elle permet lui manquent atrocement une fois privée de son étreinte. Partage t-il son opinion ? Elle l'ignore. L'appréhension la gagne. Peut-être n'est-il devenu qu'un inconnu de plus. Un portrait à balayer d'un revers et des souvenirs à enterrer avec ses rires d'enfant. Elle secoue légèrement la tête et elle sent que son pendentif cogne légèrement contre sa gorge. Elle ne préfère pas songer à cette perspective. Il est trop tôt pour cela.

« Tu devrais tout de même commander une chopine pour toi, cela lui évitera de nous fiche dehors. »

Cela ne ressemble pas à la meilleure entrée en matière mais c'est une suggestion judicieuse. Son regard lorgne vers le barbu un peu bourru qui sert de patron. Sa tête s'incline un peu quand la femme en elle se manifeste et détaille sa silhouette. Peut-être l'a t-elle déjà eu dans son lit, après tout... Peut-être y viendra t-il...
Elle le suppose avenant malgré sa réserve apparente. Les physionomies les plus dures cachent parfois les caractères les plus tendres. Ils n'ont rien à prouver. Ce sont ses préférés. Finalement elle délaisse la victime de son observation attentive et revient vers Solan. Sa voix tranche bien que le ton soit cordial, il suinte d'une légère rancœur.

«  Je te pensais à Mhian Dhiaga. »

Je te pensais hors de ma portée a-t-elle envie de glisser. Je te pensais inaccessible. Je te pensais perdu et te voilà. Ici...
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Solan Runnarth

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMer 04 Mai 2011, 18:58

Solan avait l'air préoccupé. Ici, ni l'obscurité ni le bruit sourd de la pluie ne le protégeraient des questions, des pourquoi, des comment ... Il n'avait jamais voulu en faire un mystère pour ceux qui, quelques fois, avaient été amenés à lui poser des questions sur son passé: il leur répondait, omettant certains détails peut-être, mais il leur répondait toujours. Il n'avait jamais aimé jouer les héros tourmentés par un lourd passé. Ce n'avait jamais été la philosophie de Fregairt et des siens: ils dominaient la vie. On est pas des martyrs. Depuis, Solan n'avait jamais voulu se voir comme tel, et cela passait par ne pas jouer de cette enfance difficile, que ce soit en s'en plaignant sans cesse ou en la cachant à l'excès. Pourtant, il n'avait jamais vraiment réfléchis aux choses qu'il serait prêt à dire ou à taire à quelqu'un qui l'avait connu, qui s'était probablement inquiété pour lui ou qui avait peut-être même prié Eydis pour lui. À vrai dire, il ne savait même pas quoi vraiment penser de son histoire, et s'il n'en avait pas honte, avoir été vendu comme esclave alors qu'il n'avait qu'une dizaine d'années n'était pas non plus une très grande source de fierté, bien qu'aujourd'hui il avait tendance à en faire un moteur inépuisable de détermination, d'espoir aussi. Mais elle, qu'en penserait-elle ? Peut-être qu'elle s'en ficherait, en fait, peut-être que ... Se torturer ainsi ne menait nulle part, ce n'était pas dans son habitude d'être si soucieux et il le savait. Il aviserait. Après tout, c'est ce qu'il avait toujours fait de mieux.

Elle lui adresse un léger sourire auquel il n'osa répondre que par un léger pincement de lèvres, presque imperceptible. Il était gêné et ça se voyait surement. Lâcher prise n'était pas si facile, loin de là. Elle refusa sa proposition d'un verre ou d'un repas. Dire qu'il avait espéré faire s'écouler le temps plus vite, c'était raté. De toute façon, il aurait surement été obligé de payer avec l'argent qu'il lui avait dérobé, ou plutôt qu'elle lui avait abandonné alors même que l'idée de lui prendre son argent l'avait totalement quitté. Elle se sèche, réajuste sa cape, noue ses cheveux ... Il la fixe, sans un mot. Son visage, ou plutôt celui de la petite fille qu'elle avait été, lui revenaient alors qu'il étudiait les moindres détails de celui de la femme qu'elle était devenue. Quel âge avait-elle ? Elle n'était pas plus vieille que lui, c'était certain. Probablement pas beaucoup plus jeune non plus, car il n'aurait pas pu être si proche d'elle quand ils étaient enfant si cela avait été le cas. Il lui poserait la question, une de plus à toutes celles qui lui était arrivée par dizaine depuis qu'ils étaient entrés dans la taverne. Il savait qu'il ne pourrait se séparer d'elle que lorsque sa curiosité - qui pourtant tardait à s'exprimer - n'aurait totalement épanché sa soif. La soif, une drôle de sensation que de la voir surgir dès qu'Una lui en suggéra l'idée, comme s'il avait trouvé là un moyen supplémentaire, éphémère, de retarder le moment où, tout les deux, ils seraient contraints d'abandonner cette appréhension qui les tenaillaient, et de parler. Il fit signe au tenancier de lui apporter une chope de bière, ne recevant pour réponse qu'un léger signe de la tête. Son regard se posa de nouveau sur Una qui détaillait alors le patron des lieux avec une attention particulière ... Cela éveilla chez Solan un autre genre de curiosité, bien moindre il faut l'avouer, une curiosité qu'il aurait pu choisir de satisfaire afin de retard encore un peu l'inévitable, pourtant Una le priva heureusement de cette occasion, revenant brusquement à lui. La question était une affirmation, brusque elle aussi, tranchante. Pas le ton: les mots, le sens. Les « hostilités » avaient commencé. Il but une gorgée de la bière qu'on venait de lui apporter, avant de rétorquer:

« - Mhian Dhiaga ... » Il prononça ce nom comme un regret. « Je n'y ai jamais mis les pieds. On ne m'y a jamais emmené, plutôt. Tout ça, toute cette histoire de dragonnier, ça ne s'est jamais réalisés. »

Il lui était arrivé quelques fois, surtout quand il était encore chez ses maîtres, de se demander ce qu'il serait devenu si ce destin qu'on lui avait volé s'était finalement réalisé. Il avait maintes fois pensé que lorsqu'il aurait eu son fidèle dragon - qu'il avait imaginé nommer de mille façons - , il aurait volé jusqu'aux îles de Darya, traversant l'Océan, galvaniser par une fierté sans nom et une gloire sans limites. Ceux qu'il avait quittés, il les aurait retrouvés et ils l'auraient admiré. Ça n'avait finalement jamais été le cas et c'était tant pis, mais ça lui aurait surement évité de retrouver celle qui avait été une amie proche au détour d'une ruelle, alors qu'il essayait de lui voler un peu d'argent pour être en mesure de se nourrir cette nuit.

« - L'histoire est plutôt longue, tu es sûre de vouloir l'entendre ce soir ? » demanda-t-il, souriant un peu, faisant vaguement référence à l'état de fatigue avancé dont semblait souffrir Una.
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Una Syrion

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyVen 20 Mai 2011, 21:31

La chaleur du feu s'insinue lentement. Sa cuisse la plus proche se réchauffe agréablement bien que l'écart de température entre son profil droit et celui de gauche varie. Elle n'ose bouger pour le moment, de peur de perdre le sentiment que cela convient. Sa paume reste encore fraîche de la nuit et de l'extérieur mais elle est un appui parfait. Sa respiration ralentit. Tout semble parfait ainsi. Les flammes lèchent sa conscience et la douleur s'estompe avec le froid qui la possédait toute entière. Revoit-il seulement les images qui l'assaillent alors ? Dans son regard, elle perçoit toutes leurs aventures passées, quand gamins ils parcouraient des miles en quête d'un peu de distraction.

Cela tire un peu sur sa mémoire, ses lèvres esquissent un mince sourire, c'est étrange et idiot. Rien ne rappelle Darya dans cette taverne si ce n'est eux et pourtant elle pourrait sentir l'odeur des plages rien qu'en fermant les yeux. Son cœur se serre, elle tremble un peu. La réminiscence est douce pourtant. Sur sa main, elle perçoit encore les vestiges d'un après-midi ensoleillé. Ils étaient cinq ce jour-ci, cinq apprentis pirates qui avaient échappé à la cité et à la surveillance de leur aînés pour aller trainer dans une crique de leur île. La découverte de ce lieu était récente, un secret de grand frère qui s'était transmis à son cadet et qui profitait à tous.

Ils s'étaient rapidement jeter à l'eau, l'un prouvant à l'autre comme ses mouvements devenaient plus fluides, quand l'autre plongeait d'un rocher pour venir attraper le mollet de l'un. C'était une succession de défis puérils où chacun se pavanait. C'était des jeux d'enfants. Chacun se voyait capitaine et si Una ne pourrait jamais prétendre à tel titre, la vérité était tue et bientôt ils choisirent de jouer au parfait équipage. Ils avaient délaissé le rivage turquoise et ses quelques coudées à parcourir pour la plage blanche et ses reliefs prompts à dissimuler mille trésors. Le plus âgé dirigeait leur petite expédition d'une main de fer et son rictus menaçant valait ceux de leurs pères. Ils finirent pourtant par se replier au dedans d'une épave à demi-ensevelie par le sable et quelques galets. Leur imagination les poussait à croire que le navire voguait depuis plusieurs jours dans un océan où nulle terre ne semblait naître. Leur aventure se posait ainsi quand l'accident arriva.

Imprudence, insouciance, tout cela ne les effleurait pas encore quand Una avait posé sa paume sur un ancien tonneau et écarté ses doigts avec toute la confiance de son âge. Leur discours de marins chevronnés caressait l'idée de la mutinerie et puis comme il fallait passer le temps et qu'il n'était question que de reproduire les actes de leurs parents et les récits volés au coin des feux, ils s'étaient laissés porter par l'idée d'une épreuve de courage. La paume à plat sur le bois craquant, un couteau pointait donc entre les phalanges de la jeune fille à une vitesse croissante. Elle avait accepté la première, persuadée d'avoir le plus de choses à prouver. C'était la première fois qu'ils s'essayaient ainsi à une folie dangereuse. Son cœur tressautait à chaque choc et la sueur perlait le long de sa joue rosie par l'adrénaline. Si elle ne bougeait pas, ce n'était plus par courage mais à cause de la peur qui tétanisait ses muscles. A l'instant où la lame dévia et menaça son os, le souffle lui manqua et ses prunelles se fermèrent subitement. La douleur fulgurante lui arracha un cri et son rythme cardiaque menaça de faire exploser sa cage thoracique. Le sang coulait le long de sa paume mais le silence demeurait autour d'elle.

Sa paume tressaille au souvenir de la douleur. Elle n'avait pas perdu son doigt ce jour-là. Il ne subsistait de cette frayeur qu'une ligne un peu plus mate au niveau de son majeur. Solan avait toujours eu les meilleurs réflexes de la bande. Il avait dévié le coutelas avec l'adresse dont la nature l'avait doté. Son poing se contracta. Cela lui sert probablement dans sa voie actuelle. Son regard confronte celui du brigand. L'évocation de Mhian Dhiaga la ramène à cette réalité qui les blesse mieux qu'une lame. Leurs espoirs et leurs rêves se sont envolés avec les premiers signes de maturité. Son pouce caresse distraitement sa cicatrice. Il est loin le temps où les protecteurs rodaient autour de leurs âmes d'égarés. Il ne fut pas le premier à la quitter, ni le dernier... Et elle, les protégeait-elle ?

Le feu crépite et son regard se pose sur le bois de la table et ses sinuosités. Elle n'est pas certaine de vouloir l'inciter à la confidence. Elle ignore si l'idée lui est plaisante ou non. Elle craint de n'entendre qu'une affirmation qu'elle envisage petit à petit, bien que fébrilement. Peut-être est-ce elle, l'incapable de retenir et veiller sur son entourage ? Peut-être les use t-elle au point de devoir les laisser filer. Son index vient gratter sa joue puis frotter le bout de son nez, froid encore. Son menton délaisse son perchoir et elle réunit ses bras devant elle.

«  Es-tu prêt à la raconter ? Je ne manque pas de temps. »

Una manque simplement de patience et de courage. Elle n'est pas faite pour affronter la vie comme une grande. Una est minuscule et le monde, immense, la pétrifie. La boule dans sa gorge l'indispose, ses yeux se gorgent d'eau et sa main s'empare de celle de Solan. Timidement. Une infime pression avant de battre en retraite et de serrer son pan de cape pour maintenir son besoin de contact au calme. Il est juste vivant et cela vaut toutes les confidences. L'ignorance la tue.

«  Je suis contente de te revoir. »


Un sourire apparaît et elle détourne le regard comme gênée d'être prise en flagrant délit de faiblesse. Ce n'est pas digne de son sang. Ni même de son passé ou de son présent d'ailleurs. Elle inspire et un soupir de contentement chasse les preuves de sa déraison. Ses épaules s'affaissent un peu et ses doigts liés cognent légèrement sur leur support. Elle réajuste ses positions et lui fait face. Una cessera de le mettre mal à l'aise. Elle est empressée. Elle le sait et elle s'en excusera dans le futur. Du moins, si Solan le permet.

«  Crois-tu que ce « nous » ne durera que cette nuit et seulement cette nuit ? Qu'il nous faudra encore des années pour nous recroiser ? »

Sa lèvre inférieure tremble et sa bouche se pince pour masquer ce fait. La question a filtré sans qu'elle ne l'ait vraiment préparé. Lui faut-il vraiment songer à un nouvel adieu ? Refuserait-il de la revoir ? Doit-elle étouffer l'espoir qu'il éveille en elle ? Doit-elle seulement songer à ne pas avoir le droit de s'acquitter de sa dette ? La porte de la taverne s'ouvre et un courant d'air s'engouffre en même temps que des nouveaux clients. Ses cheveux volètent dans son dos alors qu'elle s'accroche désespérément au pirate. Una ne souhaite pas sa fuite et puis.. Et puis, elle attend.
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Solan Runnarth

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMar 24 Mai 2011, 21:16

Es-tu prêt à la raconter ? Je ne manque pas de temps.

Était-il prêt ? Il ne l'avait jamais été, ne l'était pas. Il ne le serait probablement jamais. La question lui paraissait d'une absurdité sans pareil. Avait-elle seulement la moindre idée de tout ce que raconter cette histoire impliquait pour lui ? Sa main vint rencontrer la sienne, elle a l'air émue - l'était-il lui ? Non, évidemment que non, elle n'en a aucune idée, elle ne sait pas, elle ne comprend pas et pourtant Solan sait qu'expliquer ne suffirait pas. Malheureusement. Il avait peur ... « peur ». Ce n'est surement pas le bon mot. Maintenant les mots l'effraient, l'énervent, car ils le fuient et se dérobent en se jouant de lui, en se jouant de cette volonté inexistante de raconter cette histoire de Mhian Dhiaga. Cette histoire de Mhian Dhiaga n'avait de toute façon jamais existé et prétendre qu'il s'agissait là d'une « longue histoire » était à vrai dire la plus cruelle des ironies: rien de ce qu'il avait vécu n'avait été plus court que cette histoire censée le lier à la cité des dragonniers. Les mots ne le fuyaient-ils pas pour mieux le servir, au final ? Ce soir une morte avait été arrachée à la terre et avec elle avait suivi une part de honte depuis longtemps enfouie. Ces promesses de gosse, il ne serait jamais en mesure de les tenir. Longtemps, cela avait été son fardeau et, le temps d'un soir ou d'un matin, alors que le temps de satisfaire la curiosité légitime d'Una était venu, il semblait que ce poids l'accablait de nouveau.

Elle, elle est contente de le revoir. Ça lui fait chaud au cœur, ça le fait sourire. Mais quoi ? Pouvaient-ils vraiment le faire, pouvaient-ils vraiment les combler, ces vingt années de deuil ? Il était maintenant saisi par une furieuse envie de s'en aller, ça lui semblait impossible. Elle avait l'air d'être encline à une certaine bienveillance envers lui mais, franchement ? Il lui avait sans doute promis monts et merveilles: il la détroussait aujourd'hui. A quoi bon être bienveillant ce soir pour le rejeter demain ? La nuit se dissiperait bien vite tout comme le peu de sympathie que la jeune femme semblait encore éprouver pour lui. Il soupirait, ne touchait plus à son verre. Et elle, l'aimerait-il encore ? Après tout, la question n'était pas insensée: il n'était pas le seul sur qui ces vingt dernières avaient agi. La différence c'était que lui n'avait aucun souvenir à ressasser ou à comparer, ou pratiquement pas ... Il y avait bien des images, des bribes de souvenirs qui lui revenaient mais à chaque fois tout ça était accompagné d'un doute implacable qui l'empêchait toujours d'être tout à fait certain qu'il ne se trompait pas de personnes, de lieux ... Il crut se souvenir d'avoir eu dans l'idée de l'épouser un jour. Un délire d'enfant, ça ne signifie pas qu'il l'a aimé, n'est-ce pas ? Ça ne signifie pas qu'il devait l'aimer à nouveau. Una sembla lire dans ses pensées:

« - Je ne sais pas. » Il aurait pu s'arrêter là car c'était sincère, pourtant: « Vingt ans c'est plutôt long et je ne suis pas devenu dragonnier. Je ne sais pas si c'est vraiment important, au final. Qui sait si l'on n’aura pas plus à se dire en une nuit que pendant les vingt années qui arrivent ? » Il semblait encore a moitié perdu dans ses réflexions: « Le passé nous lie peut-être plus que le futur. »

Il porta son regard vers sa bière qu'il n'avait plus touché depuis un moment. Il n'avait plus soif, ni d'alcool ni de ce passé qui pourtant avait, il y a quelques minutes à peine, réveillé une curiosité depuis longtemps endormie. Était-ce encore la peur qui nouait ainsi sa gorge, si bien qu'il n'avait plus ni l'envie d'abreuver le désir de savoir d'Una ni celle d'étancher le sien? Probablement et il se demandait alors si combattre cette peur était vraiment utile. Una ne doutait-elle pas elle-même de l'intérêt de ces retrouvailles ? A quoi bon renouer ce soir si l'on se séparait pour vingt encore ... Il aurait voulu qu'elle se montre plus forte, plus convaincue et il se demandait maintenant si c'était pour elle aussi difficile que pour lui. Il l'avait déjà déçu, il avait déjà failli à ses promesses d'enfant. N'était-ce pas à lui de se montrer fort ?

« - Est-ce que je suis prêt à la raconter ? Je ne crois pas. » dit-il, encore hésitant. « Mais si tu es prête à l'entendre, je peux essayer. »

Il la fixa, plongeant ses yeux dans les siens. Elle était émue, l'était-il ? Oui, surement un peu. Plus que ce qu'il ne le devinait, du moins. Oh, elle n'était plus grand-chose pour lui et Una n'était qu'un nom revenu du passé, un rire comme une blessure depuis longtemps refermée. Mais elle était la première à revenir ainsi et c'était peut-être là qu'il se trompait: son passé tentait de se diluer dans son futur et c'était à lui de choisir si c'était une bonne chose ou pas. Il sentit d'un coup cette volonté faiblarde qu'il tentait de dissimuler se transformer en quelque chose de plus imposant, de plus pressant. Il n'était toujours pas prêt et il ne réussirait surement pas à mettre les bons mots sur ce qu'il souhaitait raconter, mais il n'avait plus peur. Après tout, si Una disparaissait à nouveau, cela ne voulait pas dire que d'autres reviendraient pas après elle.

« - Ce jour où je suis parti pour Mhian Dhiaga ... j'en étais fier, n'est-ce pas ? Devenir dragonnier. » Il marqua une pause: « La traversée a été longue. Nous étions beaucoup. Nous étions tous pressentis pour rejoindre Bairr Ban. En fait, nous en étions tous très fiers. Quand on nous a fait descendre du navire, j'y croyais encore. » Il s'arrêta encore. « A-tu déjà mis les pieds dans un marché aux esclaves ? Ils n'ont rien de bien différent des autres marchés: on y vend seulement des hommes en plus des poules et des cochons. L'odeur n'en est pas moins forte, l'argent n'y a que plus de valeur. Je n'en supporte plus la vue. » Solan se sentit obliger de clarifier: « Mhian Dhiaga c'était une ruse pour que de pauvres femmes donnent leurs gosses à des esclavagistes sans qu'ils n'aient à leur donner un sou. Dès que j'ai posé le pied sur la terre ferme, j'appartenais au plus offrant. »

Il but une gorgée de sa bière. Raconter cette histoire ne le mettait pas dans une joie folle mais Solan se rendit compte que les mots faisaient moins peur quand on avait le courage de les prononcer. Il n'en avait pas dit beaucoup, juste suffisamment pour s'engager assez et ne plus pouvoir vraiment faire demi-tour. Il s'arrêtait, les mains autour de son verre, fixant encore de ses yeux bleus ceux de la jeune femme. Il faudrait qu'elle soit patiente, car il ne pouvait pas se presser.
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Una Syrion

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMar 21 Juin 2011, 22:01

Spoiler:

Ses mains se délient et elle les ramène contre elle. Son regard tombe sur sa paume et suit les veines qui se distinguent sous l'opale de sa peau. Son index tressaute sur ses genoux. Son inconfort paraît si flagrant. L'absence d'un dossier, d'un bon fauteuil, lui paraît subitement intolérable. Elle regrette le moelleux contre lequel elle pourrait se réfugier, se recroqueviller et se laisser petit à petit sombrer dans une illusoire sécurité. Sa fragilité subite l'incommode et la ramène à l'époque de sa dépendance aux autres. Ce sont des ancres et des repères qui lui semblent beaucoup plus tangibles que ses actions à elle. Cette évidence que Solan murmure l'accable. Elle ne veut pas admettre ce qu'il susurre à demi-mots.

Leur passé ne peut être balayé ainsi. Elle refuse l'idée que les souvenirs ne sont pas des données à prendre en compte pour l'avenir. Ce serait renier ce pourquoi elle se bat. Le passé façonne et dicte nombre d'actes. Elle ignore peut-être les aventures du singulier mais rien ne justifie son désir de les effacer de son esprit. Certaines choses blessent, Una le sait, le souffre quotidiennement mais cela ne suffit pas à engendrer sa résignation. Les pirates ne connaissent pas l'oubli ou peut-être le connaissent-ils trop. Leurs valeurs s'estompent face à leurs besoins. Una est un parfait exemple de cette égoïsme flibustier. Elle croit en la mémoire des gens, des traces qu'on laisse derrière nous et des cicatrices qui fleurissent à chaque nouveau coup dur. Elle a besoin de se rassurer et de se prouver que les existences ne sont pas exemptes d'utilité. Peut-il seulement l'imaginer ?

Son souffle se meurt. Elle inspire silencieusement, tord un peu ses doigts autour de sa cape. Elle s'angoisse d'un rien. Elle s'attache et en paye le prix. La leçon devrait lui être familière depuis le temps et pourtant, elle ne peut la retenir avec efficacité. Elle se sent sotte face aux reproches muets dont elle assène Solan. Elle se trouve faible et déraisonnable à s'emporter ainsi pour des actions encore inexistantes. Pendant une seconde, elle s'interroge sur la provenance de cette nouvelle rigueur qui la mène. Puis, vaincue, elle chasse cette sombre pensée. Ses pupilles se fixent sur un coin de la table. Ses sourcils se froncent un peu. Elle en oublie l'essentiel.

Sans oser se confronter aux yeux du bandit, elle acquiesce d'un hochement de tête. Elle veut connaître ce qu'il l'a tant éloigné de leurs rivages, de leurs mœurs et finalement, d'elle. Elle craint de ne pas comprendre. Ce n'est même pas une question de mauvaise volonté, elle se sent soudainement bien trop éloignée des préoccupations de ce monde. De son monde. De celui qu'elle redécouvre. Il n'est plus vraiment un fils de l'océan, ni même celui de sa mère pirate. Il est devenu un de ces fermiers dont elle ne saisit pas tous les préceptes. Il n'y est pour rien. Elle suppose qu'il ne s'agit là que de l'écoulement normal de cette vie à fouler une terre immobile, non soumise aux facéties du temps comme peuvent l'être les immensités bleutées qui l'ont porté jadis.

Ses lèvres restent obstinément closes alors que le discours prend forme et que l'histoire se dévoile. Néanmoins, son courage revient et ses yeux finissent par scruter le visage qui lui fait face. Elle admire le naturel avec lequel il évoque ses souffrances, comme si, avec le temps, elles étaient devenues trop lointaines pour l'atteindre encore. Peut-être, est-ce le cas ? Peut-être lutte t-il pour lui épargner une faiblesse qu'il ne veut confesser. L'apaisement la gagne à cette simple éventualité. Una le préfère humain. Les sentiments transparaissent encore dans ces âmes-là. Elles ne demandent qu'à être réveillées.

Un sourire de dépit se peint sur ses lèvres. Que peut-elle seulement dire ou montrer ? Elle est incapable de faire montre de pitié. L'esclavage est une chose détestable pour toute ses victimes, il est une source de revenus pour les autres. En quoi, serait-ce plus légitime que le vol, le meurtre et autres sévices dont elle est coutumière ? Elle l'ignore. Tous les pirates finissent par l'ignorer. Ce n'est pas une question de bien ou de mal, c'est un fait, une forme du destin. Certains sont mieux lotis que d'autres, elle ne peut le contester. Elle aurait aimé que Solan soit épargné, naturellement, mais ce ne sont pas des choses dont on peut décider ainsi...

Dans un silence attentif, elle déglutit. Sa tête oscille un peu de gauche à droite, sa mâchoire est contractée. L'image du petit garçon balancé dans la fosse aux lions s'impose à elle. Son propriétaire a probablement marqué sa peau pour en faire l'acquisition... Elle ferme ses poings avec force et laissent ses ongles meurtrir sa chair. Elle est détestable pour seulement y songer. Sans vraiment y prendre garde, elle se saisit de la choppe de bière, grimace face à la douleur à sa hanche que cela titille et trempe ses lèvres avant de vider quelques gorgées gourmandes. La timbale cogne ensuite contre la table qui la supporte et elle prend conscience de son geste avec effarement.

« - Pardon. Excuse-moi. »

Elle ferme les yeux. Leur plissement est significatif. De sa main, elle vient gratter l'implantation de sa chevelure, juste au-dessus de son front et repousse le gobelet vers son propriétaire. Son impulsion pourrait laisser croire que le récit la tourmente, ce serait une erreur de croire cela et pourtant, dans un sens, cela l'arrange. Cette réaction est surement plus naturelle que son invraisemblable flegme.

« - Continue, s'il te plait. »

Elle fait taire le chevrotement de sa voix et le mince filet de faiblesse qu'elle avait perçu dans sa première tirade et encourage Solan en plongeant dans son regard. Elle ne faillira pas. Elle vaut mieux que cela, non ?
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Solan Runnarth

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMer 13 Juil 2011, 17:35

Il est déjà las de cette histoire qu'il s'est déjà racontée tant de fois, dans le silence le plus parfait, dans l'amertume la plus grande ... Sa propre inconstance l'agace, cela avait toujours été le problème avec son passé: devait-il le craindre comme ces cauchemars terrifiants qui vous viennent et reviennent certaines nuits ? ou devait-il l'admirer comme un vieux soldat admire les cicatrices laissées par les lointains combats qu'il a livrés et dont il est sorti victorieux ? C'était peut-être les deux à la fois ... ou peut-être ni l'un ni l'autre. Depuis qu'il avait retrouvé Una, non, depuis toujours, il ne faisait qu'osciller entre le désir de passer à autre chose, raconter son histoire pour qu'elle ne le tourmente plus, et le sentiment que, au final, tout ça n'était qu'une entreprise aussi vaine qu'inutile. Il le sait: il n'a pas grand-chose à espérer de ses retrouvailles, ni de ses confidences ... Il n'en voulait ni pitié ni amour en échange, alors quoi ? Même cette idée qu'il devait des explications, qu'il devait se justifier lui paraissait tantôt fondée, tantôt absurde. Il avait longtemps été persuadé qu'il était le seul responsable de ce qui lui était arrivé et si, les années aidant, il s'était finalement aperçu du contraire, il ne pouvait s'empêcher parfois de retomber dans ses vieux travers, ceux qui l'avaient habité longtemps après son arrivée à Lanriel et qui le poussaient à se penser responsable de la peine qu'il avait surement causée à ceux auxquels on l'avait arraché.

Allons, il se voilait la face ... Tout ça, toute cette réflexion, ça n'étaient que son esprit tordu et incapable qui cherchait à ralentir le temps pour lui permettre de faire traîner encore les choses, retarder encore ce moment qu'il aurait préféré ne jamais voir venir où son passé le rattraperait totalement ... Una n'était plus grand-chose pour lui, mais représentait tellement ... Sans le vouloir, sans même le savoir, elle était l'incarnation de tous ceux qu'il avait connu et qu'il pensait avoir déçus. Il lui apparaissait maintenant comme primordial de réussir ses retrouvailles, quoi que cela veuille dire ... Après tout, il se disait maintenant qu'il serait peut-être amené à retrouver d'autres personnes, d'autres fantômes ... Il ne pouvait se permettre d'être tourmenté ainsi à chaque fois et d'agir comme un enfant ayant peur de l'obscurité et qui se balancerait entre cette peur irraisonnée et un courage factice, car non, affronter le noir n'avait rien d'un acte de bravoure, pas plus que de livrer son histoire, aussi douloureuse soit-elle. Il fixait maintenant la jeune femme, ne la quittant plus des yeux un instant, ça le rassurait.

« - Très bien. » Il fit l'erreur de dire ces mots dans la langue de Lanriel, il reprit dans celle de Darya: « Très bien ... Je suis resté deux années au service des mes ... » Il rechignait toujours à employer ce mot: « ... maîtres. Je t'épargne volontiers le récit de ces deux années, il n'y a rien que tu ne puisses deviner par toi-même. Je suis parvenu à m'enfuir alors qu'un incendie ravageait la ferme où j'étais retenu et, de là, je me suis retrouvé seul dans la nature, à errer sans savoir où aller. J'ai cru un temps pouvoir marcher jusqu'à l'océan ... »

Il continua son récit, parlant sans plus s'arrêter, par peur de le faire définitivement si cela arrivait, sans doute ... Il ne fut pas long pour autant, il éludait beaucoup, elle n'avait pas besoin de savoir les détails, elle s'en fichait probablement et, si ce n'était pas le cas, il y aurait un autre temps pour ça. Il se contenait d'aborder ce qu'il pensait être les grandes étapes: son errance de quatre ans, la rencontre avec Freagairt et les années qu'ils passèrent ensemble jusqu'à ce qu'il soit emprisonné et forcé de rejoindre l'armée royale ... Pour finir, il lui dit simplement que leur rencontre plus tôt dans les rues d'Unigol parlait de lui-même en ce qui concerne la façon dont il occupait ses journées depuis qu'il avait quitté son uniforme de soldat. Tout du long il s'était efforcé à paraître le plus détaché possible, presque comme s'il ne faisait que répéter une histoire qu'il n'aurait pas vécue lui-même ... Aucune parole, aucun mot qui sortait de sa bouche ne devait laisser penser qu'il en souffrait encore parfois: il n'avait besoin d'aucune pitié. Soudain, alors qu'il venait tout juste de terminer son récit, la voix du tenancier s'éleva dans toute la salle: on ferme. Le regard de Solan quitta Una pour la première fois depuis un moment pour se porter sur le patron. Il avait l'air épuisé et ses traits tirés firent apercevoir sa propre fatigue à Solan, comme un écho.

« - Tu n'es pas fatiguée ? Il faut s'en aller. »
dit-il, les yeux toujours rivés sur le comptoir.

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptySam 20 Aoû 2011, 23:06

L'air s'était alourdi. Elle ne pouvait déterminer s'il s'agissait là de son imagination, de la résignation apparente des rares clients ou de ce récit qui faisait courir un certain malaise le long de son échine. Ce n'étaient pas tant les déconvenues contées qui heurtaient la jeune femme mais davantage cette manière dont Solan accrochait son regard. Elle y dénichait un défi latent tout comme une volonté partagée de se montrer digne de l'entrevue. Et puis soudainement, tout cela cessa. Elle n'en comprit la raison qu'au détournement de son vis-à-vis. Son regard à elle tomba sur la table, ses sourcils se froncèrent légèrement et ses doigts vinrent jouer avec le revers de sa cape. Un léger tremblement l'assaillit.

L'engourdissement refluait, le froid reparaissait et les quelques gouttes qui dévalaient encore sa peau la mirent à vif. D'un coup d'œil, elle nota la mort lente des flammes. De rares chandelles maintenaient une lueur ténue dans la salle tandis que le tavernier élevait la plus virulente à hauteur du nez. Tel le papillon de nuit attiré par la lumière, elle se leva doucement, retenant la grimace que sa plaie, encore vive, engendrait. Elle contourna lentement le banc et longea la table. Ses doigts traînèrent sur le bois alors qu'elle se familiarisait avec la douleur qui tirait sur son flanc. Le tissu de ses vêtements frottait désagréablement contre sa blessure. D'une inspiration courte, elle marqua l'arrêt auprès de Solan. La pulpe de ses doigts vint masser la nuque du voleur dans un geste tendre alors qu'elle fermait subitement les yeux. Elle n'était pas fatiguée ou peut-être l'était-elle trop. Elle était lasse de courir et tout aussi incapable de s'arrêter. Pleine d'incertitudes, elle garda le silence quelques secondes et fit osciller sa tête avant de se confronter de nouveau à cette scène étrange. Légèrement, elle se pinça les lèvres et emprisonna la mâchoire carré entre ses paumes. Ainsi postée, elle le dominait de sa hauteur, pourtant, elle se sentit fléchir à scruter de nouveau ces traits connus. La mine impassible, elle repoussa les souvenirs qui l'assaillaient et lâcha sur le ton de la confidence.

«  Quand je reprendrai les flots, accompagne-moi. »

Du revers de la main, Una gratifia la joue mal rasée d'une caresse et esquissa un sourire avant de rabattre sa capuche sur son crâne. Elle inclina la tête pour saluer le patron dont l'impatience grandissait et se posta sur le seuil de la taverne. Si la pluie s'était apaisée, elle n'en restait pas moins virulente pour la région. Un instant, elle s'imagina les tempêtes qui secouaient sa terre natale et se convainquit qu'elle proposait un marché honorable à Solan. Qu'importe ce qu'ils les attendraient, il trouverait tout là où elle le mènerait. Une terre bien que vaste ne pouvait égaler les richesses qu'il accumulerait au fil des rapts maritimes. Sans compter, qu'il y retrouverait une famille, ses frères, sa vie... Qui ne rêverait pas de retrouver leur île ?

Elle chassa ses doutes. L'ourlet de sa cape ondula sous ses mouvements. La pluie tombait drue sur ses vêtements et l'humidité s'infiltra bientôt dans le coton, révélant cette odeur de chien mouillé qui égaillait toujours son père, jadis. Un véritable loup de mer ne pouvait décemment renier une telle odeur selon lui. Cette pensée la fit sourire. Elle porta sa vision sur le ciel noir qui se gorgeait des teintes timorées de l'aurore. Son illusion s'était éteinte depuis longtemps maintenant. L'idée de la raviver l'effleura et puis la main portée à sa hanche lui rappela l'évidence. Si elle ne pouvait dénicher un druide ou un guérisseur à cette heure du jour, il lui faudrait au moins se procurer un baume pour atténuer l'élancement qui handicapait son équilibre. Sans compter que le sang commençait à transparaitre sur ses doigts. Elle n'osait imaginer la tâche qui noircissait indéniablement sa tenue. Elle frémit.

Se retournant légèrement, elle interrogea le jeune homme du regard quant à la suite de leurs aventures. Il était fatigué. Il ne l'avait pas congédié mais elle répugnait à l'hypothèse de s'imposer à lui et elle craignait qu'il ne lui épargne cette vérité uniquement par politesse. L'incertitude peignit ses traits. Il s'avança finalement, probablement pressé par le commerçant. Elle s'écarta un peu du passage et s'appuya contre la poutre au-dessus de laquelle était suspendue le nom de l'enseigne. La planche de bois balançait au gré du vent dans un infime grincement.

« - Il ne manquerait plus que Freagairt déboule au coin de la rue et tu aurais gagné ta journée... Mêmes les distances les plus importantes ne semblent pas suffire pour tenir éloigné tout le monde. »

Son sourire mutin apparut et elle se gratta la joue d'un air soudainement gêné. Son attention se porta sur les pavés en face et elle déglutit péniblement. Plantée ainsi, elle se sentit terriblement sotte. Elle ne savait comment poursuivre cette drôle d'entrevue. Alors, elle choisit d'en laisser tout loisir à Solan.
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyVen 26 Aoû 2011, 23:26

Le patron râla une fois encore sur les derniers clients, rappelant qu'il avait eu une fort rude journée. Solan ne put s'empêcher de sourire, acquiesçant silencieusement. Ça avait été une rude journée pour lui aussi, mais, maintenant, c'était terminé: l'auberge dans laquelle ils avaient trouvé refuge fermait et lui s'était ouvert à Una, à force de courage factice et d'audace ridicule. Étrangement, maintenant qu'il était parvenu à surmonter le choc de ces retrouvailles et qu'il était finalement parvenu à raconter cette histoire qui lui faisait si honte, l'exploit lui semblait d'un pathétique incroyable. Il avait ce soir remporté une bataille dont il ne se vanterait probablement jamais, une bataille qu'il avait toujours fuit comme un enfant. Au fond, c'était peut-être un enfant qui s'était battu ce soir. Le troisième rappel du tenancier le fit sortir de sa réflexion, brusquement. De toute façon, l'introspection et ce qui en résultait lui avaient toujours paru être un exercice trop difficile pour lui.

Una, elle, se leva presque péniblement. Solan la suivit du regard tandis qu'elle contournait la table où ils étaient tous deux assis, venant bientôt prendre place derrière lui. Sentir ses mains sur sa nuque c'était ... surprenant. Ce geste banal était à l'image du malaise qu'il éprouvait à revoir ainsi Una après ces deux décennies passées si loin l'un de l'autre: ils avaient beau avoir été très proches, il était aujourd'hui incapable de l'appréhender, de la deviner ... Tout ça, était-ce sa réaction normale ? Il n'avait aucun moyen de cerner ses pensées pas plus que ses sentiments ... Aussi, elle lui paraissait être une parfaite inconnue dont il n'arrivait à tirer qu'une vague sensation de froideur un peu dérangeante et qui, renforcée par ce massage aussi soudain qu'inexpliqué, le mit légèrement mal à l'aise. Ceci dit, ce n'était pas désagréable, bien au contraire et, surtout, il n'était pas au bout de ses peines. En effet, son sang ne fit qu'un tour quand les mains de la jeune femme se séparèrent de sa nuque et qu'il comprit totalement le sens des quelques mots qu'elle avait balancé comme ça, comme si rien n'était ou presque, avant de disparaître. Réalisait-elle seulement ? L'idée de regagner un jour Darya, de faire tout ce chemin à nouveau, à l'envers, lui avait toujours paru être une idée si folle qu'il l'avait depuis bien longtemps mise dans un coin de sa tête, probablement enterrée avec tout ce qui concernait cette lointaine période de sa vie ... Pourquoi aurait-il voulu retourner sur ces îles ? On les avait tous deux séparés il y a tellement longtemps que Solan se convainquit totalement qu'ils étaient maintenant totalement dissociés ... Pouvait-il se prétendre enfant des îles pirates après tant d'années sans avoir ne serait-ce que fouler le sable d'une plage ? Il ne le pensait pas. Ça lui faisait mal de l'avouer, ça lui déplaisait, mais ça lui semblait être la triste vérité. Pour lui, la pluie n'était devenue que de l'eau à l'odeur gênante.

« - Bon, vous avez gagné, j'vous enferme à l'intérieur. » lâcha le patron, mécontent.

Solan se leva alors à son tour, s'excusant en même temps qu'il réglait le montant de sa commande, avant de rejoindre Una sur le pas de la porte. La pluie tombait toujours ... Ils finiraient trempés de plus belle. En attendant que cela arrive, il fallait pour Una et lui décider de ce qu'il adviendrait d'eux maintenant qu'ils se retrouvaient à nouveau dehors, à une heure où la nuit commençait déjà à n'être plus tout à fait la nuit. Il n'y avait encore aucun bruit, pourtant on sentait que cela viendrait peu à peu, et bientôt. Una s'adossa à cette poutre, regardant Solan qui comprit bien qu'elle n'était pas plus au fait de ce qu'il était convenu de dire ou de faire en de pareilles occasions ... Le problème, c'est qu'il n'en savait pas grand-chose non plus, alors il resta planté près d'elle, à sentir la pluie qui faisait se gonfler ses vêtements au fur et à mesure. Il y eut du vent, des paroles. Pas agréable, il soupira.

« - La coïncidence serait trop belle, oui ... Mais le hasard a bien fait la chose ce soir en faisant que ce soit toi que je retrouve. Freagairt, il me serait facile, je pense, de le retrouver, mais je n'en ai pas envie. » avoua Solan sans trop de peine. « - C'est bête. C'est bête de pensée que les distances tiennent éloigner ... Une distance, ça se comble. Plus facilement que le temps, en tout cas, tu ne penses pas ? »

Le silence reprit ses droits et les dernières lueurs qui sortaient encore par les fenêtres de la taverne finirent par s'éteindre tout à fait, rajoutant un peu d'obscurité à ce tableau presque dérangeant. Quelque chose semblait gêner Solan qui ne bougeait toujours pas, le regard profondément ancré dans le vague. Il avait remarqué cette démarche pénible qu'avait Una, tout comme la tache sombre qui ne faisait que se répandre maintenant.

« - Tu es blessée, pas vrai ? Je t'ai blessé. » affirma-t-il. Il s'en doutait, mais n'avait pu se résoudre à affronter cette énième honte qu'il ajoutait à la longue liste de ce qui lui faisait craindre le jugement d'Una. « Je suis désolé, je n'ai pas voulu ... » C'était faux, à ce moment, il ne la connaissait plus encore, il avait voulu lui faire mal. Il fouilla dans sa besace, tâtonnant à l'aveugle avant de relever la tête vers la jeune femme: « J'ai de quoi désinfecter et apaiser un peu ... Je te ramène chez toi, il faut être au sec. »

Il n'attendait plus qu'elle.
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptySam 27 Aoû 2011, 23:56

Una ne sait véritablement ce qu'elle en pense, adossée ainsi contre le bois. La charpente est un soutien solide quand Solan, lui, évoque des choses immatérielles. Elle aimerait croire que les distances se comblent plus aisément que le temps. Peut-être y a t-elle cru à une époque mais maintenant qu'elle avance seule, sa vision du monde est bouleversée. Chaque nuit, elle rappelle à elle l'âme d'un mort qu'elle ne peut plus atteindre. Elle caresse les vestiges du temps avec l'espoir qu'un jour, tout cela cessera pour la combler tout à fait. La crainte du temps qui passe est une chose qui ne l'affecte plus, elle, qui s'est immobilisée au jour de son absence.

«  Je ne sais pas. »


Elle murmure ces mots et accueille le silence qui suit avec soulagement. Le tremblement qui la parcourt est trop présent pour ne pas influencer sa voix. La vie l'accable tout d'un coup. Son corps s'affaisse contre la poutre et sa blessure fait naitre sur son faciès une grimace de douleur, tout juste happée par l'obscurité soudaine. Le tavernier ne pouvait choisir meilleur moment pour la masquer au regard de Solan. Pourtant l'œil aguerri du voleur ne semble s'émouvoir de cette baisse de lumière et sa remarque la fait soupirer de résignation. Il était évidemment qu'elle ne pouvait lui cacher éternellement sa blessure mais elle aurait aimé retardé cet instant. Elle ne veut pas qu'il fasse montre de compassion ou même qu'il éprouve ne serait-ce qu'une once de culpabilité. Sa propre main a conduit la lame dans sa chair. Les torts lui reviennent, non ?

Non. Solan ne voit pas les choses ainsi. Il promet de quoi la soigner et cette perspective la fait céder. Sans un mot, elle se redresse et le dévisage. Dans son regard ne figure nul coup fourré. Il ne mesure pas l'ampleur que peut prendre le mot « maison » à ses oreilles. Il ne sait pas qu'elle entrevoit des rivages plutôt qu'une chambre qui lui paraît étrangère. L'émancipation de ses côtes est un luxe dont elle ne dispose pas. Son âme est entreposée au cœur de l'océan. Elle hoche la tête, docile, et parcourt la distance qui la sépare de son toit. Le retour semble plus interminable que l'aller. Une ou deux, elle s'oblige à reprendre son souffle pour ne pas défaillir à la pression qui oppresse sa hanche. Ses minces sourires tentent de rassurer le singulier mais elle-même n'y croirait pas. La pluie est bienfaisante comme traitresse pour sa fièvre naissante. A la vue de la chaumière silencieuse, le soulagement s'empare d'elle. Elle économise sa voix et indique à Solan de la suivre d'un mouvement de tête. La porte arrière n'est que rarement barrée.

« Ne fais pas de bruit. La matrone te ferait payer une nuit. »

Elle tait la recommandation qui lui brûle les lèvres. Il ne volera rien. Elle l'espère du moins. Discrètement, elle s'avance dans le corridor, s'empare d'une chandelle entamée et les conduit vers sa chambre. L'entrée passée, elle s'empresse d'allumer les bougies dispersées aux quatre coins de la pièce. La lumière n'est pas agressive mais cela leur évitera de chuter sur les meubles. Sans davantage de préambule, elle ôte sa cape qu'elle jette négligemment sur son matelas. La tâche rougeâtre qui orne ses vêtements de nuit est large d'une main ouverte. Cette constatation lui déplait. Postée près de sa commode, elle fait dos à Solan et défait quelques lacets de ses habites. Son haut passe au-dessus de sa tête dans un affreux bruit de déchirement quand le tissu se sépare de la plaie, puis finit au sol. Le sang séché auréole le point d'impact mais la plaie n'est pas refermée pour autant. Tout en posant son bras sur sa poitrine pour en préserver la vue à son hôte, elle farfouille dans sa commode à la recherche de tissu.

« Assied-toi. Il y a du vin dans la carafe. »


Sans lui adresser un regard, Una s'évertue à bander de sa poitrine le tissu qu'elle a déniché. Elle a appris il y a peu que certains hommes de la région ne supportait pas sa nudité. La notion de pudeur varie selon les individus et elle ne sait où situer l'ancien pirate sur ce propos. Tout en se chargeant d'une cuvette d'eau et d'un linge, elle prend place sur le lit. Elle essore la toile et en tamponne délicatement sa peau rougie. Peut-être pourra t-elle juger de l'étendue des soins à apporter une fois la zone nettoyée. Sa respiration sonne plus forte alors qu'elle serre les dents près de la chair lacérée. Sa main tremble et si elle affecte le calme, une tempête bat en son sein.
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMar 30 Aoû 2011, 00:36

Un simple hochement de tête pour réponse et voila que Solan se retrouvait à suivre Una à son tour, à travers la nuit et la pluie. À travers le silence aussi. Le chemin lui sembla long, à lui aussi ... c'était peut-être l'obscurité qui lui donnait cette impression, couplée au fait qu'il ne faisait que suivre sans vraiment savoir où elle le menait ? Il essayait de se repérer, de se souvenir d'une façade ou d'une enseigne qu'il aurait déjà vu, histoire d'avoir une vague idée d'où ils allaient, mais l'obscurité semblait avoir complètement transformé les rues de Cathairfal et il ne parvenait pas à reconnaître quoi que ce soit. Après quelques minutes à marcher comme ça sous la pluie, Una s'arrêta enfin: cet endroit-là, par contre, il le reconnaissait. L'histoire d'un court instant, quelques secondes en fait, l'idée que cela puisse être une blague de mauvais goût lui traversa l'esprit, mais il comprit rapidement que ça n'avait rien d'une farce. À vrai dire, le fait qu'Una l'invita à la suivre tandis qu'elle s'engouffrait dans un petit chemin dérobé menant à la porte arrière de l'établissement ne laissa plus vraiment de place au doute ... Ainsi, Una est une prostituée.

À son tour, il hocha simplement la tête quand elle lui demanda de ne pas faire de bruit. Rien que la perspective de devoir payer une nuit dans un bordel alors qu'il n'avait aucunement l'idée de toucher celle qui l'accompagnait suffisait à le convaincre d'être le plus discret possible. Le couloir était sombre malgré la faible lueur du chandelier, mais ils parvinrent jusqu'à la chambre d'Una sans faire le moindre bruit. Au moins, c'était déjà un problème d'éviter. À peine fut-elle entrée que la jeune femme s'empressa de se débarrasser de sa cape, laissant apparaître cette fâche sombre à travers son vêtement. Ce vêtement, elle ne tarda pas à l'enlever à son tour, révélant cette fois une partie de sa nudité qu'elle dissimula aussitôt à la vue du paria, bien qu'elle soit dos à lui. Solan ne put s'empêcher d'avoir un sourire au coin des lèvres: s'il comprenait la pudeur d'Una, il avait néanmoins vu assez de femmes nues pour que la simple image de la poitrine de son ancienne amie ne suffise pas à lui donner quelques arrières-pensées que ce soit ... En attendant, Solan restait planté au milieu de la pièce, à fixer cette entaille qu'il avait lui-même infligée à Una. Ça devait lui faire un mal de chien. Elle aurait peut-être même une légère marque, au moins pendant quelque temps. Il s'en voulait surement un peu, mais il fallait être honnête: il avait fait subir bien pire pour bien moins, alors ... Plus que des remords, il éprouvait surtout un peu de honte, car si quelques-unes de ses victimes avaient effectivement beaucoup plus à lui reprocher, il n'avait jamais eu à rester auprès d'elles une fois son forfait accompli. Enfin, de là à dire qu'il y réfléchirait la prochaine fois qu'il pointera sa dague sur quelqu'un ...

La voix d'Una lui fit relever les yeux, ces derniers se posant ensuite sur la table qu'elle lui indiqua. Il n'avait ni soif ni l'envie de boire, plus maintenant. Il se contenta de ne rien dire, attendant que la dessinatrice ne parvienne finalement à bander cette poitrine qu'il ne saurait voir. Il l'observa quelques secondes et finit par la rejoindre, s'asseyant sur le lit, auprès d'elle. Il la regarde faire et la voir souffrir ne lui plaît pas. Son regard s’assombrit: même nettoyée, ce n'est pas joli à voir. Solan s'empara de sa besace, farfouillant à son tour dans le bordel sans nom qui s'était installé à l'intérieur ... Il jura légèrement par impatience, juste avant de mettre là main sur ce qu'il cherchait alors: un pot qui, même fermé, parvenait à sentir mauvais. Il l'ouvrit et l'odeur ne fit que redoubler d'intensité, faisant grimacer Solan.

« - C'est un baume. Ça ne sent pas bon, mais ça a le mérite d'être efficace. » dit-il en montrant le petit récipient à Una. « J'en ai déjà utilisé beaucoup, il ne m'en reste que peu. Enfin, ça devrait suffire à désinfecter la plaie et à calmer la douleur pour la nuit. » reprit-il, hésitant un peu à prendre l'initiative, avant d'ajouter: « Je vais l'appliquer, laisse toi faire. Oh et ... ça risque de piquer. »

À peine ces mots furent envolés que Solan prit un morceau de cette crème à l'odeur si particulière sur le bout de son index, venant ensuite le déposer doucement sur les bords de la plaie qui, semble-t-il, ne saignait plus maintenant. Il porta son regard vers celui d'Una, lui donnant un léger sourire qui annonçait sournoisement la couleur ... ou plutôt la douleur qui suivit quand il étala le baume sur toute la blessure. Elle avait probablement connu pire, mais Solan savait que cela restait une sensation fortement désagréable. Il laissa passer quelques secondes, le temps que la douleur se dissipe, et reprit:

« - Voilà, c'est tout ce que je peux faire. Dans quelques minutes, la douleur va s'amenuiser, elle sera toujours là, mais comme endormie. » dit-il en se levant du lit, se déplaçant jusqu'à un bureau proche de là, y déposant le petit pot. « Tiens, je te laisse le peu qu'il reste. Tu en auras assez pour demain matin, mais tu devras quand même aller voir un guérisseur. Encore désolé. » finit-il par dire, sincère.

On dit que la curiosité est un vilain défaut ... c'est surement vrai. Solan n'était pas d'un naturel curieux et, s'il avait sa part d'indiscrétion comme tout un chacun, il préférait la plupart du temps ne pas trop poser de question, question d'habitude. Malgré ça, il ne put s'empêcher de parcourir le bureau d'un œil innocent, dérivant comme ça, sans vraiment rien chercher de particulier, jusqu'à ce que son regard tombe sur une feuille, un dessin, posé face au miroir. Le portrait d'un homme, fait à la plume. Solan ne put s'empêcher de remarquer la justesse de l'ouvrage tout comme il ne put s'empêcher de dire d'exprimer ses pensées à voix haute, alors même que son regard ne décrochait pas de cet intrigant bout de papier:

« - C'est toi qui as dessiné ça ? C'est réussi, qui est-ce ? » dit-il inconsciemment, avant que son attention ne se reporte sur Una. « Excuse-moi, ça ne me regarde peut-être pas. Veux-tu que je te laisse, maintenant ? Le matin arrive. »

Il se déplaçait jusqu'à la fenêtre, regardant la nuit dont la robe sombre était déjà déchirée par les premières lueurs orangées. La fatigue ne se faisait pas encore vraiment sentir ... Il lui semble qu'il est moins sensible au manque de sommeil que la plupart des gens. L'habitude sans doute, encore une fois.
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMer 21 Sep 2011, 19:15

Sa peau rougie lui semble à vif au moindre effleurement, il y a dans l'air une morsure féroce. Ses dents pincent la peau intérieure de ses lèvres. Cela n'apaise pas la douleur mais retient avec efficacité ses geignements. La faiblesse face au regard d'autrui n'a jamais été tolérable à ses yeux, son statut de femme n'y change rien. L'orgueil la maintient consciente. A l'approche de Solan, ses prunelles agrandies le dévisage avec circonspection. S'abandonner aux bons soins de son assaillant rend la scène étrange et pourtant elle cède à sa bienveillance. Elle en ignore la raison. Peut-être leur lien passé suffit-il à la rasséréner ou peut-être n'est-ce-que sa fatigue qui la laisse si docile ? Silencieuse, elle fixe les mains qui s'affairent dans le sac. Elles paraissent rêches mais livides. Le soleil ne semble pas avoir eu d'emprise sur elles. Cela soulève sa méfiance et puis le pot s'entrouvre. L'odeur lui froncer le nez et éveille en elle quelques réminiscences. Tandis que Solan commence à l'appliquer sur sa plaie, elle s'empare de l'onguent et le porte auprès de ses narines où elle le renifle prudemment. Sitôt fait, elle l'éloigne prestement, ses yeux clos et la bouche crispé par un dégout évident. Elle connait cette odeur tout en étant incapable de la nommer.

Elle déglutit, la chair de poule parsème sa peau opale mais aucune autre manifestation physique ne signale le désagrément de la pommade contre son flanc. Una se sent étrangement détachée de tout. Parfois, il lui semble que son esprit se détache de son corps et observe d'un œil extérieur les déconvenues d'une jeune femme aux traits tirés et à la mine déconfite. La vie lui semble alors plus abordable. Ces intermèdes ne s'éternisent guère toutefois et il lui faut bien souvent reprendre le contrôle de ce vaisseau sans voile, qui se traine et se prélasse dans des faux-semblants. Les soins achevés, elle reprend pied et remercie d'une voix éraillée, de façon quasi-automatique. Elle suit des yeux la carrure qui déambule dans son antre avant d'inspecter le travail fourni. Sa peau semble luire sous la faveur des chandelles et le contact est gras contre la pulpe de ses doigts. L'effet ne tardera pas. Solan le lui a certifié. Elle le croit. Le peu qu'il reste indique une utilisation fréquente. Apparemment, le métier de voleur n'est pas si exempt de dangers qu'on pourrait le croire. La potence n'est pas le seul mal qui guette le responsable de larcins. Sous la couche de vêtements qui le recouvre, elle tente de discerner les cicatrices qui ornent sa silhouette. Elle tente de deviner qu'elle vilaine blessure n'a su tout à fait se résorber mais n'en découle que l'ignorance. S'il n'est plus tout à fait intact, au moins Solan préserve t-il bien ses lacunes. Contrairement à elle.

A l'évocation du portrait, son corps s'est raidi et sa mâchoire contractée. Ses doigts se resserrent autour du drap du lit et y impriment leurs marques. Elle tremble et hurle intérieurement de la douleur qui la transperce à nouveau. Elle se lève. Elle recherche du regard des objets à replacer ou quelques mètres à avaler pourvu que cela dissimule son trouble et étouffe sa nervosité mais rien n'y fait. Elle reste immobile, reprend son souffle et passe une main, bien trop lourde selon son impression, dans ses cheveux. Un moment, il lui prend l'envie de fondre sur le bout de papier et de le réduire en miettes dans l'espoir futile d'en l'effacer de la mémoire de Solan. Risible. Elle croise le regard crayonné et ses résolutions meurent.

« - Galàan. »

Un souffle infime qui lui paraît s'éterniser comme pour mieux lui asséner son absence. La sonorité du prénom lui revient aussi douce qu'autrefois. A ne plus le dire aussi ouvertement qu'avant, elle en avait perdu la saveur. Ce simple prénom suffit à lui rappeler les forces de celui qui fut son époux comme l'âcreté de sa disparition subite. Il était si essentiel à sa vie qu'elle ne peut croire qu'il n'est pu marquer quiconque. Néanmoins, un doute l'étreint à cette évocation. Âgé de quelques années de plus qu'elle, il voguait déjà en tant que mousse quand elle apprenait tout juste à escalader une falaise ou même à nager lors de ses jeux d'enfant. Il n'était pas un inconnu pour sa clique et elle mais cela ne faisait pas de lui un compagnon d'infortune. Comment Solan pourrait-il se souvenir de lui quand il prit tant de soins à oublier chacun de ses plus proches amis ? Elle referme ses bras autour de sa poitrine et, tout en fixant un point obscur dans la pièce, précise aussi détachée que l'accablement le lui permet.

«  - Mon mari. Il était timonier. » Elle sourit au souvenir qui refluait alors. « - Il est mort.  Je peux le dessiner les yeux fermés.»

A chaque phrase avait suivi un silence conséquent comme s'il lui fallait un effort considérable pour ne seulement que l'évoquer. C'était sans nul doute le cas mais le vérifier ainsi lui déplut. Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille et rejoint pesamment la fenêtre où se tient Solan. Sa main se pose sur l'avant-bras du singulier et s'efface presque aussitôt. Sa gorge est sèche.

« - Veux-tu savoir autre chose ? »

Le ton ne souffre d'aucun reproche. Le moment paraît idéal pour les confidences d'un passé commun. La plus dure est passée.
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Solan Runnarth

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMar 27 Sep 2011, 22:43

Lui avait-il fait mal encore ? Malgré tous les efforts qu'elle semblait déployer pour garder son calme, il était difficile de ne pas voir le trouble qui s'était emparé d'elle au moment même où il l'avait questionné au sujet de ce dessin. Quel idiot il faisait ! Il était bien avancé maintenant, avec sa curiosité mal placée qui semblait mettre Una dans un profond embarras. Dire qu'il venait à peine de se racheter - partiellement qui plus est - de la première blessure qu'il lui avait infligée ! Il l'observait, gêné lui aussi, qui tentait par bien des manières de se contenir de quelques sentiments que ce soit, Solan espérant avec égoïsme peut-être que ce n'était pas de la colère contre lui qu'elle retenait ainsi ... Il la devinait troublée et, en plus de l'inquiéter, ça le faisait imaginer un tas de scénarios possibles et imaginables sur l'identité de cet homme qui comptait manifestement assez à ses yeux pour qu'elle en garde le portrait.

Son nom claqua, coupant net ses efforts inutiles d'imagination. Galàan. Una sembla replonger à nouveau dans cette lutte intérieure qui l'animait alors. Lui, il sondait sa mémoire en si piteux état pour voir si ce prénom résonnait quelque part en lui, enfoui peut-être avec tous les autres tués, oubliés, comme l'était Una il y a quelques heures à peine ... À force de creuser, il se souvint bien, ou il crut en tout cas se souvenir d'un Galàan. N'était-ce pas un artifice né de ses souvenirs détraqués qui venait simplement de coller le nom que venait de lui indiquer Una sur le portrait qu'il venait d’apercevoir ? Bien trop effarouché par ses fautes successives, Solan préféra ne pas se risquer, ne rien ajouter. Cela valait mieux, après tout, que de dire n'importe quoi. Una souffla quelques mots encore, avec beaucoup de peine, Solan le sentait. La voir ainsi le rendit mal à l'aise: s'il n'était pas doué pour se confier, il semblait qu'il l'était encore moins pour entendre les confidences des autres et, s'il n'avait écouté que son égoïsme, il l'aurait sans doute prié de ne pas en dire plus sur ce défunt mari qui constituait, il s'en rendait compte, une plaie béante bien plus profonde que celle qu'il lui avait infligé avec sa dague, une plaie qu'aucun baume ne pouvait guérir, une plaie à même l'âme de la jeune femme.

« - Je ... je suis tellement désolé. » dit-il sincèrement, surtout désolé d'avoir éveillé le souvenir de cet homme qui, manifestement, était toujours très vivace en elle.

Il ne sut que dire de plus. Non, il ne voulut rien dire de plus, il en avait déjà trop fait. Elle, elle semblait être parvenue à retrouver un semblant d'apaisement, peu à peu. Elle le rejoignit près de la fenêtre. Il sentit sa main sur son bras, ce qui attira son regard qui se posa sur elle. Il avait honte, quelque part. Rattrapé par ses angoisses d'enfant, il se dit qu'il aura été un ami bien indigne, à avoir disparu ... Il ne sait rien des circonstances de la mort de ce Galàan qui semble si cher au cœur d'Una, mais peut-être aurait-il pu jouer un rôle auprès de cette petite fille dont il avait été si proche, il y a longtemps. Il n'avait pas été là pour elle comme ils se l'étaient sans doute promis un soir sur les rivages de Darya. Il se persuade d'une faute qu'il aurait commise, d'un manquement de plus, d'une trahison. Ce n'est pas sa faute, il le sait, il se le répète intérieurement, mais ça le rattrape toujours, il n'y peut rien. Il se détacha de la fenêtre:

« - Je t'ai déjà trop importuné, d'abord avec mes histoires, puis avec les tiennes aussi. Il vaut mieux que je m'en aille. » avoua-t-il, le regard tantôt fixé dans celui d'Una, tantôt fuyant. « - Je tâcherai de ne pas réveiller la patronne en partant. »

Il esquissa un sourire sur cette dernière remarque et, sans rien dire de plus, il se dirigea jusqu'à la porte. Voulait-il savoir quelque chose de plus ? Il ne le croyait pas, et pourtant il se retourna rapidement vers Una. Il hésita, ravala un mot ou deux, ne laissant s'échapper que du vide d'abord avant de demander:

« - Une dernière chose. » Il marqua un silence: « Y a t-il quelqu'un qui m'attend encore ? A Darya, je veux dire ... » questionna-t-il, les yeux rivés sur la seule personne en mesure de lui répondre.
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMar 04 Oct 2011, 21:54

La question la prend au dépourvu. Non pas qu'elle ne s'attendait pas à une demande de ce genre mais la formulation la met à l'aise. Ce n'est pas simplement prendre des nouvelles de gens connus, c'est laisser poindre une lueur d'espoir. Una ne sait s'il est réellement en attente de quelque chose ou s'il espère simplement qu'elle brise les derniers liens qui le retiennent à leur île et cette indécision la tourmente. Elle craint de ne pas lui apporter la réponse escomptée, de le voir à nouveau s'évaporer et de ne pouvoir rien y faire pour les dix prochaines années à venir. Elle aimerait répondre à ses désirs mais elle plie pour la seule carte valable en pareille circonstance: l'honnêteté.

Alors s'opère dans son esprit une fouille minutieuse des informations qu'elle possède. Nombre de leurs amis d'enfance ont péri en mer, la plupart dans des raids. Les visages des survivants défilent dans ses pensées et avec regret, elle doit admettre qu'il est peu probable que ces garçons se soient autant accrochés à Solan comme la petite fille qu'elle était pu le faire. Si le monde des dragonniers nourrissait leur imagination, il est fort probable que le destin présumé de leur ami fit naitre quelque jalousie mal placée. Au fond, il sera toujours difficile pour un pirate de s'attacher quand la mer peut emporter jusqu'au premier quidam venu. Peut-être s'explique ainsi le profond amour que voue un capitaine à son navire, seul véritable pilier dans les méandres de l'océan.

Silencieuse, elle replace une mèche derrière son oreille, son regard se porte vers le sol avant de se confronter aux prunelles bleues qui quémandent presque maladroitement. S'il ne reste en Solan aucun vestige du marin; au moins possède t-il l'océan au fond des yeux. Elle comprend dès lors la véritable teneur de cette question. Il ne s'illusionne sans doute pas de leurs amitiés passées mais s'interroge sur sa famille. Sa mère. En un éclair, Una revoit la femme se tenir devant la porte de leur chaumière, si ses principaux traits lui reviennent indistincts, elle se rappelle néanmoins la chaleur de son sourire et l'affection qu'elle portait à son fils. Comme une ombre, l'image de son propre enfant s'impose à la dessinatrice et cela l'accable presque. Un mince tressaillement agite son bras et avec une certaine douceur, elle répond finalement:

«  - Je suis désolée. »

La dénégation lui semble trop brutale et si elle déteste cela, son regard se voile malgré tout de compassion. Elle refuse de le voir partir sur ce sentiment et de le laisser ressasser ce qu'il n'aura plus. Déjà, elle s'est portée à sa hauteur et retient son bras tandis que sa main agrippe timidement son haut. Ses doigts enserrent avec un peu plus de conviction le tissu et pendant quelques secondes, elle reste ainsi, immobile. Elle ne sait si elle espère maintenir le contact, la tangibilité de cet instant ou simplement faire de lui son captif mais elle se persuade que cela lui suffira. La gorge un peu nouée, elle contemple le voleur et l'implore.

« - S'il te plaît, Solan... »

Elle est incapable de définir avec exactitude la teneur de ce souhait mais sa prise sur le bras glisse jusqu'au poignet et elle conduit son propriétaire auprès du sommier. Elle se défait de son contact et grimpe sur le lit tout en lui jetant nombre de coups d'œil furtif de crainte qu'il ne fuit. Avec une brève contorsion, elle s'est emparée d'une de ses cartes dissimulée sous une latte et la déplie entre eux. Ses paupières se ferment. Elle caresse le vélin d'une infime pression et laisse son pouvoir l'envahir. L'île de leur enfance se matérialise peu à peu et la vision de maisons familières fait éclore un mince sourire sur son visage. Sans un mot, elle met en valeur quelques repères immuables de leurs rivages. Elle situe un puits, une statue ou des temples qui n'ont pas bougé depuis leur enfance. Les années ont fait leur œuvre. Les îles de Darya sont comme l'océan, en mouvement constant mais cela en fait leur force. Tout en survolant le village, elle pointe finalement un point précis. A une époque lointaine, chaque bambin de l'île était amené à graver son nom et un mot sur une roche de la plage. Les plus téméraires optaient pour la falaise pour en favoriser la conservation. Ce fut leur cas.

« - Darya t'attend. »

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptySam 15 Oct 2011, 22:25

Tandis que sa question flotte, pèse de tout son poids sur un silence gêné, gênant, Solan s'inquiétait de ce qu'Una allait bien pouvoir lui dire sur ces gens qui peuplaient son passé comme une foule de gens étranges, lointains, dont il n'avait plus que de vagues souvenirs ; des images comme des peintures qu'il aurait vu un jour et qui n'aurait depuis jamais quitté sa mémoire, s'ancrant si fortement en elle que tout cela ce serait mélangé pour ne faire plus qu'un grand mensonge aux couleurs chaudes et aux odeurs de sel. Ainsi, planté là, qu'attendait-il, lui ? Le plus triste, c'est qu'il n'en avait pas la moindre idée lui-même. Que devait-il espérer ? Craindre ? Il aurait aimé avoir une réponse à se fournir, pourtant aucun des scénarios qui étaient à portée de son imagination ne parvenaient à le satisfaire vraiment ... Après tout, quoi ? Si des gens l'attendaient encore, des gens qu'il avait quittés et perdus de vue pendant vingt longues années, des gens qui l'aimaient encore peut-être, mais qu'il serait incapable d'aimer en retour. La solitude l'avait fait devenir son propre père, sa propre mère, son propre ami, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il soit devenu suffisant à lui-même. Il ne ressentait pas le besoin de les connaître, ces éventuelles affections qui l'attendaient dans ces îles aux airs de paradis. Les sourires qu'il imaginait sur les visages imaginaires de ces proches ne l'intéressaient pas: Una pouvait bien lui dire qu'ils n'existaient pas. Peut-être. Si elle lui avouait que, quelque part, sa mère, par exemple, l'attendait toujours, pourrait-il vraiment l'ignorer ? Continuer sa vie comme si de rien n'était, comme si cela n'avait aucune importance ? Il n'en savait rien, pourtant, plus il y pensait, plus il se les imaginait, ces nouvelles retrouvailles. Alors il les chassa comme il put, ces images qui l'agaçaient, revenant au silence.

Una avait les yeux braqués dans le vague à la manière de ceux qui retournent leurs souvenirs à la recherche de quelque chose ... Plusieurs secondes s'écoulent encore, il a déjà compris et pourtant elle lâche ces quelques mots qui sonnèrent comme des condoléances. Le paria resta immobile, semblant n'être traversé par aucune pensée, aucun sentiment ... Il ne dit rien non plus. Il ferma les yeux. Il n'était pas déçu: ce soir, il n'avait pas perdu sa mère, il ne l'avait simplement pas vu ressuscité. Qu'importe. Solan sourit légèrement et se retourne, prêt à s'en aller, quand Una s'avança jusqu'à lui, agrippant son vêtement pour le retenir, quelques mots pour le garder. Les yeux bleus vinrent se porter sur la jeune femme, surpris d'un tel mouvement ... Que voulait-elle ? Il n'eut pas le temps d'exprimer sa parole à voix haute que déjà Una l'attirait vers son lit. Le trajet suffit à le déstabiliser, que veut-elle ? Elle grimpa sur le sommier, détachant une latte avant d'en extirper un morceau de vélin, il crut reconnaître une carte. Il crut voir Una passer sa main sur le parchemin. Il crut.

Un petit hameau composé de chaumières sur un rivage, sur une plage de sable blanc. Il y a des gens aux visages confus qui s'y baladent, des enfants sans voix ni rires qui y jouent. Une statue d'Eydis trône au milieu du petit village, tout près d'un puits qu'il croit vraiment sans fond, et bien vite il s'envole vers un temple dont la solennité l’impressionne comme elle impressionnerait un enfant. Si cet amas de maisons lui paraissait si petit, il avait le sentiment qu'un jour il lui était apparu immense. Bientôt, il s'éloigne du village, entraîné alors contre sa volonté vers les cieux, apercevant maintenant l’entièreté du hameau avant d'être transporté d'un coup vers ces falaises qui occupaient jusque-là l'arrière-plan. Il n'y vit aucun intérêt d'abord, jusqu'à ce qu'il en soit suffisamment proche pour distinguer ce qui était gravé sur l'une des parties les plus hautes: Una et Solan.

La voix d'Una retentit à nouveau, semblant mettre fin à cette prouesse à laquelle il venait d'assister, à ce miracle dont il ne parvenait toujours pas à comprendre l'origine. Il entend les mots qu'elle prononce, mais ne parvient pas à se concentrer sur autre chose sur le spectacle qu'elle lui a offert et dont elle est à l'origine, il le comprend. Comment était-ce possible ? Il restait planté là, les yeux écarquillés, le regard encore submergé par les images merveilleuses qu'elle venait de matérialiser là, devant lui. Son cerveau était en ébullition et ses pensées s'emmêlaient maladroitement, comme si chaque petite parcelle de son cerveau cherchait à éclaircir le mystère qui entourait ce que venait d'accomplir Una. Au bout d'une minute peut-être, il n'eut plus de doute: elle avait la capacité d'insuffler la vie à ce qui n'était pourtant qu'encre et papier.

« - Tu ... tu es une dessinatrice ? » dit-il encore hésitant bien qu'il n'eut pourtant plus vraiment de doute. « C'était notre île, pas vrai ? C'est là d'où l'on vient. Merveilleux.» ajouta-t-il, semblant ne pas y croire encore, se frottant les yeux qu'il crut sur le point d'imploser de fatigue ou bien d'émerveillement.

D'un coup, les mots d'Una lui parvinrent enfin. Darya l'attendait ? Soit, Darya est une dame patiente. C'est peut-être parce qu'elle sait que tout ce qu'elle jette à la mer finira par lui être ramené par la mer. L'idée le fit sourire. En attendant, l'excitation provoquée par le spectacle auquel il venait d'assister redescendait peu à peu et, bien qu'il ne pouvait se retenir de revoir encore et encore l'image de leurs deux noms gravés dans cette falaise, il ne pouvait s'empêcher de trouver les propos de son ancienne amie légèrement inappropriée.

« - Tu dis que Darya m'attend ... tu crois ça, toi ? » dit-il avant de reprendre: « - Darya n'a rien à m'offrir ni même à me rendre. Pourquoi m'attendrait-elle ? Pourquoi, dis ? »

Et après tout, n'était-il pas dans le vrai ? Il avait eut la confirmation de la bouche d'Una elle-même qu'il ne pouvait guère espérer retrouver quiconque là-bas. Pourquoi voudrait-il y retourner ? Il n'en avait pas de souvenir vraiment clair jusqu'à ce qu'elle se livre à ce petit tour de magie. Alors à quoi bon ?

« - Cela fait vingt ans. Darya, ce n'est plus ... ce n'est plus chez moi. Je n'ai rien à y voir, rien à y faire. Il se tut un moment. « C'est trop tard. »


Dernière édition par Solan Runnarth le Dim 16 Oct 2011, 20:40, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyDim 16 Oct 2011, 20:31

Son don lui paraît suffisamment explicite pour qu'elle s'épargne une confirmation. Il lui semble inutile de le mettre plus en avant. Les doigts immobiles contre le papier, elle dévisage l'homme qui se tient devant elle et l'interroge si naïvement. Elle ne sait si c'est la peur qui le guide ainsi ou un quelconque sentiment qui lui échappe mais la certitude de le voir prêcher le faux fait éclore un sourire des plus amusés sur son visage. Solan n'y peut rien. Le quotidien l'a rendu aveugle. Sagement, elle s'est redressée et prenant appui sur ses genoux se rapproche de lui pour cueillir avec tendresse sa joue dans sa paume.

« - Excuse moi. J'oubliais que tu possèdes ici femmes et enfants comme possessions et richesses, homme de Lanriel»

Sa main quitte le contact de la barbe naissante et Una se retrouve assise sur ses talons. La position lui tire une furtive grimace de douleur avant qu'elle ne laisse son regard s'attarder sur les traits du voleur. Darya ne lui offrira peut-être rien c'est certain mais qu'en est-il de cette terre qui le tient captif ? Tantôt esclave, tantôt soldat, cela ne l'aura mené qu'au statut de voleur finalement. La reconnaissance n'existe pas dans les mœurs des fermiers du coin. Qu'y peut-il espérer ?

« - Le besoin d'aventure ne t'appelle plus ? Tes talents ne seraient pas inutiles sur notre île. Personne ne bouderait ta compagnie. Je te parle d'un renouveau, Solan. Y a t-il ici quoi que ce soit qui puisse réellement te retenir ? »

Sa voix s'éteint sur ce mot et un mince voile de tristesse s'abat sur sa personne. Elle détourne son visage et relève son menton dans une attitude de fausse fierté. Cela ne la toucherait pas s'il affirmait tout d'un coup que Lanriel représentait tout ses souhaits. Ce serait même compréhensible, non ? Ses dents se serrent. Non, bien sûr que non. Elle détesterait l'idée même qu'il puisse préférer la compagnie des mornes habitants de Cathaifàl à elle et les nombreux forbans de Darya, ses frères. Il est un fils de l'océan. Comment peut-il seulement l'oublier ? Elle-même ne peut se défaire de l'attirance irrémédiable qu'exerce l'eau sur elle. Chaque minute loin d'un pont lui paraît torture et l'absence d'iode sur ses lèvres sonne comme péché à ses origines. A ses yeux, la liberté se savoure au gré des flots. Pourquoi n'est-ce-pas son cas à lui ? L'accablement l'éreinte. Sa masse bascule et elle se laisse sombrer dos contre le matelas. Elle inspire suite au rappel de sa plaie et tend la main vers Solan.

«- Ne répond pas. Je suis désolée. Viens. »

Elle préfère ignorer les pourquoi. Il est là et elle peut s'en contenter. Se souvient-il des heures qu'ils passaient allongés dans le sable à fixer les nuages et bavarder des futilités de leurs âges ? A cet instant, un tel programme lui paraît salvateur. Il n'y aura pas de ciel, peut-être même pas de bavardages mais sa présence serait un réconfort suffisant. Il le sait. Elle ne cesse de le retenir. Il est plus facile d'agir ainsi que de laisser partir les êtres aimés. Les départs sont trop souvent définitifs. Si elle ferme les yeux, sera t-il toujours là ? Elle craint tellement la solitude. Cathairfàl n'a pas le charme de ses contrées et son don la laisse affamée de lui. Le temps est meurtrier. Il façonne les hommes à sa guise et le résultat laisse perplexe la jeune femme qu'elle est. Ses prunelles se posent sur celles de Solan. Elle lui impose tant sans jamais croire qu'il la rejettera. Elle se sait naïve. L'abandon n'est jamais loin dans son sillage et puis finalement peu lui importe. Elle sait une vérité qu'elle n'a jamais démenti: elle l'attendra à Darya. Elle n'a jamais cessé de le faire depuis le premier jour. Son cœur d'insoumis se trouve dissimulé dans leur passé. Il viendra l'y dénicher. Il ne saurait faire autrement maintenant que la mémoire lui revient. Elle s'en persuade.
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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMar 18 Oct 2011, 21:49

Les mots d'Una le frappent de plein fouet, cinglants, violents. Le regard de Solan s'assombrit tout à coup, ses poings se crispent. La jeune femme a touché un point sensible qui, si ces retrouvailles n'apparaissaient pas si capitales aux yeux de Solan, aurait peut-être suffi à lui faire tourner les talons. Après tout, pour qui se prend-elle, cette fille à cinq sous ? Être nourri par une maquerelle valait-il tellement mieux qu'elle pouvait le rabaisser ainsi ? Il la fixa sans broncher alors que sa main quittait sa joue mal rasée. Il tentait de garder son calme, de relativiser. Ce n'était pas tant la forme qui lui déplaisait: il se contrefichait pas mal de n'avoir ni femme ni enfants à lui présenter. Non, c'était le fond, car, si qu'elle le mette en évidence ainsi ne lui plaisait guère, force était de constater qu'elle n'avait pas tort ... Sa vie était à Cathairfal, oui, mais qu'est-ce qui faisait qu'elle ne pouvait être la même à Tearmainn ou à Darya ? Rien, absolument rien. À vrai dire, il ne savait pas vraiment si c'était une bonne chose ou pas, mais le simple fait que l'on lui fasse remarquer suffisait à l'agacer, d'autant qu'il ne s'y attendait pas. Pas venant d'Una. Ça lui rappela que vingt ans s'étaient écoulé, qu'ils ne se connaissaient peut-être plus si bien que ça, en fin de compte.

Una reprit son discours, argumentant sur les bienfaits de Darya, cherchant à trouver écho dans le goût qu'a Solan pour l'aventure. Ce dernier sourit en entendant ce petit laïus. Il avait entendu ce discours mille fois, mais jamais de la bouche d'une ancienne connaissance devenue dessinatrice et prostituée non, ça, c'était original ... En général, il entendait ce genre de discours dans les tavernes de la cité et ils étaient le plus souvent prononcés par des recruteurs de l'armée royale cherchant à convaincre les ivrognes du coin d'aller se faire étriper chaque nuit sur les murailles. On leur promettait gloire et richesse, mais ils ne voyaient jamais ni l'un ni l'autre. En tout cas, la comparaison l'amusa lui-même, apaisant un peu les revendications colériques de son orgueil un peu malmené. Solan continua de la fixer, sans un mot. Sans en avoir l'air, les mots de la jeune femme trouvèrent bien quelques prises sur le paria qui réfléchissait maintenant. Il pourrait bien tout quitter, personne ne lui manquerait. Il avait bien des amis, mais aucun qui ne puisse vraiment l'empêcher de s'en aller pour de bon voir si l'herbe n'était plus verte de l'autre côté de l'océan ... Mais alors quoi ? Alors rien. Rien ne le poussait à franchir le pas, rien d'assez convaincant en tout cas. Il s'embourba dans sa réflexion jusqu'à ce qu'Una ne l'invite à s'allonger auprès d'elle. Plus à une fantaisie prête, Solan s’exécuta. Et si c'était elle, le bon argument ? Elle qui lui tend la main.

Alors il s'installe auprès de son amie. Si cette dernière se souvenait probablement avec exactitude de ces moments passés ensemble sur les rivages de leur île, lui ne peut que les imaginer, les deviner. Il ne lui demandera pas de les lui raconter, il ne veut pas retrouver les souvenirs d'un autre. Il y a des trésors engloutis qu'il ne vaut mieux pas cherché à remplacer à tout prix, leur valeur, restée intact, n'en est que plus grande une fois retrouvée. En attendant, Solan si loin du sable et des vagues, craint de se laisser embarquer par le sommeil plutôt que par les flots. Pourtant, tandis qu'il ferme les yeux presque sans s'en rendre compte, il y a ces mots qui lui reviennent ... Y a-t-il ici quoi que ce soit qui puisse réellement le retenir ? Il savait bien que non. Néanmoins, l'idée de retourner à Darya ne lui avait jamais traversé l'esprit jusqu'à ce soir. C'était impensable, tout comme il avait été impensable pour lui de revoir un jour cette petite fille à qui il avait été arraché il y a vingt ans. Malheureusement, la question était bien plus compliquée que cela.

« - Tu m'as appelé homme de Lanriel. Ça sonnait comme une insulte. » dit-il l'air paisible, les yeux toujours clôt. « Et quoi ? Et si c'est ce que je suis ? Je n'ai pratiquement aucun souvenir de Darya: la langue de mon enfance se dérobe devant moi et je n'ai plus vu l'océan depuis vingt ans. » avoua-t-il avant de reprendre:« Tu ne sembles pas comprendre que cela fait trop longtemps que je suis ici pour me prétendre encore fils de Darya. Je veux simplement ... »

Il ne trouva pas les mots pour finir sa phrase. Que voulait-il ? Il réfléchit. Depuis des années, il errait sans but dans les tavernes les plus mal fréquentées, les ruelles les plus malfamées ... Pour quoi ? Rien n'avait changé depuis qu'il avait quitté l'armée: tout le fruit de son travail de voleur et de mercenaire passait dans les tavernes, les auberges et les bordels. Ça ne menait nul part, il n'avait pas attendu Una pour s'en rendre compte. Néanmoins, il ne se voyait pas faire autre chose que ça. Cette vie qu'il menait ne lui déplaisait pas, même s'il s'en plaignait de temps à autre. Il n'avait simplement pas l'ambition nécessaire pour aller plus haut, plus loin. Il n'avait pourtant aucune autre aspiration dans la vie que d'être assez riche pour vivre une belle vie, une vie faite de festins, d'alcools et de jolies femmes. Pas original ? C'est vrai.

« - Et toi ? Pourquoi avoir quitté Darya toi qui sembles tant aimer ces îles ? Pourquoi vouloir tant me voir y revenir, si toi tu es là à te vendre aux hommes de Lanriel. »demanda-t-il sans trop de rancœur.

Après tout, si Solan n'était pas à même de trouver les raisons qui pourraient le convaincre de partir, il était peut-être capable d'en apprendre plus sur les motifs d'Una à tant vouloir le voir revenir.

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyDim 23 Oct 2011, 22:22

Homme de Lanriel... Peut-être est-ce une insulte en effet. Il n'y a que trop de dissonances entre ce monde et le sien. La langue n'a jamais été la seule barrière entre la terre et la mer. Il lui semble que chaque chose qui paraît acquise ici est remise en cause là-bas. Pourtant, ce jugement qu'elle porte si aisément a un arrière-gout d'empressement ainsi affiché par Solan. Elle sait qu'il ne mérite pas de subir ses préjugés, ni même de souffrir ses excès d'humeur mais son renoncement était bien trop flagrant pour qu'elle ne s'en offusque pas. Ses doigts toujours emmêlés à ceux du voleur, elle pivote sur le côté malgré l'inconfort de cette posture pour sa blessure et ramène leurs mains contre elle. Elle n'aime pas l'entendre parler ainsi de ces origines. Ils ont beau savoir tout deux qu'une part de vérité se cache là-dessous, l'affirmer rend les mots plus forts, plus définitifs. Elle exhale un soupire et laisse ses doigts s'égarer dans la chevelure masculine. S'il n'était question que de physique, Solan n'aurait aucun mal à se prétendre fils de Darya. Ses yeux seuls suffisent à noyer n'importe qui. Seul son teint dénote plus fortement que le reste. Sa peau n'est pas aussi tannée que peut l'être celle exposée constamment à l'embrun et au soleil des îles.

Una ne dit rien néanmoins. Les réponses se perdent entre deux souffles. Il veut... Elle ne peut finir cette phrase pour lui et préfère le silence aux divagations. Ses désirs à elle n'entrent pas en compte dans cette réflexion. Leurs espérances n'ont pas les mêmes teintes. Elle aimerait lui souhaiter richesse et pouvoir comme elle a pu le faire pour chaque forban croisé mais elle ne sait si ce sont là ses aspirations ou s'il n'espère pas autre chose derrière ce confort matériel. Elle-même court après la connaissance pour d'autres motifs que la satisfaction personnelle. Le devine t-il ? Difficile à déterminer mais sa tirade la laisse dubitative quelques secondes. Il détourne la conversation de son cas et Una n'est pas certaine d'apprécier ce changement de cap. Elle délaisse les mèches et glisse sa main sous sa tête pour se surélever un peu. Son regard s'égare quelques instants et puis finalement sa langue se délie.

«  - Je suis là pour le sérail des dessinateurs. »

Ce grand et faste palais qui recèlent de gens comme elle et de tout le savoir qui lui manque encore. Le perfectionnement de son art n'est pas chose anodine et dans son cas, il prend une tournure quasi vitale. Elle aurait beaucoup de peine à l'expliquer à Solan. Peut-être ne la comprendrait-il pas. Non. Elle sait qu'il ne comprendrait pas. N'a-t-elle pas à ses côtés l'homme qui a refoulé ses souvenirs plutôt que les préserver ? Elle s'évertue à garder intact la moindre parcelle de son bonheur passé quand Solan lui, a préféré les repousser au fin fond de son crâne et, fatalement, les nier. Elle ne le lui reproche pas. Comment le pourrait-elle ? Chaque homme posséde sa propre manière d'appréhender la vie. Les leurs divergent sur ce point, voilà tout.

« - Les créatures m'empêchent de m'y rendre seule. Il faut que je trouve des compagnons de route. L'argent que je gagne payera ce voyage. J'y resterai quelques temps, peut-être des semaines ou des mois puis je reprendrai la mer. »

Du moins est-ce là son intention à l'heure actuelle. Il n'est pas impossible qu'elle prolonge encore son séjour pour une raison ou une autre. En soi, cela n'a pas une grande importance, elle sait qu'elle retournera à Darya. Le quand est la seule variable en suspens. Son cœur se trouve toujours sur son île. Elle n'est pas une étrangère là-bas, elle est chez elle et y mènera à jamais sa vie. Ses passages en Lanriel peuvent bien s'éterniser, il n'en demeure pas moins que son existence se compose essentiellement de piraterie et d'aventure. Évidemment elle ne peut prétendre à la même débauche propre à un marin mais au moins peut-elle se targuer de quelques frasques comme de découvertes. L'océan et les terres de Lanriel conservent suffisamment de secrets pour faire fonctionner son fond de commerce. La cartographie n'est qu'à ses balbutiements entre ses mains. Elle étire son corps et laisse planer un sourire conquis sur ses lèvres.

«- Qu'importe jusqu'où l'on dérive, l'on revient toujours à notre port d'attache. C'est ancré en nous. On finit tous par en prendre conscience. »


Dernière édition par Una Syrion le Mer 16 Nov 2011, 20:33, édité 2 fois
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Solan Runnarth

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMar 25 Oct 2011, 18:22

Le sérail des dessinateurs ? Il n'y avait jamais mis les pieds, et n'irait probablement jamais. Il ne connaissait rien de cette particularité que semblait posséder Una, celle d'animer ce qu'elle couche sur du papier. À vrai dire, il ne connaissait rien aux autres races qui peuplent Lanriel, qu'ils soient sorciers ou devins, rôdeurs ou dragonniers ... Il n'était pas curieux de ces choses là, pas curieux du monde qui l'entourait. Quelques fois, il avait été tenté de quitter Cathairfal à la recherche de quelque chose, d'autres choses en tout cas ... Il n'en avait jamais eu le courage, ou peut-être n'était-ce pas un besoin si fort en lui. Après des années passées à vagabonder dans tous les coins et recoins de la Cité royale, il semblait qu'il la connaissait par cœur, cette ville. Mais quoi ? Que devait-il y voir ? Une maison ou bien une prison ? Il ne parvenait pas à trancher et il avait peur que le discours d'Una ne le trompe sur ce qu'il pensait vraiment ... Après tout, il devinait bien la puissante influence que pouvait avoir nos souvenirs sur un esprit comme le sien. D'ailleurs, n'était-ce pas pour cela qu'il s'était débarrassé de tout ce qui se rapportait à son enfance ? Un passé, comme ça, abandonné à l'oublie. À l'époque, il devait le faire pour être capable d'avancer. Aujourd'hui, il a peur de recommencer à se repaître de cette mémoire qu'Una lui propose de retrouver à travers elle, à travers leur amitié. Ah, qu'il aurait aimé à ce moment être devin. En proie au doute, il craignait ne pouvoir compter une fois plus que sur cet instinct qui ne lui avait jamais paru si discret qu'à ce moment.

« - On dit que Loch Eydis est un endroit magnifique. » lâcha-t-il alors que la représentation imaginaire qu'il s'en faisait lui apparut à l'esprit.

Ainsi, Una cherchait à quitter la ville ? Il était bien placé pour savoir à quel point les dangers qui guettaient aux abords mêmes de la Cité étaient nombreux: non seulement il y avait ces monstres qu'il avait passé des nuits à combattre, mais aussi les brigands dans son genre qui arpentaient les routes à l'affût du premier convoi qui passe. En cela, l'interdiction de sortir seul de la Cité semblait impérative, bien que contraignante ... L'idée de proposer sa compagnie à la dessinatrice, au moins pour l'aller, lui vint à l'esprit: ce serait peut-être un moyen pour lui d'en découvrir plus sur ce qu'il ressentait à propos de cette vie qu'il mène à Cathairfal, et peut-être aussi d'agir en ami, un acte purement désintéressé ou presque ... Néanmoins, l'idée d'être peut-être confronté à nouveau à ces monstres qu'il revoyait parfois en cauchemar ne lui plaisait guère et des années d'égoïsme passées à ne se soucier que de lui-même ne pouvaient le laisser indifférent au fait qu'il risquerait probablement sa vie pour pas grand-chose, ou du moins pour pas grand-chose qui ne lui soit utile à lui. Il tourna la tête vers Una qui le regardait depuis tout à l'heure:


« - Peut-être t'accompagnerai-je. Si tu veux. » dit-il sans plus y réfléchir.

Il n'avait pas l'impression de s'engager à quoi que ce soit. Au final, ce ne serait peut-être qu'une idée en l'air et ça lui convenait bien comme ça. En fait, il comptait bien adopter cette philosophie envers Una et ce qu'elle représentait: se laisser le temps, ne pas s'engager à quoi que ce soit ... Bref, se laisser guider par cet instinct qui chez lui avait toujours eu la part belle quand il s'agissait de faire un choix. Si Una avait raison et que, comme elle semblait le croire, tout le monde était destiné à finir là où tout avait débuté, alors il n'avait pas à s'inquiéter du choix qu'il ferait, n'est-ce pas ?

« - Tu as probablement raison ... Après tout, qu'est-ce pourrait ma volonté contre celle d'Eydis et du destin qu'elle nous réserve, j'imagine ... » confia-t-il, mué d'un fatalisme dont il était difficile d'établir s'il était sérieux ou ironique. « Si elle m'en réserve un. »

Ces quelques mots sonnèrent comme une conclusion à cette réflexion qui avait animé Solan tout ce temps ce soir. Le voleur se redressa, le dos contre le mur. Il jeta un œil par la fenêtre à laquelle il était accoudé tout à l'heure. Il faisait jour maintenant. Son regard revint sur Una à qui il avait semblé si cher de rétablir une sorte d'affection entre elle et lui. Lui ne savait comment s'y livrer, comment l'aider à réparer ce lien brisé. À ce moment, il ne savait plus que dire bien qu'il il craignait l'idée même de décevoir l'entreprise de son amie en voulant s'échapper de cette chambre qui, manifestement, était propice à le rendre bien trop en proie au doute. Il resta là à la fixer, sans un mot, la noyant dans son regard.
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Una Syrion

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMer 16 Nov 2011, 21:17

« - Magnifique oui. Mystique surtout. »

Le lac Eydis était sans nul doute l'un des lieux les plus remarquables de Lanriel. Il s'en dégageait une atmosphère particulière. Una ignorait comment partager le sentiment de sécurité qui la gagnait à chaque fois qu'elle foulait le sol du sérail. Hors du temps, coupé de tout, il n'existait nul autre endroit mieux préservé, pourtant cela ne suffisait pas à faire la force de ce sanctuaire. Les terres alentours possédaient une essence divine et nul autre paysage n'aurait pu se lier si justement avec le nom de la déesse. De nombreuses fois Una s'était interrogée sur les origines de son don, de sa tendance pacifique et de la réputation qu'on accordait aux dessinateurs. Les réponses ne furent jamais franches mais elle se convainquit que le début d'explications ne pouvait provenir que de leur antre. Aucun artiste n'oserait souiller leurs terres de sang ou pire encore. Un frisson parcourut son échine et elle se redressa lentement. Son regard se posa sur Solan, perplexe, avant de se détourner sur un point du sommier.

Sa proposition venait de la prendre de court. Il était vrai qu'avoir un voleur dans son escorte devrait probablement limiter les tentatives de ses pairs mais cela ne rendait pas son choix judicieux pour autant. Ils s'étaient trouvés. Elle en était heureuse. Toutefois, il l'avait dépouillé. Hormis sa bonne foi apparente, rien ne promettait qu'il ne le recommencerait pas. Sans compter que ses possessions devaient se contenter du minimum vital. Accepter son offre, ou du moins la prendre au sérieux, serait envisager de subvenir à tous les frais de l'expédition, sans exception. Mentalement, elle refit le tour de ses finances et estima qu'elle était loin de posséder suffisamment pour cela actuellement. Si Solan devait faire partir du voyage, sa participation devrait excéder celle du simple épéiste. A moins qu'Eydis ne consente à lui accorder félicité par des gains plus qu'honorables dans les semaines à venir. Elle rumina l'idée avec un mince sourire et repoussa l'une de ses mèches tombantes derrière son oreille. Il lui était, de toutes manières, impossible de songer à se déplacer pour l'heure. Sa blessure à la hanche s'accommoderait mal de jours de marche. L'infection était une menace trop sérieuse pour être prise à la légère.

Délicatement, elle posa sa paume contre la main du voleur qu'elle pressa avec douceur. Si Una conservait par devant elle ses réflexions, il n'en restait pas moins que l'initiative la touchait. D'autant plus venant d'un homme qui semblait mué d'un tel désenchantement. Ce n'était pas la première remarque de Solan qui lui faisait entrevoir l'homme blessé. Car, il avait beau se parer d'une certaine force comme d'une certaine assurance, tout cela déguisait un sentiment d'injustice et de crainte. Un instant, la dessinatrice se persuada qu'il ne quémandait là que réconfort et écoute. Pourtant, cela sous-entendait plus, cela sonnait comme une prière incomplète.

« - Tu n'aurais pas survécu jusqu'ici si Eydis n'avait pas pour toi un projet plus grand que l'esclavage, l'armée ou même les dragons. Il suffit d'être patient. »

Elle lui adressa un sourire empreint de certitude, comme si au fond, elle pouvait déjà prévoir les projets qu'Eydis se faisait du singulier. Elle n'en savait rien, naturellement, mais elle rechignait à croire que chaque homme vivait sans but précis. Chaque être influait forcément sur le monde et si ce n'était pas cela, au moins influaient-ils sur un autre individu. Serait-elle ici si son Galaàn n'avait péri ? Un bruit dans le couloir coupa court à cette question et sa tête pivota vers l'origine du son. Quelqu'un se déplaçait. Le jour s'était levé, cela ne pouvait signifier qu'une chose: la matrone veillait. Elle pesta à voix basse et s'extirpa du lit avec force précaution pour coller son oreille au vantail. Les pas ne semblaient pas se diriger vers sa chambre. Leur discussion ne devait pas avoir été surprise. Elle se retourna et s'avança jusqu'à sa fenêtre qu'elle ouvrit. L'air matinal hérissa les poils de ses bras et la chair de poule anima sa peau. La ville n'était pas tout à fait éveillée. Peut-être Solan pourrait s'éclipser par la toiture sans se faire repérer. Elle tourna son regard vers lui pour l'en interroger. Passer par la porte d'entrée était envisageable mais il y perdrait là son butin de la nuit.

« - Que préfères-tu ? »
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Solan Runnarth

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MessageSujet: Re: Retrouvailles ( Terminé )    Retrouvailles ( Terminé )  EmptyMar 06 Déc 2011, 14:28

Un projet plus grand que l'esclavage, l'armée ou les dragons ... Qu'était-ce donc, alors, ce destin qu'Una lui promettait à demi-mot, comme si elle s'improvisait prêtresse du culte d'Eydis au talent de prescience, rien que pour lui faire plaisir peut-être ... Parfois, il y songeait à cet avenir qui l'attendait, quoiqu'il en pense, quoiqu'il en fasse: cela fera bientôt trente ans qu'il respirait et vivait, survivait en fait, depuis les faubourgs des îles pirates où déjà la pauvreté l'accablait, jusqu'aux quartiers malfamés de Cathairfal, en passant par la misère de l'esclavage, peu importe que ce soit au service d'un paysan ou d'un Roi: il n'avait pas vu de différence. N'y avait-il pas eu du mieux, dans sa vie, depuis ce temps là ? Si, sans doute, car bien qu'il vivait toujours dans un certain dénuement, c'est vrai, la différence résidait dans le fait que personne n'en était responsable si ce n'est lui et lui seul. En tout cas, cela ne l'aidait pas à appréhender le futur avec moins de gravité, car, sous ces airs insouciants voir imprudent qu'il adoptait la plupart du temps, c'était bien de gravité dont il s'agissait, rien d'autre. C'était difficile pour quelqu'un comme lui de savoir réellement comment ... vivre, tout simplement. En effet, jamais il n'avait eu de réelles opportunités qui lui auraient permis de s'en sortir sans danger. On a toujours peur de la première fois et ce en toute chose, alors comment ferait-il si aujourd'hui se présentait à lui ce qu'Una lui décrivait comme le projet qu'avait Eydis pour lui ? Ne risquait-il pas de ne rien voir, tout simplement ? Il était peut-être déjà trop tard. Agacé à cette idée et par le fait même de ne pouvoir s'extirper, comme il pensait l'avoir déjà fait, de ce déferlement de questions, Solan en vint à maudire cette nuit qui lui avait ramené son amie qui, comme l'eau qui reflète un visage, l'avait obligé pour la première fois depuis des années à se regarder en face. C'était la première fois dans sa vie d'adulte qu'il avait réellement à se soucier de la façon dont il pouvait être perçu par quelqu'un qui, il aimait à le croire inconsciemment peut-être, comptait pour lui.

Soudain, Una se leva, quittant le lit pour se précipiter jusqu'à la porte de sa chambre. Sans un bruit, Solan se redressa à son tour, comprenant alors qu'il était définitivement temps qu'il s'en aille. Le jour était maintenant bel et bien là, il n'était plus question désormais de repasser par le chemin qu'il avait emprunté plus tôt, alors que le reste des occupantes du bordel dormaient à poings fermés. Una lui fit d'ailleurs très vite comprendre qu'elle était arrivée aux mêmes conclusions que lui et, ouvrant la fenêtre, lui signifiait là l'unique autre échappatoire. Le paria soupira: il avait beau être un voleur, il ne faisait malheureusement pas partie de ceux qui parvenaient à leurs fins grâce à leur agilité hors du commun ... Néanmoins, cette fois, il n'avait pas le choix, car il souhaitait avant tout éviter l'ombre même d'un ennui à Una, et pour cela personne ne devait avoir eu vent de sa présence. Ainsi, il s'approcha de la fenêtre, jaugeant rapidement la hauteur, soupira derechef avant de se retourner vers la dessinatrice:

« - J'espère que, si nous sommes amenés à nous revoir, tu choisiras de me conduire dans un endroit moins haut. » dit-il en souriant, cachant son appréhension. « Si tu cherches à me trouver, va à la taverne où nous étions, j'y serais peut-être. » ajouta-t-il avant de reprendre une dernière fois: « Et merci. »

Il sourit à Una puis s'apprêta à grimper sur le rebord de la fenêtre, empêché au dernier moment par un remords de dernière minute. Profitant que la jeune femme ait reporté son attention sur les bruits de pas qui résonnaient toujours dans le couloir, le voleur extirpa la bourse qu'il lui avait dérobée des heures plus tôt, la jetant doucement sur le lit. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce geste lui coûtait beaucoup: il se privait de son seul butin de la nuit et était donc totalement sans ressource jusqu'à ce qu'il travaille à nouveau, ce qui ne serait pas simple avec une nuit aussi éprouvante et la fatigue qui s'accumulerait alors ... Néanmoins, c'était bien la seule chose qu'il avait à sa disposition pour se faire pardonner des tourments qu'il avait infligés à Una, aussi bien ce soir qu'il y a vingt ans. Puis, rapportant son regard vers l'extérieur, il gagna le rebord de la fenêtre, hésita un instant, et s'élança.
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