Aislin Basmath~ L'enfant des Voies Oubliées [VALIDEE]

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Galoper. Se donner au vent. Il n’y avait rien au monde qu’Aislin puisse aimer davantage que de sentir Ysves sa jument voler à travers les plaines. C’était une sensation indéfinissable pour elle que de partager cet instant magique entre tous avec l’animal qu’elle avait élevé depuis sa naissance. Il lui fallait pourtant ralentir, elle ne voulait pas pousser sa monture au delà de ses forces d’autant plus que la journée du lendemain promettait d’être tout aussi épuisante. Alors qu’elle savourait ces instants privilégiés avec sa compagne une pointe de culpabilité l’assaillit.

Elle regrettait presque d’avoir laissé le roi et sa citadelle livrés à leurs propres ressources face aux créatures infernales qui les assaillaient chaque nuit. Et pourtant elle savait qu’elle avait fait le bon choix. Aislin était une rôdeuse, elle avait voué sa vie à combattre le Mal et pour elle le Mal prenait sa source dans une forteresse maudite au cœur des marécages de Dorcha Dùil. C’est là-bas qu’elle passait la plupart de son temps à surveiller ce qui restait de la puissance de Vorlun et elle s’y dirigeait en cet instant à la vitesse de l’éclair. Elle repensa fugitivement à ce foutu sorcier qui avait laissé tomber tout le monde. Si elle avait su que c’était lui qu’elle avait croisé fuyant vers le nord en bonne compagnie elle n’aurait certainement pas fait preuve de la même discrétion!

Elle se traita mentalement d’hypocrite. Quitter la citadelle lui avait aussi offert la sensation libératrice de ne plus être soumise au regard de ces dames de la cour qui, toutes d’étoffes précieuses vêtues, ne manquaient jamais de lui lancer un regard condescendant. Pauvre petite rôdeuse aux vêtements tachés, elle ne sera jamais une daââme, elle! Aislin haussa les épaules en souriant, elle savait qu’elle avait de nombreuses qualités mais la sociabilité n’en faisait définitivement pas partie.
Revenant au présent elle flatta l’encolure d’Ysves en se demandant distraitement si elle retrouverait rapidement un de ses compagnons du Refuge vers la forteresse. Aislin appréciait la solitude mais les marais étaient infestés de trolls et ces bêtes là étaient coriaces et malheureusement tout aussi voraces. Elle avait beau être une chasseuse hors pair ses rencontres précédentes avec les échantillons du genre l’avaient convaincu qu’il valait mieux les éviter autant que possible. En plus elle était partie précipitamment lorsqu’il lui était parvenu le bruit que la forteresse s’agitait et elle n’avait pas pris le temps d’acheter de nouvelles pointes pour ses flèches. Ça ne la préoccupa pas longtemps, il lui restait heureusement des têtes en silex qui feraient parfaitement l’affaire. Aislin fit la moue en pensant qu’il lui faudrait s’en occuper sitôt le feu allumé. Habituellement elle appréciait ce moment où naissait de ses doigts agiles son moyen de subsistance mais ce soir là elle n’avait pas vraiment la tête à ça.
Elle avait l’impression que depuis quelques temps le monde s’assombrissait. Son pessimisme soudain l’étonnait. L’éternelle optimiste si encline à voir ce qu’il y avait de meilleur en chacun, toujours prête à engager sa lame dans une noble cause, sentait soudain une angoisse monter dans sa poitrine. Tous les signes lui indiquaient que le monde allait changer, comme si l’air lui-même en portait la marque ou devenait plus lourd, moins facilement respirable. Elle secoua la tête pour effacer ces pensées si peu réjouissantes et décréta qu’il était temps de s’arrêter pour la nuit.

Elle prit soin de trouver un endroit herbeux pour son amie avant de creuser un trou dans le sol pour démarrer son feu. Elle serait bien aise la nuit tombée de pouvoir s’y réchauffer et elle connaissait suffisamment la région pour savoir qu’il n’attirerait pas de bestioles assez grosses pour lui porter véritablement préjudice. Elle savait également où trouver les racines qui la rassasieraient pour la nuit. C’était une de ses nombreuses spécialités, une de celles qui s’apprend de rôdeur en rôdeur. Aislin adorait son peuple, contrairement à certains elle n’enviait pas la normalité toute relative des singuliers. Elle broya machinalement les racines avant de les mélanger à un peu d’eau et de placer la pâte ainsi obtenue sur le feu. Elle s’assit sur ses talons tout près du foyer pour surveiller la cuisson de la préparation à l’air si peu appétissant mais qui se révélait toujours des plus nourrissantes.

Les flammes dansaient dans le miroir de ses yeux. Le feu fascinait Aislin, tout comme chacun des quatre éléments. Elle vivait au plus près de la nature depuis son enfance dans les Voies Oubliées et l’avait toujours respecté, lui étant reconnaissante des bienfaits qu’elle lui accordait. Il y avait une salamandre dans la maison de ses parents lorsqu’elle était encore adolescente et elle se souvint lui avoir maintes et maintes fois porté des braises pour le repas. Les salamandres étaient si gentilles… Elle avait rencontré Ysves beaucoup plus tardivement et avant la jument la petite salamandre avait été sa meilleure amie. Aislin avait un don avec les animaux. Le personnage en question vint manifester son mécontentement en lui soufflant bruyamment dans le cou si bien qu’Aislin prit un air contrit.

"　 - Non ma vieille, pas d’avoine ce soir. Je sais que tu aimes bien ça mais nous n’en avons pas à portée de main.　"

Ysves laboura le sol de son sabot, signe de son intense mépris, avant de déclarer forfait et de se détourner d’un air boudeur. Aislin éclata de rire et reporta aussitôt son attention sur le repas qui en avait profité pour commencer à brûler. Elle le retira précipitamment du feu en jurant et lorsqu’elle se tourna vers elle la jument planta son regard dans le sien sans ciller comme pour lui signifier que c’était bien fait. Si Ysves l’accompagnait dans chacun de ses périples elle n’en aimait pas moins son petit confort et elle était très rancunière. La jument au caractère bien trempé était la digne héritière spirituelle d’un certain âne dont la légende dit qu’il attendit des années avant de rendre le coup de pied qui lui fut donné par un singulier… Aislin l’adorait.

Elle finit son dîner rapidement et passa directement à la confection des flèches. C’était toujours le moment pour elle de poser ses réflexions du jour, de dresser ses plans du lendemain. Cette phase de la journée était également très importante dans la mesure où l’arc demeurait son arme de prédilection et lui servait chaque jour. Elle se souvint de la manière dont elle avait obtenu son premier arc…

Lorsqu’elle s’entraînait elle devait toujours utiliser l’arc de son père. Même s’il n’était pas très adapté elle arrivait parfaitement à toucher toutes les cibles immobiles. Son père avait alors décidé de l’emmener en raid car il était temps pour elle "　d’apprendre à vivre en milieu hostile　". Le moment de s’approvisionner était arrivé et ils avaient aperçu un faon.

"　- Vas-y Aislin, avait il dit, c’est le moment.
- Oh papa, mais c’est un faon　! Ils sont si mignons　! s’était exclamée Aislin
– Ma chérie, avait rétorqué le patriarche, crois-tu que si le faon aimait manger des petites filles il hésiterait à te transformer en dîner　?　"

Vaincue par l’argument de son père qu’elle détestait décevoir Aislin avait mis le faon en joue avec beaucoup de regrets. Au moment où elle tirait il l’avait bousculé légèrement et la flèche avait été se loger dans un tronc. Le faon avait détalé sans demander son reste certainement surpris d’avoir été épargné tandis qu’elle regardait l’homme d’un air incrédule. Il lui avait adressé un sourire tendre et rieur.

"　 - Tu respectes ton père ainsi que toutes les personnes qui t’entourent Aislin et c’est une bonne chose. Mais je ne serais pas toujours là pour te guider. Un jour il faudra que tu prennes tes propres décisions et que tu saches défendre tes opinions. C’est une des leçons les plus importantes que je dois t’enseigner. A part ça… Très joli tir. Tu l’aurais certainement eu.　"

Ce soir là c’est éperdue de gratitude envers son père qu’Aislin rentra à la maison. Elle portait, triomphante, le fruit de la pêche qu’il lui avait appris à faire à mains nues. Après le repas sa mère avait précautionneusement déposé un paquet sur la table. C’était un arc léger et adapté à la petite fille qu’elle était, son tout premier. Celui qui marquait le début de son initiation aux secrets des rôdeurs.

De cette journée elle avait retenu deux choses essentielles. La première était de se montrer impitoyable en cas de besoin. La seconde était de toujours défendre ses convictions, de faire preuve d’intégrité envers elle même. Aujourd’hui encore c’était son credo.

Revenue au présent Aislin s’aperçut qu’elle avait avancé sa besogne beaucoup plus qu’elle n’en avait réellement besoin.

"　- Décidément j’ai un fond nostalgique ce soir　! " lança-t-elle à sa jument avec un petit rire.

Il était temps d’aller se coucher. Elle avait pris soin de se mettre dans un endroit difficile d’accès mais ça ne lui suffisait pas. Elle prit la peine de piéger tous les accès en plaçant des grelots aux endroits stratégiques. Quiconque tenterait de les approcher dans leur sommeil les réveillerait immanquablement. Même endormie Aislin avait l’oreille fine.

Elle plaça une couverture en peau sur le dos de Ysves et se réserva l’autre. Couchée contre le flan de l’animal elle savoura un instant la sensation de chaleur qui se dégageait d’elle et le bercement de sa respiration qui l’accompagnait tous les soirs. Elles dormaient ainsi depuis plusieurs années et lorsqu’elles étaient dans une auberge Aislin avait parfois du mal à apprécier le confort tant ces rituels lui manquaient. Elle ferma les yeux paisiblement, la main posée sur une arbalète minuscule et flèche encochée cachée sous la couverture. Si quelqu’un avait la mauvaise idée de la déranger au milieu de la nuit il finirait comme un porc-épic avant même de se rendre compte de quoi que ce soit.

La nuit promettait d’être agréable.