La nuit est si vite arrivée... [PV: Lumen]

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Une légère brise renforçait cette impression de froid qui ne quittait plus la cité de Cathairfál. Les quelques personnes qui osaient mettre le nez dehors s’emmitouflaient dans des capes et se pressaient le long des rues désertées. Eydis semblait avoir abandonné les habitants de la Cité, et de plus en plus de gens allaient prier dans les temples, pensant peut-être qu’en faisant quelques offrandes le froid disparaîtrait plus rapidement. Hélas, rien n’y faisait et la déesse ne semblait pas entendre leurs appels. D’autres en revanche ignoraient totalement les croyances, éperdument persuadés qu’ils étaient seuls à décider de leur destin et que jamais, au grand jamais, ils ne se laisseraient abattre par un hiver plus long que d’ordinaire. C’était le cas de Serwyx, lieutenant dans l’armée du Roi Hardansson. Bien décidé à ne pas se laisser démonter par le temps, il s’entraînait tous les matins, qu’il neige ou qu’il vente. De toute manière, il pouvait ainsi se réchauffer les doigts, et l’air frais l’aidait à se concentrer. Ce jour-là, semblable à tant d’autres, il avait passé presque trois heures à exercer sa maîtrise de l’arc. Même la sueur qui coulait dans son dos n’altérait pas sa concentration. Il se lançait sans cesse des défis. Avec des cibles toujours plus éloignées, toujours plus étroites. Ses yeux perçants ne loupaient presque jamais une cible. Beaucoup l’enviait pour ce talent, mais il s’évertuait à dire qu’avec de l’entraînement, tout le monde serait capable d’en faire autant. Après avoir passé en revue ses hommes, vérifié leur condition physique et moral, il rejoint sa chambre dans les quartiers des officiers. Un soupir imperceptible s’échappa de ses lèvres…
Quelque chose le tracassait depuis tôt le matin. Passant une main sur la cicatrice qu’il avait sur le ventre, il grimaça en se rendant compte que la blessure n’était pas tout à fait guérie. Et pourtant, il s’en était fallu de peu pour qu’il ne succombe à cette fameuse nuit. La visage de sa sauveuse ne cessait de lui revenir en mémoire, et il culpabilisait de ne pas l’avoir remerciée à sa juste valeur.

L’archer se passa de l’eau sur le visage et s’observa dans la glace. L’homme qu’il était devenu n’avait rien à voir avec cet adolescent joueur et insouciant… Aujourd’hui, il était miné par la guerre, mais aussi par le départ d’êtres chers. Une grande lassitude le prit soudain… Pourtant une flamme continuait de faire briller ses yeux et quelque part en lui, il sentait que ce qu’il faisait n’était pas vain, qu’il y avait une raison pour laquelle on le mettait à l’épreuve. Relevant le menton, il se regarda droit dans les yeux. C’était décidé. Il devait s’acquitter de sa dette. Pas envers Eydis, non, mais envers une jeune femme du nom de Lumen. Il se changea rapidement et sortit en trombe de sa chambre, saluant au passage quelques-uns de ses compatriotes.

Les rues étaient désertes, ce qui lui permit d’arriver rapidement à destination. Pas de terribles chevaux pour lui barrer la route ! Repérant l’enseigne d’une auberge, il entra et demanda à l’aubergiste, un sourire avenant sur le visage :
« Pardonnez-moi, Aubergiste. Pourriez-vous me dire le numéro de chambre de la Dame Lumen Elólindë ? »
L’homme le dévisagea d’un air mauvais, se demandant surement ce qu’un homme au tabard du Roi voulait à une simple Dame… Voyant qu’il hésitait, il renchérit :

« Je suis lieutenant dans l’armée du Roi, et cette Dame est une amie ! Mais dîtes-moi, elle doit être heureuse d'avoir un prottecteur tel que vous! Vous voulez bien…? »

Comme toujours, ses yeux pétillaient de malice. Autant dire que l'aubergiste avait de quoi se méfier. S'il savait... Serwyx n'était pas encore au centième de ses capacités pour faire tourner en bourrique. Il savait qu'il devait avoir ce numéro et se retenait de trop asticoter le gros homme au menton proéminent.

« Mouais… Chambre 5. Mais z’avez intérêt à rester correct, sinon lieutenant ou pas, j’vous botterai les fesses ! »

Un sourire moqueur s’afficha sur le visage du rouquin, qui fit un clin d’œil à l’aubergiste. Il monta de quatre en quatre les escaliers, jusqu’au palier. Marchant d’un pas discret pour éviter de faire grincer tout l’étage, il s’arrêta devant la porte de la chambre en question. Toquant trois fois, il dit d’une voix amicale :

« Dame Lumen ? C’est Serwyx Kelrynion ! Puis-je entrer ? »

Il espérait ni la déranger, ni lui faire peur, mais il voulait absolument la remercier pour l’avoir soigné. De la fenêtre du couloir, il pouvait voir que le soleil se couchait petit à petit. Dans quelques heures, il ferait nuit de nouveau... Et la tuerie recommencerait.

Invité

Encore et toujours, l'hiver s'abattait partout sur le peuple de Lanriel. La cité de Cathairfál n'y faisait pas exception. La neige y était certes moins présente, mais le froid faisait rage. Combien de temps tout cela durerait-il ? Quand, enfin, la colère de la déesse s'apaiserait-elle ? Nul ne semblait apte à répondre à cette question. Ils ne pouvaient rien faire d'autre qu'attendre, et prier pour obtenir le pardon de la déesse. Mais la saison était dure, en particulier pour ceux qui menaient une vie nomade, comme c'était le cas des rôdeurs, et donc de Lumen. Elle avait beau avoir depuis bien longtemps l'habitude de demeurer en extérieur, elle ne s'était pas préparée à un hiver si long. Tout manquait, la nourriture, les vêtements chaud, les chevaux, l'argent, mais aussi les plantes qui lui étaient si utiles afin de concocter ses remèdes. Pratiquement toutes ses réserves étaient épuisées, et elle ne pouvait prodiguer que des soins fort rudimentaires. Du même coup, c'était sa seule source de revenus qui disparaissait, l'obligeant à voler lorsqu'elle en avait besoin. Le peu d'argent qu'il lui restait, elle préférait le conserver en cas de besoin.
Si elle n'avait que peu de possibilités de soigner qui que ce soit, elle en avait cependant eu l'occasion quelques temps auparavant. Un archer s'était retrouvée blessé au ventre, à l'extérieur de la cité. Elle n'aurait pu décemment le laisser abandonné à un triste sort. Elle avait fait de son mieux pour guérir sa blessure comme elle l'avait pu, en espérant que celle-ci ne s'infecterait pas par la suite. Il lui avait donné son nom, Serwyx, et Eydis seule savait pourquoi, elle lui avait également donné le sien. Peu importait à présent, elle ne le reverrait probablement jamais. Elle n'était pas même certaine qu'il survive. Tout dépendrait de la réaction de son organisme. Elle pouvait cependant être assurée d'avoir fait son possible pour le sauver.

Venir s'établir dans les murs de la cité n'avait pas vraiment fait partie de ses projets. Elle n'y était d'ailleurs jamais entrée auparavant, tout simplement parce que sa nature, cette bête qui partageait son enveloppe corporelle l'en empêchait. Elle trouvait préférable de s'en éloigner. Elle n'aimait pas en général les lieux qui concentraient trop de population. Elle savait ce qui se produirait si quelqu'un découvrait son secret. Elle serait probablement arrêtée, peut-être même exécutée comme une criminelle. Elle préférait éviter qu'une telle chose se produise. Cependant, il s'agissait de la cité habitée la plus proche de l'endroit où elle s'était trouvée. Elle était épuisée. Elle sentait depuis quelques jours déjà qu'elle avait de la fièvre. Elle avait donc utilisé une grande partie de l'argent qui lui restait pour prendre une chambre dans une auberge. Elle avait dormi pratiquement deux jours, ne se réveillant que pour manger un peu. Son voyage l'avait épuisée et il lui semblait que toutes ses forces étaient retombées. Si elle avait été plus alerte, restant sur ses gardes, elle aurait été plus attentive aux jours qui passaient. Elle aurait su qu'elle arrivait à un moment critique, et qu'au lieu de s'être isolée dans la forêt, comme elle le faisait habituellement, elle se retrouvait dans une auberge fréquentée, au centre d'une cité. C'était un véritable désastre. Elle sentit un premier spasme lui parcourir le corps et grimaça. La peur l'envahit lorsqu'elle réalisa ce que cela signifiait. Elle regarda par la fenêtre. Elle avait encore quelques heures. Si elle se montrait suffisamment rapide, elle pourrait sortie de Cathairfàl avant sa transformation, et ainsi éviter le pire. Il lui fallait sortir par la fenêtre. Ainsi, elle éviterait les questions de l'aubergiste, qui semblait adopter une attitude paternaliste envers elle qui n'avait d'autre effet que celui de l'agacer.

Mais rien ne se déroula comme prévu. Au moment où elle ouvrit la fenêtre, elle entendit que l'on frappait à la porte de sa chambre. Elle pensa d'abord qu'il s'agissait de l'aubergiste, et envisagea de se débarrasser de lui rapidement. Mais la voix qu'elle entendit, le nom que ce visiteur lui donna la surprit plus qu'elle n'aurait su le dire. Jamais elle n'aurait imaginé le revoir un jour, d'autant plus ici. Comment avait-il pu la retrouver. Elle se rappela avoir peut-être mentionné son désir de demeurer quelques temps ici. Elle se maudit cent fois, d'autant plus qu'il arrivait au pire moment possible. Que lui voulait-il donc ? Elle fut soudainement prise d'un second spasme, bien plus violent. Sans le vouloir, son bras heurta un vase qui se trouvait sur la commode et vint se fracasser sur le sol. Il fallait désormais qu'elle paraisse rapidement, avant qu'il ne s'imagine qu'il se passait quelque chose d'anormal. Elle tenta de reprendre un peu de contenance, et ouvrit la porte.

« Sieur Kelrynion ! Quelle surprise de vous revoir ici ! Y a-t-il un problème avec votre blessure ? »

Tandis qu'elle parlait, elle cherchait une manière de se débarrasser de lui rapidement. Elle oublia qu'il désirait sans doute entrer, et resta devant la porte, ne lui accordant pas cette invitation qu'il devait attendre.

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[Je suis profondément désolée pour le retard... Je suis impardonnable.]

Serwyx attendait sagement sur le palier. Pourtant, d’étranges sons à l’intérieur de la chambre le mirent sur ses gardes : des bruits de pas précipités, une fenêtre qui s’ouvre, et il ne pouvait s’empêcher de penser que quelque chose n’allait pas. Ses entrailles se serrèrent comme lorsque Javeed lui annonçait la note de ses soirées arrosées. Il n’allait quand même pas enfoncer la porte ? Ce serait malpoli et puis il risquait de tomber au mauvais moment. Peut-être que son instinct de soldat le rendait tout simplement trop paranoïaque… Il soupira avant de passer la main machinalement sur le manche de sa dague. Levant les yeux au ciel, il s’amusa un moment à compter les mouches qui s’amusaient à se brûler les ailes en passant trop près des bougies qui illuminaient les couloirs. Un bruit de vase cassé le fit soudain sursauter et il faillit donner un violent coup à la porte… Le petit rouquin commençait à sérieusement s’ennuyer quand il décida d’interpeller de nouveau sa sauveuse :

« Dame Lumen, est-ce que tout va… »

La porte s’ouvrit soudain.

« … bien ? »

Se retrouvant nez à nez avec la jeune femme, il lui offrit un doux sourire, à la fois pour paraître amical et pour rester poli. Bizarre, on dirait qu’elle n’a pas l’air ravi de le voir. Ne serait-ce pas un sourire forcé qu’elle lui tend ? Légèrement vexé –après tout, il n’était pas d’une si mauvaise compagnie- il resta silencieux quelques secondes, la regardant d’un air dépité. Bah, reprends-toi mon vieux, c’est pas la première fois que tu te fais éconduire, non ? Se raclant la gorge pour parler, il essaya de jeter un coup d’œil dans la chambre pour voir si tout allait bien. Mais elle bouchait l’entrée et apparemment elle n’avait pas l’intention de le faire entrer.

Ah les femmes et leur caractère ! Il ne savait jamais sur quel pied danser !

« Eh bien, vous avez du très bon travail. Je ne me suis jamais senti aussi en forme qu’après que vous m’ayez soigné ! Je voulais surtout vous remercier pour ne pas m’avoir laissé mourir à petit feu. Je sais pas ce que je serais devenu sans vous.»

Bon, c'était pas dans ses habitudes de se montrer aussi sentimental, mais il voulait qu'elle sache ce qu'il pensait sincèrement. Reprenant contenance peu à peu, l’archer voyait bien que Lumen était anxieuse, comme si elle voyait quelque chose que lui ne pouvait apercevoir. Ennuyé de ne pas comprendre ce qui se passait, Serwyx fronça les sourcils et jetant un ultime regard vers la chambre, il insista :

« Vous êtes sûr que tout va bien ? Vous êtes vraiment très pâle… Je peux vous aider ? »

A tous les coups, elle n’allait pas accepter son aide, mais il se devait de proposer. Et s’il sentait qu’un danger était imminent, il interviendrait même en cas de désaccord avec la jeune femme !

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Elle se sentait telle une boule de feu prête à exploser. Elle avait chaud et froid à la fois. Il lui semblait que ses entrailles étaient sur le point de se rompre. Il lui fallait sortir d'ici au plus vite. Sauter par la fenêtre et courir s'il le fallait. Heureusement, elle avait encore un peu de temps. Peu, mais assez pour se trouver à l'extérieur de la ville au moment où elle se transformerait. Comment avait-elle pu manquer d'attention à ce point ? S'approcher de la ville avait été une énorme erreur qu'elle risquait de payer très cher. Elle ou quelqu'un d'autre. Ces coups frappés à la porte n'annonçaient rien de bon. Cet homme, qu'elle avait sauvé, voilà qu'il venait la remercier, plein de bonnes intentions, mais au pire moment possible. Il courait à sa propre mort sans le savoir. Après qu'elle l'ait sauvé, elle devenait à présent susceptible de le tuer. L'ironie de la situation aurait presque pu la faire sourire si les circonstances avaient été différentes. Elle avait compris qu'il ne partirait pas sans l'avoir vue et elle avait donné beaucoup trop de signes de sa présence. Lorsqu'elle ouvrit la porte, elle se trouva face à un homme visiblement heureux de la voir tandis qu'elle ne songeait qu'à ce qu'elle pourrait dire pour expédier sa visite. Elle se montrerait impolie et offensante s'il le fallait.

« Tout va parfaitement bien. »

Il lui fallait le rassurer à tout prix. S'il commençait à se soucier de son état, elle n'aurait plus moyen de le chasser. Elle se forçait à sourire, à donner l'impression d'écouter ses remerciements, alors qu'en vérité elle ne parvenait pas à en saisir le moindre mot. Tout son être était en ébullition et elle s'efforçait de se contenir devant lui. Ce fut à peine si elle put avoir la présence d'esprit de lui répondre de manière appropriée.

« Ne me remerciez pas, je suis ravie de voir que vous vous portez mieux... mais je ne voudrais pas vous retenir... »

Elle avait de plus en plus de difficultés à parler de manière compréhensible. Elle doutait que cette pathétique tentative de le faire partir ne fonctionne vraiment. Elle commençait à avoir réellement peur que sa transformation ne se produise avant qu'il ne s'en aille. Il avait beau être un parfait inconnu à ses yeux, elle n'avait pas la moindre envie de lui faire du mal. Elle sentait qu'elle palissait et devenait de plus en plus faible. Des gouttes de sueur perlaient sur son front. Son ton montra son impatience à l'égard de cet homme dont la présence visiblement la gênait.

« Je vous remercie de votre sollicitude, mais je vous assure que je me porte parfaitement b... »

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Elle sentit dans sa poitrine une douleur si forte qu'elle s'écroula à demi en poussant un cri. Lorsqu'elle put enfin relever la tête, les traits de son visage étaient comme changés et ses yeux, habituellement bleus, avaient pris une teinte gris foncé. Sa voix même semblait plus grave, plus profonde. Brusquement, elle poussa le singulier en arrière.

« Partez ! Allez-vous en ! »

Elle n'était même plus certaine de pouvoir s'enfuir. Il lui rester la possibilité s'enfermer dans cette chambre à double-tour et espérer que la porte soit suffisamment solide pour la maintenir à l'intérieur. Elle ne s'apercevait pas que la peur la faisait trembler.

» Une arrivée remarquée [PV : Alyha Melohaltaï]
» Les braises de la nuit sont des cendres au matin
» E&T ♣ Un éclair puis la nuit (...) ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
» LUMEN ▬ Que la lumière soit
» Thorfinn ; Seul, on avance plus vite, à plusieurs on avance plus loin