Night of the hunter. •• Wynne Sayre

« Mon Seigneur, on nous rapporte qu'une créature sème la panique dans les alentours d'Eaublanche. Les soldats n'arrivent pas à gérer la situation, et l'un d'eux est venu demander notre aide. » Le Dragonnier s'inclina après avoir fini de prendre la parole, regardant ses pieds plutôt que de croiser mon regard. C'est fou ce que le statut de Dirigeant avait comme pouvoir auprès des autres Dragonniers. Respect, mais aussi crainte. Fascination, surement. Les mêmes sentiments que la population pouvait avoir des Dragonniers en général, quoi qu'eux n'avaient pas aprioris sur les Dragons. Je ne répondis pas tout de suite, me laissant quelques secondes de réflexion. « Pourquoi ceci n'est-il pas du ressort du Roi ? » Je connaissais cependant déjà la réponse. Les soldats du Roi étaient occupés à se battre et à mourir à Cathairfál, et les attaques en dehors de cette ville était jugée de minime et donc de secondaire. Le Dragonnier releva son regard vers le mien. « Les villageois d'Eaublanche n'ont reçu aucune réponse du Roi. » C'était le scénario qui arrivait le plus souvent. Vu l'absence d'aide du Roi, les villageois se rapatriés souvent sur les Dragonniers, qu'ils jugeait comme dernier recours si la situation était dramatique. Ce qui était visiblement le cas aujourd'hui. « Sait-on qu'elle est cette créature ? » L'homme parut hésiter quelques secondes. Il passa la main dans ses cheveux longs, les remettant en arrière. « Non, pas vraiment. On pense à une Araignée. » Dans le mot "araignée"', il ne fallait pas imaginer la petite araignée de rien du tout qui se baladait dans vos maisons, mais plus celles de plusieurs mètres de haut et qui tuait les humains pour se nourrir. Bizarre, d'ailleurs, que l'une d'elle se soit autant approchée du village. « Des Dragonniers de disponibles ? » A nouveau l'homme hésita. « La plupart sont partis en mission, ou encore en entrainement à haute voltige dans les Bairr Bàn. » Je poussai un soupir, me levant du siège où j'étais assis, mettant court au repas que je venais pourtant à peine de commencer. « Très bien. Allez seller mon Dragon le temps que j'aille me préparer. » Le Dragonnier ne put empêcher de dévoiler la surprise qui se peignit sur son visage. Il ouvrit la bouche pour protester, mais finit par se taire et s'inclina avant le détaler. Cette tâche n'incombait surement pas à un Dirigeant, mais j'étais lasse de rester toujours dans cette forteresse. J'étais un soldat avant tout, et le combat me manquait cruellement.

Le temps d'enfiler mes pièces de cuir, puis ma volumineuse armure et j'étais fin près. Habillé comme pour aller à la guerre, je parcourais rapidement les couloirs de la forteresse, ma longue épée tapant bruyamment contre mon armure. Je traversai la grande cour pour voir à son bout mon Dragon, scellé qui m'attendait. « J'ai failli attendre tu sais ! » La voix du Dragon se projeta dans ma tête. Je m'arrêtai à sa hauteur et lui caressai rapidement la tête. « Et toi tu n'es pas en armure. » Shorkan poussa un grognement et cracha un jet de flammes, montrant son mécontentement. « Depuis quand a-t-on besoin d'une armure pour une vulgaire petite araignée de rien du tout ? » Je secouai la tête, prenant pied sur les étriers et me hissant sur son dos écailleux. « Nous ne sommes pas sûr justement que ce ne soit qu'une vulgaire petite araignée, comme tu dis. Et les soldats d'Eaublanche n'ont pas réussi à régler le problème d'eux-mêmes. » Je pris place sur la selle en cuir, et m'accrocha aux rênes. « Justement, c'est parce que ce sont de simples soldats ! Mais une Araignée contre un Dragon, c'est rien. » Je ne renchérissais pas, Shorkan ayant déployé ses ailes et décollant. Les Dragons à Crêtes étaient quelques peu vantards, et se prenaient pour les maîtres du monde. Discuter avec lui sur ce sujet était donc vouer à l'échec, car il n'admettrait jamais avoir tort.

Riocht na Elves n'était qu'à deux heures de vol. Cependant trouver Eaublanche était un autre problème, car avec tout ces arbres... La forêt des arbres était réputée pour être difficilement accessible pour les Dragons, les terrains pour se poser étant rares et assez loin des villes. Cela ne pouvait que renforcer l'idée que les villageois ne voulaient, en général, pas des Dragonniers dans leur vie. Ou alors juste quand ils en avaient besoin. C'était une drôle de mentalité, mais je n'allais pas rechigner là-dessus. Car après tout, une fois le problème réglé, les villageois remercieraient secrètement les Dragonniers, sans toutefois l'avouer. Et ce n'était pas en rechignant leur appel à l'aide que les Dragonniers pouvaient redevenir populaire dans l'esprit des gens. « Je vais te déposer ici, Eaublanche ne devra être qu'à trois heures de marche en partant de ce point. Si besoin je te guiderais. » En parallèle qu'il parlait, Shorkan décrivit un large rond dans le ciel, perdant peu à peu de l'altitude. Il finit par s'arrêter dans une petite clairière aux apparences paisibles. Je descendis du dos du Dragon, lui caressant une dernier fois la tête. « Soit prudent. » Un doux sourire illumina mon visage. Je reculai ensuite de plusieurs pas, et admirait le noble Dragon s'élevait dans les ailes. Je me retournai ensuite. Une longue marche m'attendait.

C'est fou ce qu'à certains endroits les arbres pouvaient être aussi touffus ! On avait beau être en automne, ces arbres là n'en perdaient rien à leurs feuilles. De plus la nuit commençait à tomber, le froid s'installant. Mon armure ralentissait ma marche, et je buttai souvent dans des racines ou autres éléments naturels. J'avais l'impression d'être un balourd ivrogne. Shorkan m'observait du ciel, se laissant porter par les courants ascendants. D'après lui je n'étais plus très loin. Mais c'est sûr que vu du ciel les distances étaient moins longues. Surtout que vu la végétation... Je n'étais décidément pas sorti de l'auberge. Crac. Une branche qui se casse, un vol d'oiseaux apeurés. Je me stoppai, retenant ma respiration. Rien. Plus un bruit. Un silence de plomb, un silence de mort. Tout d'un coup cette forêt paisible ne le paraissait plus autant qu'à mon arrivée. Ca empestait le danger. Je sortis lentement l'épée à deux mains de son fourreau, cette dernière émettant un léger frottement métallique. La pointant devant moi, je repris mon chemin, très lentement. Shorkan avait senti mes doutes, et était descendu plus bas, frôlant à présent les arbres pour essayer de repérer l'intrus, si intrus il y avait. Les muscles crispés, les sens en alerte, j'observai autour de moi. Mais rien, toujours rien. Les minutes s'écoulaient, et aucun autre rappel. Tout semblait redevenir normal. Cependant cette sensation de danger ne cessait de me rappeler à l'ordre. Les instincts de soldat. « Derrière ! » En même temps que l'alerte du Dragon éclata dans mon esprit, je me retournai. Me retournai pour voir une Araignée de plusieurs mètres de haut débouler sur moi. Son dard frôla mon buste. J'avais bondi sur le côté à temps. Parades, attaques, défenses. Tels furent les mots d'ordre. Enchaînant les mouvements, les acrobaties, je tentais de trouver les faiblesses de l'Arachne. Mais cette dernière, avec son dard, ses mandibules et ses huit pattes me donnaient du fil à retordre. Trop de fil à retordre d'ailleurs. L'épuisement me gagnait, et mis à part quelques égratignures je n'arrivais à rien d'autre. Repoussé contre un arbre, je fus contraint je plier en retraite. Voyant mon désarrois, Shorkan, qui était on ne peut plus frustré de ne pas pouvoir agir, se décida à faire diversion. Partageant mes pensées, il avait compris la petite idée que j'avais en tête. Le Dragon poussa un rugissement à en faire trembler la terre, et crache de volumineux jets de flammes, loin de l'Araignée cependant pour ne pas me blesser. L'Arachne, sentant la chaleur, eut quelques secondes d'hésitation, et se concentra que le Dragon. C'était tout ce qu'il me fallait. Faisant le vide dans mon esprit, mes yeux se mirent subitement à étinceler. D'un bleu plus prononcé, inhumain. Je levai doucement ma main à mesure que des racines sortaient de terre. Les contrôlant, ses dernières s'enroulèrent autour du corps et des pattes de l'Arachne. Cette dernière ne comprit que bien trop tard ce qu'il se passait. Elle tenta de se dégager, mes les racines étaient bien trop attachées. Une fois sûr qu'elle était immobilisée, je me ruai vers elle. Avec un cri pour me donner du courage, je prenais appuis sur une pierre, et enfonçai mon épée dans la tête de la créature. Cette dernière poussa un cri de douleur, puis la vie quitta définitivement son corps. Haletant, je laissai tomber mon épée. Mes yeux redevinrent normaux. Mon don m'avait encore plus épuisé, mais au moins la créature n'était plus de ce monde. Les habitants d'Eaublanche pourraient dormir tranquille cette nuit. Je me laissai tomber sur une pierre, enfonçant ma tête dans mes mains. « Beau travail. » Des flammes continuaient à jaillir des arbres, mais elles finiraient bientôt par s'éteindre. J'étais quelque peu désolé que l'on en soit arrivé à ce point. Brûler la forêt risquait d'être mal vu par les Druides...

Un bruit me tira de la léthargie. Un bruit sec, rapide. A peine avais-je relevé la tête que je vis une forme noire jaillir d'entre les arbres. N'ayant pas eu le temps d'esquisser le moindre mouvement, je sentis quelque chose de pointu rentrer dans la chair de mon dos. « Azriel ! » Le Dragon poussa un rugissement de douleur et de colère, crachant un nouveau jet de flammes. Paralysé, je fus plongé dans une sorte de transe. Ce qui se passait autour de moi me paraissait flou, lointain. Comme si je regardai le fond d'un lac après avoir plongé ma tête dedans. Des émotions traversaient mon corps, venant de Shorkan. Mais je n'arrivais pas à y prêter attention. Le Dragon plongea dans les arbres, les arrachant avec ses pattes. L'Araignée avait fui plus vers le Nord, et il partit à sa poursuite, plongeant entre les arbres et causant de nombreux dégâts en essayant de saisir la nouvelle créature.

Certains auraient pu trouver las et sans intérêt de choisir une vie telle que Wynne la concevait. Il est vrai qu’en théorie, l’existence d’un druide était bien loin d’une quelconque aventure palpitante. Apprendre à connaître la forêt pour en retirer tous ses bénéfices, exercer l’exercice de guérisseur, préparer des potions aux vertus magiques et inattendues ou transmettre son savoir et son érudition aux singuliers des alentours… Telles étaient les occupations principales d’un druide, sensé représenter le savoir et le lien entre la communauté et la déesse Eydis. Comme tous, Wynne n’avait pas vraiment choisi sa condition mais elle semblait être l’une de ceux qui possédaient un grand pouvoir et une prédisposition avérée pour ce statut. Depuis sa jeunesse, elle s’était forgé un lien très fort avec la forêt et il semblait qu’en retour, la nature lui donne beaucoup. Habituée à cette vie simple, elle n’aspirait pas à plus de luxe ou de confort, en tout cas, pas pour le moment et essayait chaque jour d’améliorer ses compétences, possédant en elle l’envie dévorante de devenir l’une des meilleurs.

Comme bien souvent, Wynne avait eu une rude journée. L’arachnée se baladant près d’Eaublanche avait engendré un vent de panique chez les singuliers, comme chez certains druides d’ailleurs, et de nombreuses personnes totalement incontrôlables avaient finies par se blesser ou par blesser certains de leurs voisins en agissant de manière totalement irréfléchie. Ainsi, sans vraiment être la cause directe des blessures des villageois, cette arachnée commençait à mettre sans dessus dessous les villages environnants et les druides n’arrivaient plus à calmer les douleurs et guérir les blessures de chacun. Chaque jour, ils priaient Eydis espérant l’arrivée d’un quelconque sauveur ayant assez de courage pour tuer cette horreur sur pattes mais personne ne venait à leur secours : ni le roi, ni personne. Alors comme tous ses compagnons, Wynne était restée une bonne partie de la journée au village d’Eaublanche essayant de rassurer et d’aider les singuliers. Mais malgré tous ses efforts, son action resta vaine et elle était intimement persuadée quand tant que cette créature roderait autour des villages de Riocht Na Elves, la situation ne pourrait s’améliorer. Alors que la fatigue commençait à la gagner, Wynne décida de rentrer au sanctuaire des druides et d’aller se ressourcer dans la forêt, comme elle le faisait tous les soirs avant de rentrer dans sa chaumière. Consciente du danger présent dans ces bois, elle passa donc d’abord chercher son arc. Bien sûr, elle savait qu’il ne serait point d’une grande aide dans le cas où elle se trouverait devant un quelconque monstre mais la plus petite sécurité valait bien mieux que son absence. Divaguant entre les arbres sans laisser de place à la possibilité de se perdre, Wynne commença à récupérer quelques plantes afin de pouvoir s’entraîner plus tard à la confection de potions. La forêt était calme, seuls quelques oiseaux se faisaient entendre et rien ne présageait une quelconque funeste rencontre, jusqu’à ce que des cris se fassent entendre, des cris de furie, celle d’un soldat au combat, une furie que Wynne avait déjà pu observer dans le passé. Tiraillée entre l’idée de se rapprocher du combat pour voir si une quelconque aide était nécessaire et celle de décamper rapidement au vue de son attirail plus que léger, Wynne resta immobile un instant, essayant de peser le pour et le contre, à savoir donc si elle mettrait sa vie en danger ou non. Ces quelques secondes lui parurent être une éternité, elle détestait faire des choix et se complaisait à croire qu’elle faisait toujours le mauvais. De nouveaux cris se firent alors entendre et ceux-là n’avaient rien d’humains. Se pouvait-il qu’il s’agisse de soldats envoyés par le roi pour tuer cette arachnée ? Sa décision était prise. Courant vers le lieu d’origine des cris tout en préparant quelques flèches au cas où, Wynne ne tarda pas à se trouver face au cadavre de cette arachnée géante avec, gisant à côté, le corps d’un homme, un soldat en armure, visiblement victime du venin de cette saloperie.

Avant de s’approcher, elle vérifia en jetant quelques branches sur cette infâme masse noire qu’elle était bien morte puis, une fois rassurée, elle vint au secours du soldat. Le pronostic de ses blessures fut rapide, seul un dard aussi puissant que celui des arachnées avait pu percer son armure et de son dos coulait du sang. Il était raide et froid, incapable de bouger, le venin commençait à faire effet. Alors rapidement, Wynne chercha dans son sac de toile, voir si elle avait de quoi retarder le venin et trouva une racine d’angélique, connue pour ses vertus contre-poison. Cet homme devait certainement être chanceux, l’angélique était rare dans les bois de Riocht Na Elves et bien que Wynne pensait la garder pour élaborer une potion plus complexe, il était plus important de l’utiliser dès maintenant. Après avoir écrasé la racine avec sa serpe, elle en déposa sur la blessure de l’inconnu et en frottant un autre bout sur sa langue. « Vous m’entendez ? Il faut que vous avaliez votre salive, essayez de croquer la racine, vous devez en avaler. Vous allez y arriver ? Vous m’entendez ? » Espérant ne pas arriver trop tard, Wynne commençait cependant à s’inquiéter. Il faut dire qu’elle n’avait alors jamais traité un cas pareil.