Cavalcade au petit matin {pv Aislin} [terminé]

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Cavalcade au petit matin {pv Aislin} [terminé] 106anne

CAVALCADE AU PETIT MATIN

lore-85 ; idao

Scarlett avait un petit rituel hebdomadaire auquel même la Chute du Bouclier sept ans plus tôt n'avait pas pu mettre fin. Elle se levait tôt, enfilait sa tenue de cavalière noire et blanche et montait sur son palefroi en direction de Perllan. Elle traversait la ville silencieuse, presque encore endormie qui savourait les instants de paix après la fuite des créatures, ignorant les odeurs de chairs brûlés et les cris des blessés lorsque son chemin l'amenait trop près des fortifications, le bas de son visage chastement protégé par une bande de tissus qui la préservait de la puanteur de la mort. La jeune femme avait beau être un assassin elle ne s'épanouissait pas pour autant au milieu des cadavres. Elle n'hésitait pas à faire accélérer sa monture pour dépasser plus vite les cortèges de soldats exténués qui rentraient à la caserne voulant à tout prix éviter la présence d'autres êtres humains au maximum. Ce moment de la matinée, à l'approche de l'aurore n'appartenait qu'à elle. C'était un moment sans devoir, sans responsabilités, sans avoir à assumer un rôle, à se soucier ne serait-ce qu'un minimum du protocole. Parfois même le faste devenait ennuyeux. Elle voyait dans cette promenade-là un souvenir du temps où toute petite, elle rêvait encore de devenir rôdeuse. Flattant l'encolure du hongre alezan, elle le fit ralentir après l'avoir senti glisser une fois de trop sur les pavés lisses. Elle ne voulait pas risquer qu'il tombe et se casse quelque chose. Elle tenait par trop à ce cheval pour lui laisser arriver quelque chose. Après tout cet animal était plus fiable que la majorité des gens qui vivait à la cour. Elle laissa échapper un petit rire à cette pensée, éclat de joie pure qui se répercuta contre les façades sombres et ternes. L'effet en fut étrange et l'instant d'après, la jeune femme se sentit curieusement mal à l'aise. Rire ici semblait presque tabou. Après tout, ces gens ne connaissaient probablement plus le moindre bonheur depuis la Chute. Elle rassembla ses rênes et reprit son chemin dans un silence religieux. Etrange que les bas quartiers soient soudain devenus comme sacrés. Ceux qui vivaient ici étaient des martyrs et lorsqu'on voulait parler des catastrophes qu'Inasmir avait provoqué, il n'était pas rare que les conditions de vie atroces de ceux qui habitaient près des murailles subissaient.

Elle chassa de son esprit les mauvais souvenirs et les pensées moroses qui accompagnaient systématiquement ce moment de la promenade. Et puis elle finissait finalement par atteindre le Jardin Princier de Perllan, désert à cette heure matinale qui lui offrait alors un terrain de jeu vraiment unique. Son moment à elle. Il n'y en avait vraiment qu'un par semaine et il se trouvait là dans ce petit moment où le Jardin, déserté par les courtisanes et les gentilhommes, ne semblait appartenir qu'à elle. Elle prenait généralement une grande inspiration puis enfonçait ses talons dans les flancs de son cheval avec un grand cri barbare pour le faire s'envoler à grandes foulées dans les allées désertes. Elle prenait les tournants trop serré, laissait ses cheveux voler au vent, cessait de se comporter comme une dame pour retrouver la spontanéité qui l'avait si longtemps caractérisée. C'était dans ces moments de paix parfaite, d'harmonie avec l'univers qu'elle se sentait vraiment le mieux. Il n'y avait pas de monstres, pas de complots, il n'y avait qu'elle, son cheval et un terrain de jeu immense. Voilà bien une chose dont elle ne se lassait pas. La journée, cet endroit était un lieu de guimauve livré aux mains tremblantes des couples. On venait ici pour compter fleurette, c'était bien connu. Et Scarlett ne supportait pas la guimauve ou les romances. L'eau de rose lui donnait la nausée. Il y avait eu au fil des ans, un certain nombre de jeunes hommes pour vouloir l'emmener ici afin de poser leurs mains moites sur elle au détour d'une allée mais elle avait toujours refusé. Et avait parfois joué de sales tours aux plus tenaces, comme leur organiser un rendez-vous avec une veuve. Sans préciser l'âge de cette dernière... Il y en avait plus d'un qui avait du être surpris de découvrir une femme de l'âge de leur grand-mère en lieu et place de la jouvencelle à laquelle il s'attendait.... Elle était tellement occupée par ses pensées qu'elle faillit bien ne pas voir la personne sur laquelle son cheval se précipitait inexorablement. Et qui ne dut son salut qu'à un réflexe de dernière minute. Le palefroi broncha mais s'écarta de l'importun avant de consentir à s'arrêter quelques mètres plus loin. Scarlett le fit volter et s'approchant, s'enquit de l'état de la personne qu'elle avait manqué d'écraser.
▬ Eydis soit bénie, j'ai bien cru que j'allais vous faire piétiner. J'espère que vous allez bien, je suis navrée, je me pensais seule à cette heure.

L'inquiétude qu'on lisait dans son regard était sincère, car il n'était pas dans le caractère de la jeune femme, tout assassin qu'elle fusse de faire du mal gratuitement.

▬ Contributions à l'histoire : 1030

Aislin appréciait le calme des jardins princiers au petit matin. Lorsqu’elle se trouvait à Cathairfàl elle ne manquait jamais de s’y rendre. Harassée par les combats de la nuit elle dirigea ses pas vers un coin tranquille sur lequel elle était tombée quelques années auparavant. Rassurée sur le sort de sa jument elle n’avait plus qu’une envie: se coucher et dormir. Ivre de fatigue elle n’avait même pas eu le courage de récupérer sa couverture. Elle aurait certainement pu coucher dans un vrai lit si elle l’avait désiré mais Aislin préférait l’herbe tendre qui lui servait de couche depuis si longtemps.

Un sentiment de lassitude envahit tout son être. La mort, la mort, encore la mort… A quand remontaient les derniers souvenirs de joies véritables? Un visage s’imposa à ses pensées mais elle le chassa aussi rapidement que possible. Elle ne voulait plus penser à lui.

Aislin aidait les soldats chaque fois qu’elle le pouvait mais certaines nuits se révélaient plus dures que d’autres. Elle avait vu mourir une personne de trop au cours de la nuit. Un jeune homme, presque un enfant. Ils étaient si nombreux à rejoindre les rangs des combattants… Aislin avait l’âme en peine de voir ses jeunes vies si peu formées prendre les armes. Certains d’entre eux avait passé presque autant d’années dans le chaos qui semblait désormais devoir durer éternellement que sous la protection d’Innasmir. Lorsque l’assaut avait été lancé elle avait vu le visage pâle mais déterminé se figer d’horreur. Aislin avait bien essayé de le garder à l’œil mais il lui avait échappé bien trop rapidement. Elle l’avait retrouvé agonisant et s’était fait un devoir de le soulager. Qu’Eydis la pardonne…

L’envie de hurler sa rage la prit soudain mais elle parvint à se contenir. Si seulement ils parvenaient à localiser la source de toutes ces attaques! Aislin et d’autres rôdeurs étaient persuadés qu’il s’agissait d’une rémanence de Vorlun mais des années de surveillance de la forteresse maudite n’avaient pas confirmé cette hypothèse. Finalement c’est à peine s’ils en savaient plus sur l’ennemi maintenant qu’à la fin de la Grande Guerre.

Aislin se rendit compte qu’elle était bien trop harassée pour parvenir à maintenir une cohérence entre ses pensées. Celles-ci semblaient bourdonner et se chevaucher dans sa tête sans qu’elle n’en puisse rien tirer. La frustration qui ne semblait plus la quitter depuis des mois était plus forte que jamais.

La fatigue prit le dessus et Aislin bascula dans un automatisme presque inconscient. Elle continuait d’avancer dans la bonne direction alors même qu’elle était déjà au bord de l’endormissement, elle savait que lorsqu’elle arriverait à "sa place" elle se laisserait tomber en boule et ne se relèverait plus avant de nombreuses heures.

Un bruit soudain lui fit tourner la tête. Une cavalière approchait à toute vitesse. Abrutie par la fatigue Aislin contemplait avec détachement l’animal se rapprocher à une vitesse des plus alarmantes sans esquisser le moindre geste pour se mettre hors de portée. C’est lorsqu’elle vit l’expression de panique de la cavalière qu’elle sortit de sa torpeur et fit un bond de côté.

- "Eydis soit bénie, j'ai bien cru que j'allais vous faire piétiner. J'espère que vous allez bien, je suis navrée, je me pensais seule à cette heure."

Aislin fit face à la jeune femme une colère sourde et tout à fait injuste l’enflammant soudain. Sa colère retomba immédiatement lorsqu’elle vit l’inquiétude sincère que reflétaient les prunelles de son interlocutrice.

- "Rassurez-vous tout va bien. Je croyais également être la seule à profiter des lieux de si bon matin."

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L'inconnu s'avéra finalement être une inconnue. Tentant de calmer son palefroi qui n'avait visiblement pas compris pourquoi on s'arrêtait pour si peu, elle détailla son interlocutrice. Il était clair qu'elle n'appartenait pas à la noblesse. Ses vêtements, sa mise, ses cheveux emmêlés et son visage couvert de suie ne faisaient que renforcer plus cette certitude. Tout dans son visage indiquait un grand état de fatigue et lorsqu'elle l'observa de plus près, la jeune femme comprit à qui elle avait affaire. La personne qui se tenait en face d'elle ne pouvait appartenir aux garnisons de la capitale, elle n'en portait pas l'armure traditionnelle et après une nuit telle qui venait de s'écouler ceux qui se trouvaient de garde n'avaient eu qu'une hâte, regagner la caserne. Pourtant elle portait sur elle tous les signes indiquant qu'elle avait participé à la bataille. L'arc qu'elle avait dans son dos la rapprochait encore de la caste guerrière mais son accoutrement ne la rapprochait pas de ceux qui vivaient dans le Quartier des Forts, bien au contraire. Restait une dernière solution. Elle venait de l'extérieur et était venue prêter main-forte à ceux qui défendaient les murailles. Et pas en tant que mercenaire, sans quoi elle ne serait pas venue errer dans ce coin de Perllan. Elle devait donc appartenir à la dernière catégorie et c'est pour cette raison que Scarlett démonta pour la saluer comme elle se devait. Exécutant une révérence parfaite, elle se présenta selon les règles de l'art.
▬ Qu'Eydis me pardonne, je n'avais pas compris qui vous étiez, dame Rôdeuse. Permettez-moi de vous remercier pour la protection que vous nous assurez. Je suis Scarlett de Vinter, diplomate de la cour.

Son oncle avait passé de longs moments à lui apprendre les saluts et les voeux qu'il convenait de présenter lorsqu'on croisait un membre des différentes castes humaines qui peuplaient maintenant Lanriel et ce à quoi elle faisait référence. Les de Vinter s'étaient toujours montrés courtois avec tous ceux qu'ils rencontraient et il était purement hors de question que je manque à cette réputation. Ils entretenaient, et ce depuis fort longtemps, des relations de courtoisies et même d'amitiés avec les gens les plus divers. Leur réseau s'était autrefois étendu à travers tout Lanriel mais avec lorsque la Chute du Bouclier avait emporté les vies de ses parents, celui-ci s'était effondré et elle s'efforçait tant bien que mal de le recréer. Cette rôdeuse inconnue pouvait constituer un très bon point de départ à une relation qui pourrait profiter à tout le monde. Se redressant avec toute la grâce dont une jeune demoiselle parfaitement éduquée était capable, elle prit son parti de faire comprendre à la rôdeuse qu'elle ne lui était pas hostile. Certains singuliers traitaient bien mal ces gens qui constituaient en quelque sorte la dernière ligne de défense contre les Forces du Mal et il était logique qu'une certaine méfiance se soit installée des deux côtés. S'avançant vers son interlocutrice, sa main délicatement posée sur les rênes, elle s'apprêtait à déclarer sa sympathie pour ses semblables lorsque son cheval renacla, manquant de lui arracher les rênes. C'en était trop pour la jeune femme qui se tourna pour le morigéner dans les règles de l'art.
▬ Il suffit Nimit! Cesse de faire le bébé! Tu vois bien que ce n'est pas un monstre! Nous avons croisé des cadavres la semaine dernière, tu n'as même pas bronché... Et tu vas me faire croire que c'est un être vivant t'effraye à ce point?!

L'animal coucha les oreilles mais s'abstint de faire le moindre mouvement hormis celui que les rênes lui imprimait. Le jardin retrouva soudain son calme et à nouveau, Scarlett fut frappée par la quiétude étonnante qu'il y régnait et qui contrastait tant et tant avec l'atmosphère industrieuse de la ville en journée ou les manoeuvres des soldats en soirée et juste avant l'aube. Elle secoua la tête pour se tirer de ses rêveries et adressant un sourire rayonnant à la jeune femme en face d'elle, se décida à lui proposer quelque chose. Elle ne pouvait clairement pas se reposer là, même si elle y avait probablement établi son campement. Si un des membres de la Cour la trouvait là, il était certain qu'il en ferait une crise d'apoplexie...
▬ Vous avez l'air exténuée, très chère. Néanmoins, je vous déconseille de piquer un somme ici. Un de ces crétins qui viennent compter fleurette dans le Jardin en journée risquerait de ne pas apprécier et vous auriez des problèmes avec la Garde. Je peux vous offrir l'hospitalité, à vous et à votre monture, si vous êtes en mesure de supporter le trajet jusqu'au quartier de la Couronne. Ou je peux faire mander mes gens, si vous êtes trop fatiguée, ma calèche viendra nous chercher pour nous ramener...

Elle savait que les rôdeurs ne se déplaçaient quasiment jamais sans leur fidèle monture et après tout, ses écuries disposaient de suffisamment de place pour accueillir un pensionnaire de plus. Avoir la rôdeuse au manoir lui permettrait de s'enquérir des dernières nouvelles du monde en plus d'avoir le plaisir d'avoir quelqu'un à qui parler qui ne se mêlait pas de la politique propre à la Cour. Si Scarlett s'y amusait follement, elle devait avouer qu'elle regrettait parfois de ne pouvoir s'en éloigner ne fut-ce qu'un peu.

▬ Contributions à l'histoire : 1030

Aislin regarda avec attention la dame qui la dévisageait du haut de sa monture. Malgré la tenue de cavalière et le foulard qui couvrait le bas de son visage Aislin savait que ce n’était pas une femme de cour comme les autres. Aucune d’entre elles n’auraient fait de promenade à cheval de si bon matin et encore moins une ballade nécessitant de traverser les zones qui n’avaient pas encore été déblayées des cadavres de la nuit. Déblayés, comme des ordures.

Sa surprise augmenta encore lorsque la femme descendit de sa monture pour s’incliner devant elle. Elle ne devait pas encore avoir compris à qui elle avait affaire… N’avait elle point remarqué la crasse qui la maculait de la tête au pied et son allure grossière ?

- Qu'Eydis me pardonne, je n'avais pas compris qui vous étiez, dame Rôdeuse. Permettez-moi de vous remercier pour la protection que vous nous assurez. Je suis Scarlett de Vinter, diplomate de la cour.

Aislin haussa les sourcils. Ainsi la personne qui la fixait avec tant d’intensité savait parfaitement qu’elle appartenait à la classe la plus méprisée de la société. Et pourtant elle lui manifestait une certaine déférence. Voilà qui demandait méfiance, car méfiance est toujours mère de sûreté… Un éclair de compréhension fusa dans son esprit pourtant épuisé. Scarlett de Vinter. En bonne rôdeuse Aislin laissait ses oreilles traîner partout et elle avait entendu des tas de rumeurs sur la famille de Vinter. Et plus particulièrement encore sur Scarlett. On disait d’elle qu’elle était la main armée du roi, l’exécutrice des basses œuvres, en un mot comme en cent : l’assassin privé de sa majesté Arsenios. Elle serait également, d’après ouïe dire, l’alchimiste fournissant à l’armée les poisons les aidant à lutter contre les créatures infernales qui les assiégeaient chaque nuit. Qu’une femme eut réussi à s’imposer dans ce genre de tâche était un tour de force en comparaison avec les blasonnées à qui l’on infligeait généralement une éducation qu’Aislin jugeait abrutissante.

Elle inclina la tête pour montrer son respect à son interlocutrice sans pour autant faire la révérence.

- Scarlett de Vinter. J’ai entendu parlé de vous. Je suis Aislin Basmath, rôdeuse comme vous l’avez deviné.

La femme semblait l’observer avec une attention redoublée et il sembla à Aislin qu’elle contemplait à travers ses yeux les rouages d’un esprit vif et calculateur. Un esprit en cet instant entièrement concentré sur elle. Lorsque la blasonnée s’approcha son cheval renâcla. Aislin était en général plutôt appréciée des animaux qu’elle mettait d’instinct en sécurité mais elle savait qu’elle portait sur elle les odeurs des batailles de la nuit. Des odeurs de poison et de mort. Scarlett morigéna l’animal auquel elle semblait attachée.

- Il suffit Nimit! Cesse de faire le bébé! Tu vois bien que ce n'est pas un monstre! Nous avons croisé des cadavres la semaine dernière, tu n'as même pas bronché... Et tu vas me faire croire que c'est un être vivant t'effraye à ce point?!

Aislin fixa la maîtresse et son compagnon. Ce qu’elle venait de dire ne faisait que confirmer ses soupçons quant à la nature exacte des activités de son interlocutrice. Elle s’abstint d’esquisser le moindre geste.

- Ne vous inquiétez pas, votre ami doit certainement ressentir les douleurs de la nuit que porte mon odeur. Et peut être un peu aussi celle de la jument qui m’accompagne habituellement …

Elle appréciait que Scarlett ai eu recours à la parole et non aux coups avec l’animal. Elle voyait trop souvent les blasonnés recourir à la cravache… En revanche elle était agacée d’avoir croisé le chemin de la jeune femme car il lui semblait désormais difficile de s’établir en catimini dans le parc. Elle allait devoir se chercher un nouvel endroit.

C’est alors que Scarlett prit la parole, comme en écho à ses pensées.

- Vous avez l'air exténuée, très chère. Néanmoins, je vous déconseille de piquer un somme ici. Un de ces crétins qui viennent compter fleurette dans le Jardin en journée risquerait de ne pas apprécier et vous auriez des problèmes avec la Garde. Je peux vous offrir l'hospitalité, à vous et à votre monture, si vous êtes en mesure de supporter le trajet jusqu'au quartier de la Couronne. Ou je peux faire mander mes gens, si vous êtes trop fatiguée, ma calèche viendra nous chercher pour nous ramener...

Aislin fronça plus encore les sourcils si c’était possible. Une singulière bien placée à la cour lui offrait l’hospitalité. Elle nota dans un coin de son esprit qu’elle ne semblait pas porter les autres nobles dans son cœur. Par contre lui proposer l’appui d’une calèche montrait bien que Scarlett ne connaissait pas aussi bien qu’elle le pensait les mœurs des rôdeurs. C’était presque lui faire un affront, mais elle ne le retiendrait pas dans la mesure où la blasonnée l'avait déjà agréablement surprise en plusieurs occasions au cours de la conversation. Elle était très tentée par l’offre qu’on venait de lui faire mais elle savait qu’on n’avait rien sans rien et qu’une contrepartie lui serait rapidement réclamée. Restait à évaluer quelle serait cette contrepartie.

Elle se doutait que la forte personnalité qu’elle avait en face d’elle n’avait pas besoin de protection. Quoi alors ? Des appuis auprès des autres communautés ? Des informations ? Possible. Probable même. Une chose semblait sure. Ce n’était pas le genre de femme à avoir besoin d’une amie.

Aislin hocha la tête pour montrer son accord.

- Il faudra en priorité que j’aille chercher Ysves. prévint elle néanmoins. Les soldats lui ont fait une place à l’écurie. Ce n’est pas très loin.

Ses phrases ni très longues ni très polies devaient sans doute confirmer le caractère infréquentable qu’on prêtait aux rôdeurs mais en cet instant elle s’en moquait. Tout ce qu’elle voulait c’était de pouvoir enfin se reposer. Elle avait chevauché une bonne partie de la veille et s’était peu reposée avant de se joindre à la bataille de la nuit. Elle aurait donné n’importe quoi pour pouvoir au moins s’asseoir. Aislin savait néanmoins que sa jument serait fraîche, elle n’avait en effet pas voulu risquer une blessure pendant l’attaque et l’avait laissée toute la nuit à l’écurie.

Elle se rappela qu’il lui restait une chose à dire et plongea le regard dans celui de Scarlett.

- Merci.

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La Rôdeuse sembla s'interroger un instant sur les raisons de l'affabilité de Scarlett, preuve qu'elle ne devait pas avoir l'habitude d'avoir affaire à des gens polis régulièrement. Puis son visage s'éclaira et elle sembla trouver la réponse à une question intérieure et lui répondit finalement. Elle avait entendu parler d'elle hein... Elle imaginait sans mal quel genre d'échos elle avait pu avoir. Certains des aristocrates de la cour ne se gênaient absolument pas pour l'appeler la catin en rouge tournant en dérision le titre de la lady sanglante qu'un poête enfiévré lui avait un jour donné. Elle avait envisagé de l'empoisonner au vu de l'humiliation qu'elle avait ressenti d'être poursuivie de la sorte et avec si peu de retenue. À la place, elle s'était contentée de lui faire ingurgiter un laxatif qui avait du lui tordre les boyaux pendant une bonne semaine. On faisait courir toutes sortes de rumeurs sur son compte, au point que des parents dont les enfants avaient disparu étaient venus lui demander des comptes. Son interlocutrice devait avoir une image relativement mauvaise d'elle si elle avait entendu les mauvaises personnes.
▬ Enchantée Aislin. Ah vous avez entendu parler de moi. Je vous rassure tout de suite, la deuxième de mes têtes est en vacances et j'ai arrêté mon régime à base d'enfants. Beaucoup trop contraignant.

L'humour restait la meilleure de ses armes contre ses détracteurs et elle devait avouer qu'elle s'amusait énormément des gens qui se montraient assez stupides pour raconter ce genre de rumeurs idiotes sur la main gauche du roi. Le fait d'éclater de rire aurait destabilisé n'importe qui et Scarlett était toujours ravie de mettre mal à l'aise ceux qui croyaient pouvoir la juger. La vérité était qu'elle méprisait souverainement les bien pensants qui lui faisaient la leçon. Elle était là pour faire le sale boulot, pas pour faire des risettes et des révérences. Sans les de Vinter et leurs mains pleines de sang, les Hardansson auraient eu bien du mal à garder le trône. Et dire que tout ça découlait d'un complot. Se tournant vers son cheval à la remarque d'Aislin, elle flatta son encolure. Nimit était un bon cheval, elle en était consciente. Il était courageux, relativement intelligent et fiable. Mais il avait ses humeurs et il leur arrivait de se disputer.
▬ Le sang ne l'effraye habituellement pas. Il aime juste se faire remarquer et il n'a pas apprécié d'être stoppé dans son élan. Nous nous comprenons tous les deux et il nous arriver d'avoir des querelles de vieux couples. Mais la plupart du temps nous nous entendons bien. Quant à votre jument, je doute qu'elle le perturbe beaucoup, Nimit a été castré et il est d'ordinaire très sociable.

Elle vit la jeune femme réfléchir à sa proposition, s'interrogeant visiblement sur ce qu'elle avait derrière la tête. Scarlett ne s'en entendait pas à moins de la part d'une Rôdeuse. Elle devait dire qu'elle avait une relativement mauvaise opinion des gens qui acceptaient tout et n'importe quoi sans se poser de questions. Elle considérait que c'était une faiblesse périlleuse de ne pas se méfier un minimum ; aussi laissa-t-elle à Aislin tout le temps nécessaire pour réfléchir à ce qu'elle voulait faire. Elle finit par accepter.
▬ Je comprends que vous vous inquiétez pour votre monture. Je n'en attendais pas moins de quelqu'un comme vous.

Elle savait que les Rôdeurs n'étaient pas bavards. Encore une raison pour laquelle elle n'aurait pas pu devenir l'un d'eux. Scarlett aimait parler. Elle aimait faire des discours, être remarquée. Elle n'était pas faite pour une vie où l'anonymat était un lieu commun. Elle fut néanmoins surprise par les remerciements inattendus. Les semblables d'Aislin étaient connus pour ne pas verbaliser ce genre de choses. Lui souriant et l'invitant d'un geste à avancer, elle prit le parti de marcher à ses côtés, ne voulant pas se placer plus haut que son interlocutrice.
▬ Je vous en prie, Aislin. Vous vous êtes battues pour nous, pour cette cité, cette nuit. Je ne peux pas décemment vous laisser dormir dehors. J'ai beau être une catin de noble, j'ai tout de même un certain sens de l'honneur et des convenances. Vous vous reposerez et ensuite nous parlerons. J'ai besoin de nouvelles du monde voyez-vous et si vous devez rester ici un petit moment autant que vous sachiez à quoi vous en tenir... Il y a des gens et des choses à éviter à Cathairfál ces derniers temps.

Consciente qu'Aislin tombait probablement de sommeil, la jeune femme prit son parti de commencer à retourner vers la ville et ses casernes, espérant que son interlocutrice ne prendrait pas mal cette prise d'initiatives.

▬ Contributions à l'histoire : 1030

Aislin fut amusée de la répartie de Scarlett. Ainsi la jeune femme n’ignorait rien des rumeurs qui courraient sur son compte…

- Les enfants seront soulagés de l’apprendre je n’en doute pas. Mais je ne suis plus une enfant. Et quelques têtes supplémentaires ne constituent pas un gros inconvénient pour moi…

Elle espérait que cette réponse mi figue mi raisin serait suffisante pour que Scarlett comprenne qu’elle ne lui était pas hostile. Si Scarlett de Vinter servait le roi de la manière dont on le supposait il y avait sans doute une raison. Nul n’ignorait qu’une histoire commune attachait les deux familles l’une à l’autre depuis des générations, pourtant cette histoire conservait une grande part de secret.

L’échange entre la noble et sa monture lui arracha un sourire fatigué. Ysves lui opposait parfois une résistance similaire par simple caprice et leur relation s’apparentait davantage à la routine d’un vieux couple qu’à celle d’une maîtresse et sa subordonnée.

Scarlett lui laissait le temps de réfléchir à sa proposition sans interrompre le cour de sa pensée. Elle imaginait sans peine que si la situation eut été inversée la femme en face d'elle aurait sans doute fait preuve de la même prudence. Lorsqu’elle accepta enfin elle eu l’impression que le visage de sa vis à vis s’éclairait fugacement. Se pouvait-il que mademoiselle de Vinter, l’une des personnes les plus importantes de la cour, se sente seule? Sa mère lui avait dit qu’avec de grands pouvoirs arrivaient de grande responsabilité et elle se souvint s’être sentie soulagée à l’idée qu’elle n’en avait aucun. Aislin aimait sa liberté. Elle apprenait aujourd’hui qu’avec de grandes responsabilités arrivait aussi une grande solitude. Elle ne ressentit pourtant aucune pitié à l’égard de Scarlett. D’une part parce que sa conclusion pouvait se révéler erronée, et d’autre part parce qu’une personne comme Scarlett dégageait une telle puissance intérieure qu’on pouvait difficilement lui accoler un sentiment comme la pitié.

- Il faudra en priorité que j’aille chercher Ysves. prévint elle néanmoins. Les soldats lui ont fait une place à l’écurie. Ce n’est pas très loin.

- Je comprends que vous vous inquiétez pour votre monture. Je n'en attendais pas moins de quelqu'un comme vous.

Aislin faillit éclater de son rire. Une partie d’elle voulait lui demander ce qu’était "quelqu’un comme elle" mais elle résista à l’idée de la provoquer inutilement alors qu’elle venait juste de lui offrir l’hospitalité. D’autant plus que la remarque de Scarlett démontrait qu’elle avait une opinion relativement positive des rôdeurs et c’était un fait suffisamment rare pour être apprécié. Les soldats qu’elle aidait régulièrement semblaient éprouver des sentiments très amicaux à son égard eux aussi, mais Aislin savait que cela tenait aussi à la réputation plutôt légère que l’on accordait aux femmes seules qui portaient les armes… C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle refusait leur hospitalité. Si c’était parfait pour Ysves elle préférait éviter de risquer sa peau à cause d’un soldat libidineux. Aislin se savait de taille à résister à n’importe lequel des soldats mais elle n’était pas assez présomptueuse pour penser qu’elle tiendrait tête à plusieurs d’entre eux. Le jardin princier lui avait semblé très correct et la solution provisoire s’était par trop éternisée. Ces réflexions plus que tout autres rappelèrent à Aislin qu’elle devait se montrer reconnaissante à Scarlett et la poussèrent à la remercier. Ce n’était pas forcément dans ses mœurs mais Aislin savait s’adapter à celles des autres et elle avait conscience qu’elle n’était parfois pas très expansive verbalement. Elle pensait beaucoup mais parlait peu, c’était un de ses défauts les plus problématiques.

- Merci.

- Je vous en prie, Aislin. Vous vous êtes battues pour nous, pour cette cité, cette nuit. Je ne peux pas décemment vous laisser dormir dehors. J'ai beau être une catin de noble, j'ai tout de même un certain sens de l'honneur et des convenances. Vous vous reposerez et ensuite nous parlerons. J'ai besoin de nouvelles du monde voyez-vous et si vous devez rester ici un petit moment autant que vous sachiez à quoi vous en tenir... Il y a des gens et des choses à éviter à Cathairfál ces derniers temps.

- Nous y voilà　! pensa-t-elle intérieurement. Des informations, c’étaient bien de cela qu’il s’agissait. La pauvre risque d’être déçue, on apprend pas grand chose d’utile en politique lorsqu’on passe son temps dans les marais…

Aislin comprit qu’elle avait peut être blessé Scarlett en évoquant ce qu’elle avait entendu. Elle haussa les épaules, fataliste. Elle n’en pouvait plus et s’était sans doute montrée un peu brusque mais après tout Scarlett connaissait fort bien les mœurs que l’on prêtait aux rôdeurs, ça la conforterait un peu plus dans ses opinions. Aislin ressentit un petit pincement. Elle se faisait plus dure qu’elle ne l’était. En réalité elle avait été vraiment touchée par les remerciements de la blasonnée. Ce n’était pas tous les jours qu’on reconnaissait que les rôdeurs apportaient leur pierre à l’édifice. S’ils étaient plus robustes que les singuliers, ils n’en étaient pas moins mortels…

Aislin suivit Scarlett. Elle la remercia intérieurement de l’accompagner à pied. Cette manière de se mettre à son niveau, bien qu’inhabituelle, lui mettait du baume au cœur. Bien qu’elle fut consciente qu’il s’agissait sans doute d’une manœuvre de séduction visant à gagner sa confiance Aislin ne se sentait pas en danger près de Scarlett en cet instant. La blasonnée avait gagné son respect sur d’autres points qui lui semblaient bien plus importants.

- Vous êtes une personne très intéressante Scarlett. se contenta-t-elle de dire.

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Elles commencèrent à avancer dans les allées fleuries, Scarlett savourant le fait de marcher tranquillement tout en ayant une conversation qui n'avait pas pour base un échange de piques et d'agressions à mots cachés. Elle sentait la méfiance chez son interlocutrice mais la chose ne l'inquiétait pas plus que ça. C'était la preuve qu'Aislin avait une tête bien remplie et que la jeune femme pourrait s'y fier. Qu'elle ne risquait pas de faire quelque chose de regrettable par ignorance ou bêtise. Le simple fait de la voir peser ses mots indiquait qu'elle avait un sens relatif des convenances et qu'elle cherchait à garder la conversation sur le terrain de la stricte neutralité. Une brise parfurmée, qui sentait les fleurs et l'herbe fraîche, loin des remugles des rues qui les attendaient un peu plus loin réussit à dégager une des longues mèches noires du chapeau de la jeune femme qui vint soudain lui barrer le front. D'une main délicate, elle la dégagea et soulevant son couvre chef, elle la replaça.
▬ Allez dire ça à leurs parents. Voilà trois ans seulement que j'occupe le poste de diplomate personnelle du roi à la Cour et je suis déjà devenue un croque-mitaine dans toute la capitale. J'imagine que je dois remercier mes "amis" de la cour pour ça...

Elle avait pris consience que ses paroles pouvaient blesser la Rôdeuse ou du moins lui faire penser qu'elle avait sur les siens les préjugés communs à tous les Singuliers. Elle ne voulait pas la braquer mais elle n'avait jamais vraiment eu affaire à l'un des siens. Du plus loin qu'elle se souvienne, c'était cachée dans l'escalier, ou dans un placard, la porte légèrement entrebaîllée qu'elle observait son oncle et ses contacts discuter des dernières affaires qu'ils avaient en cours. Il y avait seulement trois ans qu'elle avait repris son poste et les rôdeurs ne se rendaient pas très souvent à Cathairfál, aussi n'avait-elle guère eu l'occasion de les côtoyer. La vision romantique de l'adolescente avait laissé place aux calculs de l'âge adulte. Elle évaluait chacun des risques qu'elle prenait, se laissait toujours des portes de sorties. Ses élans, son apparente impulsivité n'étaient qu'un leurre. On ne s'attendait à pas à voir une jeune femme de 23 ans se montrer aussi calculatrice...
▬ Ne m'en veuillez pas Aislin, si mes propos vous semblent stéréotypés. Ce n'était pas volontaire. Mon oncle aurait voulu que j'évite de tomber dans ce genre de poncifs mais à l'adolescence je ne rêvais que de quitter la ville pour mener une vie d'aventures. Alors pour me faire passer ce genre d'envie, il m'a envoyé hors de la cité pendant 24h avec un de ses contacts. Inutile de vous dire qu'au retour, je n'avais qu'une envie, retrouver ma salle de bain et mes somptueuses robes.

A ce souvenir, elle eut un petit rire. Elle avait été si idéaliste. Si rêveuse. La chute du Bouclier avait balayé tout ça. Aujourd'hui, elle avait une autorité qui faisait rêver nombre des nobles de la Cour mais les responsabilités qui allaient avec étaient parfois écrasantes. Elle n'avait pas besoin d'amis, elle avait besoin d'alliés. Elle ne cherchait la pitié de personne, elle n'en avait pas besoin. Ses responsabilités avaient beau la rendre parfois aigrie et cynique. Elle les assumait totalement. En revanche, elle avait un besoin vital d'alliés et Aislin constituait un très bon début. Elle n'avait pas l'intention de la manipuler sciemment. De toute façon, la Rôdeuse s'en était déjà probablement rendu compte. Il était temps de jouer franc-jeu. Son interlocutrice n'avait rien d'une Blasonnée habituée des intrigues de couloir et professionnellement, Scarlett se targuait d'être quelqu'un de confiance avec ses associés.
▬ Si par intéressante, vous entendez qui n'hésite pas à faire ce qu'il faut lorsque la situation l'impose, alors je suis intéressante. Je sais que vous vous méfiez de moi, Aislin, je le sens. Et c'est tout à votre honneur... Si vous m'aviez fait spontanément confiance, je me serai inquiétée. La vérité est que j'ai besoin d'alliés. Mon rôle est de protéger la famille royale. Je les défendrai bec et ongle mais je ne peux pas le faire en étant isolée. Peu importe ce que vous savez, ou ce que vous pensez savoir. La chute du Bouclier a coupé net le réseau que nous autres, de Vinter, avions mis des lustres à mettre en place et a laissé le champ libre à toutes sortes d'opporunistes. Je me dois d'être vigilante et de savoir m'entourer.

Elle marqua une pause alors que l'image d'Eawian Mildred-Dylis venait s'imposer. Sa main se crispa sur ses rênes. Elle ne faisait aucune confiance à cette sorcière du premier ordre qui n'était venue à la capitale que pour servir ses intérêts. Elle avait par trop de pouvoir et son manque de loyauté manifeste pourrait vite devenir un problème. Elle envisageait de trouver quelqu'un capable de lui opposer une résistance si par malheur, elle venait à retourner sa veste.
▬ Voilà ce que je vous propose, Aislin. Un accès à mes réseaux lorsque vous en aurez besoin, un asile pour vous et votre jument lorsque vous vous trouverez à la capitale, et un appui financier. La seule chose que je vous demande en retour, ce sont des informations et l'assurance que vous ne toucherez pas à un cheveu de la famille royale, quoi qu'il se passe. Arsenios est un bon souverain et j'ose espérer qu'une fois qu'Izhelindë aura pris conscience de ses responsabilités, elle sera une princesse héritière tout à fait convenable.

Cela dit, elle se mura dans le silence, laissant à son interlocutrice le temps de réfléchir à sa proposition.

▬ Contributions à l'histoire : 1030

Une mèche de cheveux s’échappa du chapeau de Scarlett et Aislin regarda avec attention la blasonnée la remettre à sa place d’un geste gracieux. Difficile de penser que cette jeune fille d’apparence si soignée pouvait porter la mort sur simple demande royale.

- Allez dire ça à leurs parents. Voilà trois ans seulement que j'occupe le poste de diplomate personnelle du roi à la Cour et je suis déjà devenue un croque-mitaine dans toute la capitale. J'imagine que je dois remercier mes "amis" de la cour pour ça...

Aislin s’étonna des allusions répétitives que faisait Scarlett au sujet de ses inimitiés avec certains membres de la cour. Essayait elle par ce biais de lui montrer qu’elle n’était pas comme les autres? Ces confessions candides semblaient bien suspectes dans la bouche d’une femme qui s’était imposée comme gardienne rapprochée de la famille royale au cours des trois dernières années et Aislin eu l’impression qu’il s’agissait d’une comédie jouée à son unique bénéfice. Mais après tout peut être y avait il un peu de vrai dans tout ça. Occuper une place de cette nature devait sans doute attirer les foudres des biens pensant et des jaloux. Aislin ne doutait pas que la cour devait en compter beaucoup.

- Je n’ai que peu de contact avec la cour. commenta prudemment Aislin.

Sa gêne face à la remarque que lui avait lancée Scarlett devait être quelque peu visible puisqu’elle se hâta de lui préciser qu’elle avait conscience que ses propos pouvaient sembler stéréotypés et poursuivit en lui racontant qu’elle avait rêvé de mener une vie de rôdeuse à l’adolescence avant de se rendre compte qu’elle était l’existence réelle des gens de son peuple. Imaginer la personne en face d’elle crapahuter dans les bois ou les marécages lui semblait proprement ridicule. Aislin éclata d’un rire franc.

-Effectivement l’expérience a du être vraiment particulière pour une jeune fille habituée à la ville. Pour ma part je n’ai jamais porté de robes telles que les vôtres et je n’ai guère l’usage d’une salle de bain. Je serai probablement aussi mal à l’aise dans votre peau que vous le seriez dans la mienne… Chacune son rôle.

Aislin était totalement sincère. C’était un précepte qu’elle avait apprit très tôt. Au sein d’une communauté familiale ou plus étendue comme celle des rôdeurs, sur un camp ou dans un palais chaque personne devait tenir sa place. Et chaque place était indispensable au bon fonctionnement de la communauté entière.

Sa réponse assez longue tranchait sans doute avec l’image qu’elle avait donné à Scarlett jusque là. Mais il fallait croire que la proximité de la noble la rendait volubile. Aislin ne se souvenait pas de la dernière fois qu’elle avait eu une conversation aussi longue avec quelqu’un…

- Vous êtes une personne très intéressante Scarlett.

- Si par intéressante, vous entendez qui n'hésite pas à faire ce qu'il faut lorsque la situation l'impose, alors je suis intéressante. Je sais que vous vous méfiez de moi, Aislin, je le sens. Et c'est tout à votre honneur... Si vous m'aviez fait spontanément confiance, je me serai inquiétée. La vérité est que j'ai besoin d'alliés. Mon rôle est de protéger la famille royale. Je les défendrai bec et ongle mais je ne peux pas le faire en étant isolée. Peu importe ce que vous savez, ou ce que vous pensez savoir. La chute du Bouclier a coupé net le réseau que nous autres, de Vinter, avions mis des lustres à mettre en place et a laissé le champ libre à toutes sortes d'opportunistes. Je me dois d'être vigilante et de savoir m'entourer.

La blasonnée marqua une pause et Aislin attendit qu’elle fut prête à reprendre. Elle se doutait que si Scarlett se mettait délibérément à découvert elle s’apprêtait sans doute à lui faire une proposition difficile à refuser.

- Voilà ce que je vous propose, Aislin. Un accès à mes réseaux lorsque vous en aurez besoin, un asile pour vous et votre jument lorsque vous vous trouverez à la capitale, et un appui financier. La seule chose que je vous demande en retour, ce sont des informations et l'assurance que vous ne toucherez pas à un cheveu de la famille royale, quoi qu'il se passe. Arsenios est un bon souverain et j'ose espérer qu'une fois qu'Izhelindë aura pris conscience de ses responsabilités, elle sera une princesse héritière tout à fait convenable.

Le silence que s’imposa sa compagne fit comprendre à Aislin qu’on attendait d’elle une réponse rapide. Quelque peu mal à l’aise elle s’efforça de mesurer les tenants et les aboutissants de cette surprenante proposition. La marche lui permit de réfléchir à la réponse qu’elle pouvait donner. Aislin aurait certainement pu mentir, mais elle préférait faire preuve d’honnêteté.

- Collecter des informations a souvent fait partie de mes attributions. Je n’aurai aucun problème à vous rapporter les bruits du vent. Je peux également vous servir de guide si votre devoir vous emmène à quitter la cité. En revanche il y a des promesses que je ne peux vous faire. Je suis rôdeuse, je combats le Mal. Aucune de mes activités ne peut me conduire à rompre ces serments et à aller à l’encontre de ma moralité. Je ne suis pas une tueuse à gage même si je tue pour ma survie. Et si, hypothèse fort improbable, Arsenios venait à faire allégeance au Mal je ne le soutiendrais certainement pas. C’est à prendre ou à laisser Scarlett.

Elle avait conscience que son outrecuidance pouvait lui coûter le refuge qu’on venait de lui proposer pour la journée mais Aislin était de ces personnes qui retombent toujours sur leurs pieds. Elle était en partie revenue vers la cité afin de faire une petite recherche sur un certain étudiant et les ressources de son interlocutrice auraient sans conteste pu lui être utiles, mais Aislin savait qu’à pactiser contre ses instincts elle risquait de se perdre. Il lui semblait évident qu’elle tiendrait parole si Scarlett acceptait ses conditions. Mais elle n’ignorait pas non plus que ses mots au sujet d’Arsenios pouvaient inquiéter l’assassin royal. Dans le même temps il semblait fort peu probable qu’Arsenios ou sa fille se tournent un jour vers le Mal. En vérité Aislin éprouvait même de la sympathie pour le roi et son héritière. Elle avait aperçu cette dernière de loin de temps en temps et elle lui avait semblé assez atypique pour une blasonnée des hautes sphères. Aislin déplorait régulièrement les préjugés des singuliers à l’encontre des rôdeurs mais elle se rendait compte qu’elle même avait tendance à en développer un certain nombre vis à vis des personnes fortunées.

Tout était désormais entre les mains de Scarlett de Vinter.

Invité

Son discours sur la cour n'avait rien de vraiment important. Il arrivait à Scarlett de parler pour ne rien dire et il fallait se rappeler qu'elle passait énormément de temps au milieu des plus riches et des plus influents des Blasonnés. Elle barbottait dans l'ambiance de la Cour depuis ses 15 ans d'abord comme demoiselle, puis comme héritière de la maisonnée de son oncle et maintenant comme diplomate. Elle n'avait presque rien connu d'autre, aussi ce milieu était-il celui qu'elle préférait aux autres. À la remarque prudente d'Aislin, elle sourit. Nul doute, qu'elle ne connaissait pas la Cour ; les gardes ne laissaient rentrer une personne que si celle-ci exhibait des lettres de noblesse ou si ses atours justifiaient d'une richesse qui pouvait leur valoir une mutation à la garnison des landes si ils osaient lui refuser l'accès au Palais. La Rôdeuse n'aurait même pas pu attendre devant la porte d'apparat. Arsenios ignorait un certain nombre de choses à propos des soldats qui étaient censés surveiller les entrées. Leur zèle avait posé un certain nombre de problèmes au cours des années et Scarlett avait déjà du leur faire la leçon sur le fait de laisser rentrer un Indigent si celui-ci venait avec une lettre de recommandation. Aislin aurait été aussi adaptée à la Cour qu'elle-même dans une armée.
▬ Je me doute, Aislin... J'ai autant de contacts avec la nature sauvage que vous avec les Blasonnés. Nous appartenons à deux mondes différents...

Son éclat de rire la surprit. Agréablement. Elle n'imaginait pas que cette femme habituée à la rudesse des contrées à l'extérieur de Cathairfál être aussi spontanée et avoir un rire si communicatif. Elle se laissa aller à sa propre hilarité en se remémorant à son tour cette journée infernale au terme de laquelle elle avait fini par s'asseoir par terre et déclarer que plus jamais elle ne quitterait son domaine à moins d'y être forcée. Mais elle devait reconnaître que son rôle devait être inconfortable pour une femme habituée à vivre sans avoir à suivre le protocole, qui devrait soudain porter des corsets, apprendre les subtilités de langage selon l'origine de son interlocuteur, les sujets à éviter, les conduites à tenir. La spontanéité à la Cour, il fallait l'oublier. De même que le confort. Les robes de Scarlett avait été aménagées avec le temps pour correspondre à la mode tout en lui permettant de respirer.
▬ Vous n'imaginez pas... J'ai même envisagé de me laisser dévorer par une Arachne pour mettre un terme à mes souffrances. Quant aux robes. Je crois qu'elles sont l'équivalent de l'inconfort que vous éprouvez lors des nuits froides. Certaines vous coupent littéralement la respiration. Mais si on en croit les commères, il faut souffrir pour être belle... Cela dit, ça n'empêche pas quelques modifications, histoire que l'air arrive jusqu'aux poumons...

La réflexion suivante la surprit. Aislin lui redit qu'elle la trouvait intéressante. Venant d'une personne qui avait vu le monde entier ou presque, Scarlett le prit comme un compliment. Si elle avait été un peu plus spontanée et moins méfiante, elle aurait probablement rougi mais il y avait des années qu'elle avait appris à ne plus montrer qu'elle appréciait la réflexion. Elle se contenta donc d'un sourire et d'une gracieuse révérence tout en remerciant son interlocutrice. Puis elle attendit la réponse à sa proposition. Qui ne fut pas décevante, loin de là. Elle connaissait la réputation d'intégrité des Rôdeurs mais la constater faisait plaisir à voir. Elle ne voulait pas recruter un mercenaire. Elle aurait pu le faire mais elle se refusait à mettre la sécurité de la famille royale entre les mains d'une personne dont la loyauté se mesurait aux nombres de pièces d'or qu'on voulait bien lui fournir. Elle voulait quelqu'un qui soit profondément attaché à l'esprit de ce qu'avait toujours été les Hardansson. Les fils d'Hardan. Les fils d'un héros qui avait construit la capitale qui se posait comme le flambeau de la résistance aux Forces du Mal. Plus que des individus c'était une lignée prestigieuse que Scarlett et ses ancêtres s'étaient engagés à protéger.
▬ Je comprends vos réticences et je les accepte. Je ne ferai rien qui vous pousse à rompre vos engagements envers vos gens, Aislin, là n'est pas mon but. Je ne vous demande pas de suivre des gens que je réprouverai. Je ne tue pas pour les mêmes raisons que vous. Je tue pour éviter des coups d'Etat, des assassinats. Je tue des comploteurs, des traîtres, des esclavagistes, des trafiquants. Je ne me pose pas en héroïne incomprise. Je tue et j'assume de le faire. À mon sens, je suis un prédateur nécessaire. Les engagements que ma famille a pris comprend le fait qu'un tyran arriverait sur le trône. Si la lignée principale des Hardansson est compromise, je dois tout faire pour que la famille retrouve son esprit originel. Ce que je vous demande, c'est de m'aider à conserver les choses en l'état...

Cette close dans le contrat, même Arsenios l'ignorait. C'était un engagement qui n'était mentionné nulle part mais qui se transmettait oralement à chacun des de Vinter. Si elle l'avait confié à Aislin, c'était qu'elle savait que celle-ci n'irait pas le crier sur tous les toits. En un sens, les Rôdeurs étaient comme les prêtres. Leur sacerdoce les tenait au secret. Elle se trouvaient seules dans un jardin désert à une heure ou personne ne pouvait les entendre et l'endroit se prêtait à ce genre de confidences...

▬ Contributions à l'histoire : 1030

Aislin grimaça à la mention des robes dantesques que les blasonnées devaient porter. Elle aurait sans doute préféré se porter volontaire pour une opération « jet de poulet hurlant au milieu des basilics » plutôt que d’en enfiler une… Quand au fait de souffrir pour être belle Aislin pensait qu’il n’y avait pas d’affirmation plus ridicule. Elle n’aimait rien tant que la nature sauvage dont la beauté lui coupait parfois le souffle et l’idée même qu’il faille la contraindre la répugnait. Elle appréciait le jardin princier dont chaque plante était pourtant taillée pour la simple raison que c’était ce qui la rapprochait le plus de la nature quand elle se trouvait à la cité. D’autant plus qu’elle ne courrait pas d’autre risque que celui de rencontrer un blasonné mécontent. C’était tout de même moins terrible qu’une rencontre avec un troll non ? Aislin se demandait rarement si elle était belle. La question l’avait toutefois effleurée à plusieurs reprises lors de son histoire amoureuse avec un certain rôdeur. Elle grimaça à nouveau, tout rappel à ce passage de sa vie lui serrait douloureusement le cœur.

Scarlett de Vinter semblait quelque peu surprise de l’intérêt que lui portait la rôdeuse. Il n’y avait pourtant là rien d’incompréhensible. Le seul aperçu de la cour qu'Aislin avait eu se résumait à quelques blasonnés méprisant et cantonnés à jouer un rôle. Rôle qui lui semblait clairement malsain du moins à l’égard des jeunes femmes qui lui apparaissaient presque comme du bétail élevé à satisfaire familles et époux potentiels. La plupart de ces femmes étaient incapables de choisir leur destin. Scarlett de Vinter n’avait peut être pas forcément davantage choisi le sien mais elle lui semblait apte à se soustraire à l’hégémonie mâle. Non pas qu’Aislin fut profondément anti-homme. Il lui semblait simplement que de nombreux hommes parmi les singuliers s’attachaient à faire des femmes des objets. Chez les rôdeurs hommes et femmes étaient égaux.

Elle se tendit davantage lorsque vint la proposition d’hébergement et la demande de service de Scarlett. Soucieuse de savoir si ses paroles avaient portés elle attendit, se rendant compte à la tension de son visage qu’un pli soucieux devait lui barrer le front. Aislin n’était pas entraînée à cacher ses émotions. Certes, les aléas de la vie l’avaient endurcie et certaines choses la touchaient moins que lorsqu’elle était plus jeune mais elle ne ressentait pas le besoin de cacher qui elle était vraiment. Cela tenait sans doute à l’intégrité que ses parents lui avaient inculqués. Lorsqu’on n’a pas honte de soi il devient plus facile de soutenir le regard d’autrui. Aislin savait que son visage n’avait rien de figé et que, bien au contraire, il était plutôt expressif. Elle se mordillait les lèvres lorsqu’elle réfléchissait et il n’était pas rare que concentrée sur une tâche elle tire la langue sans même s’en rendre compte. Ses rares amis s’amusaient souvent de ses tics bien inoffensifs.
Lorsque Scarlett reprit la parole Aislin s’efforça de repousser les pensées parasites qui proliféraient lorsqu’elle était fatiguée et l’empêchaient de porter une totale attention aux évènements extérieurs.

- Je comprends vos réticences et je les accepte. Je ne ferai rien qui vous pousse à rompre vos engagements envers vos gens, Aislin, là n'est pas mon but. Je ne vous demande pas de suivre des gens que je réprouverai. Je ne tue pas pour les mêmes raisons que vous. Je tue pour éviter des coups d'Etat, des assassinats. Je tue des comploteurs, des traîtres, des esclavagistes, des trafiquants. Je ne me pose pas en héroïne incomprise. Je tue et j'assume de le faire. À mon sens, je suis un prédateur nécessaire. Les engagements que ma famille a pris comprend le fait qu'un tyran arriverait sur le trône. Si la lignée principale des Hardansson est compromise, je dois tout faire pour que la famille retrouve son esprit originel. Ce que je vous demande, c'est de m'aider à conserver les choses en l'état...

Aislin prit son temps pour méditer la réponse de Scarlett. Et il y avait en effet matière à digérer. Scarlett reconnaissait officiellement la nature de ses activités montrant par là qu’elle faisait montre d’une certaine confiance envers la rôdeuse qu’elle venait pourtant tout juste de rencontrer. Aislin reconnu en son for intérieur qu’elle ne mettait pas non plus réellement en doute les paroles de l’assassin alors même qu’elle connaissait la nature de ses activités réelles. Aislin était bien placée pour savoir qu’on ne tuait pas forcément par plaisir. N’avait elle pas elle même achevé un jeune homme mourrant quelques heures plus tôt ? Il ne lui semblait pas véritablement de son ressort de juger les activités de sa fameuse interlocutrice. Ce qui était par contre parfaitement inédit pour Aislin était cette petite clause du contrat qui stipulait qu’il était du devoir de Scarlett de préserver le sacerdoce de la famille royale. Jamais elle n’en avait entendu mention et elle doutait fort que les foules soient au courant… Elle se demanda vaguement en quoi consistait le « tout faire » censé rétablir l’esprit originel de la lignée des Hardansson en cas de manquement à leur devoir mais préféra ne pas s’y attacher. Le marché que lui proposait mademoiselle de Vinter lui semblait honnête et promettait de contenter chacune des deux parties.

- Nous avons une tradition orale chez les rôdeurs. apprit elle à Scarlett. Il vous suffit d’énoncer votre part du marché et de promettre de vous y tenir. J’en ferais de même et un contrat oral sera ainsi établi entre nous.

Les rôdeurs n’étaient pas des êtres sédentaires par essence et ils évitaient autant que possible de se charger d’objets inutiles durant leurs pérégrinations. C’est pourquoi les contrats écrits étaient rares. En général les rôdeurs avaient le sens de l’honneur et respectaient la parole donnée. Aislin savait qu’il n’en était pas toujours de même selon les singuliers mais elle se doutait également que cet arrangement satisferait Scarlett qui ne désirerait certainement pas que les petites clauses particulières de son contrat soient accessibles à quiconque poserait les yeux dessus.

Invité

La sortie du jardin se trouvait toute proche et d'où elle était Scarlett pouvait déjà entendre le bruit de la capitale qui s'éveillait. Bientôt les commerces ouvriraient et les horreurs de la nuit ne seraient plus qu'un mauvais souvenir, comme un cauchemar qu'on oublie au matin. Seuls en témoigneraient quelques reliquats. Ici une flaque de sang, là une armure déchiquetée. Les gens passeraient à côté et tous éviteraient soigneusement de poser leurs yeux sur ces preuves évidentes que non Cathairfál n'était pas la riante capitale d'un monde en paix. Cathairfál était une ville chaque soir assiégée par la malédiction de Vorlun qu'elle fut une rémanence de la Grande Guerre ou le témoignage que le grand ennemi de tout ce qui était bon et pur vivait encore. À vrai dire, Scarlett n'en avait cure. Ce qui se passait à l'extérieur ne la concernait que peu. Elle fournissait ses recettes de poisons à l'armée, disséquait parfois quelques créatures pour rendre les armes plus efficaces mais passait le plus clair de son temps loin des batailles et des hurlements. Le tumulte de la guerre qui se menait au dehors n'avait désormais sur sa vie que quelques répercussions comme la difficulté de se procurer quelques ingrédients. Seul le fait de savoir Elvire au dehors, exposée au danger l'inquiétait réellement mais elle tâchait de ne pas le montrer pour éviter d'afficher une faiblesse qui pourrait lui coûter très cher par la suite.

Elle attendait la réponse de la rôdeuse et pendant que celle-ci réfléchissait à sa proposition la jeune femme en profita pour lisser sa robe, consciente qu'une fois qu'elle serait en public, elle serait immédiatement jugée. Le simple fait de venir dans le Jardin si tôt pour y rencontrer une rôdeuse ferait naître des rumeurs et on penserait immédiatement que Scarlett travaillait sur un nouvel assassinat. Il suffisait qu'elle fasse un sourire à une personne dans la rue pour que désormais les commérages les plus fous se mettent à courir. Les Blasonnés de la Cour paniquaient systématiquement ou presque et certains étaient venus l'assurer eux-mêmes de leur fidélité à la couronne. Appréciant peu les racoleurs et ceux qui se traînaient à ses pieds dans l'espoir d'obtenir une faveur de sa part, ce genre de comportement donnait généralement lieu à une enquête approfondie des antécédents de son interlocuteur. Car en plus de vérifier le pedigree et le passé de toute nouvelle personne introduite dans l'entourage proche du roi, la jeune femme mettait un point d'honneur à ne jamais laisser qui que ce soit tromper sa vigilance. Pour cette raison, il lui arrivait de piocher un nom au hasard, celui d'un habitant ou d'un habitué du palais lambda et d'effectuer une minutieuse vérification de ses allées et venues. La normalité pouvait cacher bien des choses et Scarlett détestait les surprises... Finalement la réponse vint.

Enoncer un serment oral dans un jardin désert. Rien de plus simple. Ainsi au moins n'y aurait-il pas de papier gênant qu'il faudrait conserver quelque part au risque qu'un fouineur un peu trop chanceux tombe dessus. S'associer avec Aislin n'avait rien de douteux mais les temps présents étaient périlleux et la jeune femme ne devait rien laisser au hasard. Levant sa main droite, comme elle avait souvent vu le faire son oncle lorsque lui-même passait un marché avec un allié.

"Moi, Scarlett de Vinter, diplomate personnelle du roi, m'engage sur l'honneur à fournir nourriture, logement et protection à Aislin Basmath, rôdeuse de son état et à ne pas la contraindre à des actes contraires à son code durant toute la durée de notre association. Un accès privilégié à mes réseaux d'information ainsi qu'une contrepartie pécunière lui seront assurées.

Elle espéra que cette promesse respecterait les usages en vigueur chez les Rôdeurs et attendit que son interlocutrice eut annoncé sa propre partie du contrat avant de l'inviter d'un geste à se diriger vers les rues de la ville, quittant le Jardin Princier.

▬ Contributions à l'histoire : 1030

La sortie du jardin se profilait déjà et les oreilles aux aguets d’Aislin percevaient l’agitation qui accompagnait le réveil de la cité. Dès ce moment la capitale était lavée du sang qui avait coulé pendant la nuit. Chacun vaquerait à ses occupations, tentant d’ignorer que des hommes et des femmes avaient donné leur vie dans l’obscurité pour leur permettre d’ouvrir leurs petits commerces. Un pli amer tordit la bouche de la rôdeuse, mais après tout, elle n’était pas sans savoir qu’après la mort la vie était plus que nécessaire. Seule cette vive agitation permettait de donner une raison de se battre aux soldats. Protéger. C’était ce qui leur importait le plus… Qu’importe s’il s’agissait de protéger leur roi, leur famille, eux mêmes ou de simples inconnus. Cette mission de protection était l’unique ambition qui les réunissait tous.

Elle observa du coin de l’œil le petit manège de Scarlett. Si la jeune femme n’avait pas semblé prêter attention à son apparence pendant leur conversation, les bruits à l’extérieur du jardin lui rappelaient son rôle et ses obligations. Dès qu’elles en seraient sorties la discrétion n’aurait plus cours. Si contrat il devait y avoir celui-ci devait être scellé maintenant. La blasonnée s’arrêta. Le regard qu’elle lança à Aislin lui fit comprendre que sa proposition était acceptée. Un serment allait être prononcé dans le secret de ce jardin.

- Moi, Scarlett de Vinter, diplomate personnelle du roi, m'engage sur l'honneur à fournir nourriture, logement et protection à Aislin Basmath, rôdeuse de son état et à ne pas la contraindre à des actes contraires à son code durant toute la durée de notre association. Un accès privilégié à mes réseaux d'information ainsi qu'une contrepartie pécuniaire lui seront assurées.

Aislin sourit de la formule très solennel que Scarlett de Vinter utilisait. Mais après tout cela signifiait qu’elle prenait la chose au sérieux et Aislin n’exigeait rien d’autre. Elle se résolu à employer le même langage que son interlocutrice.

- Moi, Aislin Basmath, rôdeuse, m’engage sur l’honneur à fournir des renseignements et à servir de guide si la situation l’exige à Scarlett de Vinter, diplomate personnelle du roi de son état, et à ne pas porter préjudice à son roi tant que ses actes ne sont pas contraires à mon code moral durant toute la durée de notre association. En contrepartie logement, nourriture, protection et informations me seront assurés.

Aislin hocha la tête. Si le contrat pouvait sembler déséquilibré à quiconque il n’en était rien. La rôdeuse n’était pas sans ignorer qu’en s’associant à Scarlett elle apportait plus que des renseignements à la jeune femme. Aislin portait en elle une parcelle du pouvoir rôdeur. En s’alliant à Scarlett elle lui offrait un accès, certes minimes, à l’influence et au vivier d’informations que constituait la branche rôdeuse.

Ayant saisi la raison de la gêne de Scarlett elle se résolu à prendre les devants.

- Scarlett, je pense me rendre seule chez les soldats pour récupérer ma jument. Une jolie femme comme vous y attirerait des attentions dont vous vous passeriez fort bien. Je vous rejoindrez chez vous. dit elle en guise d’excuses.

Aislin attendit que la blasonnée fut sortie et profita de l’attention qu’on lui portait pour se faufiler hors du jardin princier dans la plus grande discrétion. Après tout il n’était bon pour aucune d’entre elles qu’on les vit trop souvent ensemble. Elle adressa un signe de tête discret à la jeune femme et partie au pas de course récupérer sa jument.

Nul doute que cette association se révèlerait des plus intéressantes.

» Les braises de la nuit sont des cendres au matin
» Les fous ne font que rêver à voix haute ▬ Pv Aislin
» La poule aux oeufs d'or (Aislin et Madwyn)
» ♥ Pardonne moi, Si la douleur remue tout, Qu’elle me broie… ♥ Aislin & Accolon [ABANDONNE]
» Aislin Basmath~ Une aventurière solitaire... bien entourée!