Octavia

Traître. Comment un ami si cher a-t-il pu devenir un ennemi tant redouté ? Les mots flottaient à la surface de la conscience d’Octavia alors qu’elle s’adonnait à un examen minutieux de sa personne dans le miroir de sa coiffeuse. Elle pinçait la peau de son cou et de ses mains, observait avec critique les fines pattes d’oies qui avaient prit place aux coins de ses yeux, et se voyait déjà un pied dans la tombe. Venait ensuite un rituel complexe et long pendant lequel elle s’évertuait à se redonner visage humain et pendant lequel ses dames d’atour lui faisaient conversation. Véritables mines d’informations, elles étaient ses yeux et ses oreilles et savaient mieux que personne retranscrire l’humeur de la cour. Tandis qu’elle appliquait un baume sur ses lèvres, l’une d’elle coiffait ses longs cheveux auburn, et sa main trembla quand des noms qui revenaient souvent dans les discussions furent prononcés. Baissant les yeux elle joignit ses mains sur ses cuisses pour en dissimuler le tremblement et se força à sourire. Certains bavardages de la cour avaient tendance à l’atteindre d’avantage et savoir que son époux fréquentait assidûment de jeunes donzelles n’aidait pas à sa tranquillité d’esprit. En particulier lorsque leur beauté avait été fortement louée. Aurore, l’une de ses plus chères amies, posa sa couronne sur sa tête et interrogea sa reine du regard et cette dernière répondit d’un simple hochement de tête. Renseignements devaient être pris. Le reste de la toilette fut hâté, car l’on était déjà en retard pour la prière du matin et c’était là une activité à laquelle la reine ne voulait pas déroger. Elle était mère de deux turbulents enfants, mais aussi de toute une patrie et pour cela certains devoirs ne pouvaient être ignorés. Elle priait sans relâche depuis plus de sept ans maintenant, et si elle n’avait pas vu les choses s’améliorer, elles ne s’étaient pas non plus aggravées et elle y voyait là la chance d’un avenir plus serein. Rendue plus humble par la majesté de la chapelle dont la beauté était rehaussée par les rayons du soleil encore pâles qui luisaient à travers ses gigantesques vitraux, elle quitta son lieu de recueil avec un mince sourire aux lèvres.

« J’ai prié pour la guérison de notre princesse ma Reine. » avança timidement une de ses servantes. Une femme discrète, dont chaque geste était compté, mais qui était d’une efficacité redoutable.
« J’espère que vous avez également prié pour la mort de ses rebuffades. » Souffla Octavia avec un brin de lassitude, et la servante se confondit en une simple révérence et s’éloigna sans répondre, ce qui laissa la reine songeuse.

Saluée par les nobles de la cour et les petites gens sur son passage, elle leur accordait un signe de la tête hâtif et sa silhouette disparaissait rapidement sous le bruit de ses pas pressés. Arrivée à une petite cour ombragée, elle ralentit l’allure et contempla avec une certaine émotion son fils à l’ouvrage. Le fer de l’épée chuintait dans l’air, dans une mélodie qui lui était souvent venue aux oreilles par la force d’Arsenios. Petit déjà il avait montré les mêmes dispositions que son père et en grandissant cette impression n’avait fait que se renforcer, la comblant d’une admiration béate. Parfois elle aurait aimé revenir au temps où elle pouvait le bercer amoureusement mais c’eut été le desservir que d’agir de la sorte aujourd’hui. S’il n’était pas appelé à régner, il n’en demeurerait pas moins un allié de taille pour sa sœur et l’on pourrait sûrement le voir à la tête de son armée. Il manqua cependant une passe et l’épée de son instructeur s’abattit lourdement sur son épaule, laissant la reine sans souffle. Sa main se contracta autour des deux médaillons qu’elle portait et elle se hissa sur la pointe des pieds, à l’écoute d’une éventuelle plainte de douleur mais seul l’écho d’un rire maladroit lui parvint. Il n’y avait guère à cette heure-ci que l’ego de Lucius qui était blessé. S’avançant enfin, elle gratifia son fils d’un sourire tendre mais l’on voyait dans son regard que la leçon n’était pas loin. « N’ayez l’esprit qu’à votre combat et aux conseils de votre professeur. C’est une maladresse que vous auriez pu éviter. » Elle se garda bien de l’embrasser sur la joue comme son envie le lui dictait et préféra s’éloigner et le laisser à son enseignement. Elle n’était pas n’importe quelle mère, elle forgeait les futures têtes pensantes de l’état et en cela elle devait se montrer plus exigeante, ce qui n’était pas une épreuve facile. Elle supportait le poids d’un règne depuis de trop nombreuses années pour ne pas connaître les sacrifices que cela demandait.

Continuant sa route, son esprit s’égara à son prochain rendez-vous de la matinée, un de ceux qu’elle n’aurait voulu manquer pour rien au monde. En temps normal elle se serait dirigée vers les appartements de sa fille, mais depuis quelques temps les relations avec son aînée étaient difficiles et elle était bien en peine à savoir à quoi Izhelindë occupait ses journées quand le bruit d’un nouveau scandale ne la rattrapait pas. Elle s’arrêta d’ailleurs, stupéfaite par une conversation dont elle saisissait sans mal les propos et qui attaquaient directement la jeune princesse et son nom. L’identité des courtisans lui échappait, mais la sévérité de leur jugement la rendit blême de colère et elle eut toutes les peines du monde à étouffer l’indignation qui montait à ses lèvres.

« Majesté… » Ils exécutèrent des révérences maladroites, le visage rouge de confusion et le regard perdu par la surprise. Pourtant ils auraient du savoir qu’un couloir n’était pas l’ami des confidences, ni des railleries d’ailleurs.
« Allons donc… » Commença-t-elle avec une telle austérité que ce fut leur tour de changer de couleur. « Je suis surprise de vous trouver si peu affairés quand le travail ne manque pas. Dois-je moi-même vous confier une tâche qui sera à la hauteur de vos talents ? » Il ne leur fallut pas plus de quelques secondes pour disparaître de son champ de vision et la laisser seule à ses réflexions. Elle n’ignorait pas que chaque fait et geste de son aînée faisait les gorges chaudes de la cour mais y être aussi cruellement confrontée était douloureux. Il fallait qu’elle en parle à son époux, mais ce dernier était totalement sous le charme de la princesse et il lui pardonnait trop facilement ses incartades. Et voilà qu’on commençait à lui prêter des aventures avec des gens du peuple… Elle allait réduire à néant la réputation de la famille avant même d’être montée sur le trône… Que n’était-elle restée sa toute petite fille, son ange ?


Sois réaliste. Ce qui te chiffonne réellement c’est que l’on parle d’avantage d’elle que de toi maintenant… Chassant d’un revers de la main cette pensée, elle pénétra enfin dans la pièce où elle prenait son petit déjeuner chaque matin avec son époux. Un rituel auquel Arsenios avait cédé malgré l’énormité des tâches qui l’attendait. Elle profita qu’il soit seul pour se tenir derrière lui et venir l’embrasser dans le cou, le cœur soudain plus léger puis s’attarda d’une caresse sur son bras alors qu’elle prenait place à ses côtés. « Bonjour Monsieur mon époux. » Déjà on déposait un bol de fruits frais et une tisane devant elle. « Je ne vous ai pas entendu vous lever. Vous devenez fort à ce jeu. » Le taquina-t-elle, sachant les trésors d’attention qu’il mettait à ne pas faire de bruit lorsqu’il quittait le lit conjugal. C’était la règle, s’il échouait elle avait le droit de le garder un peu plus auprès d’elle et de lui faire subir mille tourments. Elle laissa échapper un soupir de bien être et commença à picorer dans son assiette. Les fruits lui avaient été conseillés par un apothicaire car malgré leur goût aigre ils aidaient à conserver la vitalité du corps. C’était plus une épreuve de les avaler qu’autre chose mais elle s’y pliait avec grâce car elle croyait en voir les effets. « Les nouvelles sont-elles bonnes aujourd’hui ? »
De cette simple phrase elle invitait Arsenios à lui confier tout ce qu’il avait sur le cœur, ce qu’il faisait mais toujours avec une réserve toute masculine, soucieux de lui éviter les pires détails. Elle était habituée à voir l’horreur en face et pourtant il n’en démordait pas. Parfois il venait cherchait ses conseils. Elle, venait toujours quêter son approbation pour la tenue de la maison et les dépenses indispensables. Avec les années c’était des tâches qui s’étaient naturellement glissées dans leur routine de couple, et qui ne leur demandait pas plus d’effort que de respirer.
« … Ainsi j’ai envoyé une troupe pour sa capture… Il est temps que ses agissements cessent… »
« J’enverrais mes dames prier pour la réussite de cette mission. Nous avons trop besoin de bonnes nouvelles en ce moment… »
« Avez-vous parlé à Izhelindë ? » Avec son aplomb et sa franchise naturelle, Arsenios venait de mettre le doigt sur un détail qui la fit tiquer.
« Devons nous vraiment aborder les sujets fâcheux dés le matin ? »
« Allons allons… Ma douce… »
« La vérité Arsenios c’est que je suis bien en peine de trouver quoi lui dire. Mes différentes tentatives n’ont menées à rien. Pour cette fois je vous en laisse la charge… » Et devant le tour que prenait son expression ill n’osa insister. Le silence prit place pendant quelques minutes avant que leur discussion ne reprenne vie et que soient réglés les détails de cette journée qui s’annonçait.