Je n'éprouvais que du dégoût pour mes clients, riches, vieux, jeunes, puissants ou non, c'était mon métier. Tout ce que je voulais, c'était amasser assez d'argent pour me marier un jour avec un riche époux, avoir une existence de bourgeoise riche à en crever. Sortir de ma misère.
Mais alors cette nuit, il me semblait que c'était pire que tout. Le type était riche, oui, le chef de la guilde des drapiers, autant dire que l'or qu'il avait posé en entrant m'avait ouvert les cuisses aussi facilement que la bonne clef dans la bonne serrure. Seulement voilà : c'était un bourgeois gras et fat, suffisant et bedonnant, qui avait ahané sur mon corps tant et si bien qu'il avait fini de me dégoûté définitivement de ce sport. Soufflant comme un boeuf, mais avec une verge mollassonne, il avait fini son oeuvre dans un soupir déchirant avant de se vautrer sur moi, au risque de m'étouffer de sa masse. Et il ronfla ! le mufle ! le porc !!! Finalement, je réussissais à me dégager et la vue de la petite pile de quatre pièces d'or mirent des étincelles dans mon regard, me faisant instantanément oublié l'outrage. Précautionneusement, j'enjambais l'infâme, et allais cacher mon butin dans ma cachette, passant une main satisfaite dans la jarre contenant mes pièces, uniquement des pièces d'or. Puis, je remontais en silence l'escalier de bois jusqu'à ma chambrine, et me glissais de nouveau près de mon "amant" du soir. Toute une nuit. Cela promettait d'être particulièrement long. Mais le porc dormait à poing fermé, ce qui m'assurait une relative tranquilité, mis à part son ronflement de sonneur. Nul doute que tout le quartier savait où il se trouvait ! Je souris.... ma réputation n'était plus à faire concernant le don qui m'habitait d'attirer chez moi uniquement les plus fortunés. En fait, ce gros bourgeois me faisait là une publicité du tonnerre.
Je sursautais. Quelqu'un avait ouvert ma porte ! pourtant, elle était fermé à clef. Un voleur ? j'avais la hantise des voleurs.... des pas dans l'escalier, la porte qui s'ouvre à la volée, mon regard scintilla de mil feux en reconnaissant le rôdeur : Azazel !!!
« Mets-le donc à la porte. »
- Certainement pas ! il m'a fort bien payée.
Mais avec le potin qu'il faisait, il allait réveiller mon client ! et je devrais me remettre à l'ouvrage ! je fusillais du regard l'aventurier, guettant du coin de l'oeil le sommeil du bourgeois.
« Tu es bien trop belle pour faire ça. »
Inutile de dire que je bus le compliment comme du petit lait, et mon regard détailla l'intrus si vivement attendu et désiré. Cet homme était le seul en qui j'avais confiance. Un ami. Un ami véritable. Qui connaissait ma beauté, ma véritable nature, aussi, un frère... Je lui souris, comme je ne souriais qu'à lui, naturellement, sans artifices.... Il savait pourquoi je le faisais. Parce que j'y étais contrainte. Mais il ne pouvait rien faire pour me sortir de là, n'étant lui même guère fortuné, bien qu'il courut déraisonnablement après l'argent, lui aussi !
- Pourquoi boire autant ? qu'as-tu à oublier ?
dis-je en me levant, le pressant contre moi, l'embrassant comme une petite soeur heureuse du retour de son héros. Je sentis tout son corps contre le mien, froid encore du dehors dont il venait, alors que j'étais tiède du lit d'où je sortais.
« ... Il ne doit plus y avoir assez de travail pour les autres, et bien trop pour toi. »
- Que nenni ! les autres font de l'abattage, je fais dans le riche client uniquement.
J'étais tout de même un peu vexé de sa réflexion, bien que je sache qu'en fait, c'était pour m'épargner qu'il me disait cela. Il regrettait donc vraiment que je fus réduite à cela ? Il avait bu. Trop. Ma tête se posa au creux de son épaule droite. J'aimais sa force, sa vigueur et me sentais en sécurité près de lui. Je tremblais chaque fois qu'il partait, courir après ces criminels les plus abjects pour gagner sa vie... Mon client ronfla de plus belle et j'éclatais de rire :
- Viens, allons dans la cuisine !
dis-je en prenant mon visiteur par la main et en l'entrainant dans l'escalier.