ANDELYS ❉ CERWYN [terminée]

« Le bébé sera mort né. Il ne survivra pas, vous êtes bien trop fragile. »
Tels avaient étés les mots proférés par le médecin à Yset Cerwyn, femme de Bran Cerwyn. Yset avait accepté la nouvelle sans broncher, secouant la tête comme en un signe d'acceptation : son second enfant tant attendu ne survivrait pas, bien. Après tout, elle avait déjà un fils et cela lui avait permis de donner un héritier à son mari. Bran, quant à lui, était plus en colère qu'autre chose : les médecins leur avaient donné un avis différent, mais tous avaient été formels quelques mois plus tôt. Yset, avaient-ils dit, était trop faible pour mettre au monde un second enfant après les complications dues à la naissance du premier. Sa femme, trop têtue pour les écouter, était tout de même tombée enceinte et maintenant, elle mettait ses jours en danger pour pouponner à nouveau. C'était tellement ridicule qu'il ferma les yeux pour se contenir.
Bran tourna le dos à sa femme et au médecin, et s'approcha de la fenêtre. Il adorait la vue qu'il y avait de sa chambre, surtout en hiver. Les vagues de la côte de Darya étaient déchaînées, le soleil était caché depuis des jours maintenant. C'était un temps qui donnait encore plus envie de rester chez soi, et il regretta qu'il ne neigea que très rarement de ce côté du pays. Ayant repris ses esprits, Bran tourna la tête. Sa femme enceinte de six mois le regardait avec un air contrit qui le fit sourire malgré lui. Ce n'était pas un mariage comme le leur, un des rares d'amour qui allait se fêler uniquement pour une folie de la nature. Il s'approcha d'elle, et posa la main sur son épaule. Le médecin s'apprêtait à partir, et Yest et Bran s'étaient levés pour le raccompagner lorsqu'un bruit de gouttes tombant en masse sur le sol les interrompit. Tous regardèrent la maitresse de maison, qui s'était arrêtée net. Elle était enceinte de six mois, elle ne pouvait pas perdre les eaux maintenant !
Quelques heures plus tard, Andelys était mise au monde. Prématurée de trois mois, tous disaient qu'elle ne survivrait pas. Ils avaient tort.

Ce n'était pas que Andelys n'aimait pas son frère, Kian, mais elle jetait souvent sur lui un regard lourd de mépris. C'était un garçon, et elle savait très bien qu'il avait pour ça plus d'importance qu'elle aux yeux du monde. Kian ferait perdurer le nom des Cerwyn, alors que la jeune fille ne pourrait que finir sa vie dans la servitude auprès d'un mari qui ne serait absolument pas à son goût. Kian ne la regardait jamais, et s'il le faisait, c'était pour se moquer d'elle. En ces rares moments, il délaissait ses épées de bois pour venir voler, casser, décapiter ses poupées avec un sourire sadique, pour nier en bloc tous ses crimes lorsque leur mère cherchait la provenance des cris. En ces moments, Andelys qui était à peine âgée de six ans, n'avait qu'une envie : frapper, et faire disparaître pour toujours de sa vie ce frère ingrat. La jeune fille n'avait pas été suivie de frères et sœurs, déjà bien trop miraculée elle même pour que ses parents se risquent à faire du mal à Yset et à d'autre bébés. Andelys avait donc été chouchoutée, au même titre que son frère, et n'avait jamais eu à souffrir une quelconque rivalité entre sœurs.

Andelys aimait profondément les côtes de Darya, où le château de sa famille avait été construit, voir et entendre la mer se briser avec fracas contre les falaises, contempler les terres où la végétation poussait pour mourir aussitôt, ces plaines envahies par le sable. Quelques fois, elle se rendait à la capitale mais là bas, c'était différent et elle n'appréciait pas la ville. Elle regardait son père, comprenant la raison de cet exil vers des terres plus reculées, et elle l'admirait. Elle regardait son frère, de quatre ans plus âgé qu'elle, et l'admirait aussi. Elle savait qu'il deviendrait un homme plus puissant que ne l'était son père, et voyait dans ses yeux un désir d'être plus fort et d'aller beaucoup plus haut que la famille ne l'avait jamais été. Elle espérait secrètement pouvoir profiter un peu de cet ascension, et se jurait de ne pas se marier avant que son frère ne soit devenu fort, afin de pouvoir choisir son époux. Elle regardait souvent Kian, du haut de sa fenêtre, s'entrainer aux arts du combat. Andelys savait qu'il allait devenir un grand guerrier. Elle tentait de faire bonne figure et de paraître forte, pour qu'il ait une haute opinion d'elle.

Andelys grandit. Elle garda ce caractère fier, et ce désir irrépressible de faire sans cesse plaisir à ses parents et surtout à son frère. Son père se faisait vieux, et elle savait qu'il lui faudrait peu de temps avant qu'il ne trépasse. Elle songeait à cette éventualité avec un pincement au cœur, mais elle savait au fond d'elle qu'elle ne verserait sûrement jamais une larme pour cela. Son père était un homme bon, mais il manquait fondamentalement d'ambition, et l'avènement de son frère en tant que maître de la famille marquerait le début d'une nouvelle ère pour les Cerwyn. La jeune fille devint jeune femme, et elle devint l'une des plus belles femmes des côtes. Elle était consciente du regard que lui lançaient les hommes des villages, lorsqu'elle s'y rendait en cheval ; ou encore de celui que les femmes lançaient à ses cheveux blonds, presque blancs, et son visage angélique.

Andelys fut promise à un homme, Alaric, lorsqu'elle eut seize ans. Il était de deux ans son aîné, et elle le connaissait bien : leurs familles étaient amies et ils passaient souvent quelques semaines d'été sur les côtes, dans le château familial. Pendant quelques semaines, elle se demanda pourquoi elle avait été promise au cadet plutôt qu'à l'aîné, Allistair. Le cadet était beau, c'était indéniable : un regard sombre, des cheveux noirs... Il était son parfait opposé. La jeune femme savait bien qu'ils formeraient un beau couple, et qu'elle accoucherait de magnifiques enfants ; pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de tourner les yeux vers l'aîné, qui avait cinq ans de plus qu'elle. Ses cheveux étaient bruns, mais plus clair que son frère, et ses yeux - bien que vairons - portaient sur elle un regard bienveillant qui la faisait se sentir en sécurité. Lorsqu'il parlait, tout le monde l'écoutait. C'était un homme plein de charisme, et qui plaisait beaucoup à Andelys. Lorsqu'elle eut seize ans, lui et son frère vinrent rendre visite à la famille Cerwyn. Ils venaient s'enquérir de l'alliance prochaine des deux familles, qui n'attendait que les premiers sangs de la promise pour se conclure définitivement. La jeune femme avait peur qu'ils ne vinrent jamais, et qu'elle ne puisse jamais donner d'héritier à personne. Le jour de l'arrivée du frère aîné, elle eut ses premières règles. Le mariage pouvait dès lors être célébré.

Alors qu'elle regardait son futur mari, son frère et son père partir pour la capitale, du haut de la plus haute tour du château, Allistair vint lui rendre visite. Le visage d'Andelys était fermé, et ses yeux étaient tristes. Elle ne doutait pas qu'elle trouverait un semblant de bonheur dans les bras d'Alaric, mais savait qu'elle ne serait jamais vraiment heureuse. « Tu n'aimes pas mon frère. » lui avait-il dit. Ce n'était même pas une question, juste une affirmation qui avait fait sursauter la jeune femme. Elle s'était retournée. « Mes préférences vont à un tout autre homme. » La jeune femme fit une pause, avant de continuer. « Mais la vie est ainsi. Je ne peux que me contenter de ce qui m'est donné. »  Allistair ne dit rien, mais fixa sa future belle sœur sans ciller. Elle fit de même, et ils restèrent ainsi un long moment avant d'être appelé. Ils descendirent tous les deux. Quelques heures plus tard, Allistair frappait à la porte d'Andelys et elle lui ouvrait ses bras et ses draps. « Personne n'en saura jamais rien. » s'étaient-ils promis.

Cinq jours avant le mariage, au château des Cerwyn, un scandale éclata. Des représentants du roi vinrent rendre visite au chef de famille et à la maîtresse de maison. L'accusation était grave : les Cerwyn était des traitres. Bran et Yset crièrent d'abord à la calomnie, avant de se résigner : les preuves étaient accablantes, et nul ne pouvait douter que les Cerwyn avaient tenté de faire tomber le roi. La sentence dans ce cas là était simple : une destitution des titres et la tête du chef de famille sur un plateau d'argent. Une seule des deux sentences fut appliquées : Bran et Yset furent décapités quelques jours plus tard, et purent être enterrés. Les titres revinrent à Kian et Andelys, dont les fiançailles avaient été rompues, fut sommée de se rendre au palais. Kian accueilli son départ avec un soulagement évident.

Sur le chemin qui menait au château, la jeune fille ne put s'empêcher de penser qu'après tout, elle était la seule à savoir que les machineries de son frère avaient très bien fonctionné. Elle se jura de ne plus le revoir avant longtemps. En serrant une lanière de cuir contre elle, elle repensait à Allistair « Je ne peux pas t'épouser. Ce serait le déshonneur sur ma famille. ». Décidément, elle avait tout perdu.