RAYNER ☞ ''Fear cuts deaper than swords''

« Mon seigneur, il me fera honneur de servir à la mort le peuple des dragonniers » assura le jeune Brynden d'une voix malheureusement tremblante. Dans la pâleur de l'aube, le jeune dragonnier semblait seulement endormi. Il n'était pas beau, mais la peur avait adouci ses traits taillés à la serpe. Aussi portant-il son meilleur vêtement : une tunique de velours dont le haut col dissimulait une gorge trop longue. Devant le visage si juvénile, Rayner Renfor s'interrogeait. N'était-il pas vu trop peu d'hiver passé pour rejoindre l'escadrille des dragonniers ? N'y avait-il aucun dragonnier plus mûri à Mhian Dhiaga ? Ils n'étaient pas des soldats et encore moins des hommes. Ils sortaient tout juste de l'adolescence, pour la plupart, alors que d'autres lui suggérait un doute. Il ne pourrait pas défendre sa forteresse bien longtemps avec des dragonniers - et des dragons - aussi peu expérimenter. En temps de guerre, ils n'auraient pas survécu à leur premier combat... Rayner connaissait les menaces grandissantes autour de son peuple, et cette nouvelle vague de chevacheur ne le rassurait en rien. « Mon dragon et moi sommes prêts à braver tous les dangers pour notre peuple... » Ray avait mal dormit, la nuit précédente, et il se sentait las comme un vieillard : « Nul d'entre nous ne l'est jamais », lui répondit-il, septique. « À quoi mon seigneur ? », demanda le jeunot dont la subtilité des paroles lui avaient échappé. « À mourir ». À ces mots funèbres, il invita le garçon à quitter la pièce d'un mouvement faible de la main.
À Mhian Dhiaga, la sinistre salle du chef d'armée ne prenait jour que pour de longues et meurtrières rencontres politiques et/ou administratives. Autrefois, les murs étaient recouverts par des tapisseries de chasse en verdures, moment d'histoire, aujourd'hui, il n'y avait plus que ses longs rideaux pourpres ; Rayner Renfor ne pouvait se défendre contre l'impression que l'édifice entier barbotait dans le féminisme. Moindre mal encore, il était assis. Tandis que, conseillers à part, le reste de l'assistance se voyait obligé de rester debout, humblement, ou de s'agenouiller. Un confort que, cependant, il appréciait, avec cette maudite jambe et ses élancements qui ne cessaient d'empirer de seconde en seconde... D'un regard et d'un geste navrés, ser Thranduil Holopainen, dont le beau visage tait gâté par une vilaine tache lie-de-vin, désigna le prochain garçon. Du seigneur au valet, des conseillers aux sentinelles, tous tendait l'oreille, et le malaise général devenait de plus en plus palpable. Tous des enfants, tous des enfants d'écuyer, aucun vrai dragonnier. Ils avaient, certes, le don de maitriser leur dragon, mais ne dépasserait jamais l'âge de trente ans vu leur jeune âge et leur manque flagrant d'expérience. Mais que leur apprenait donc leurs maîtres d'armes et leurs mestres ? Affecter la surprise, Ray n'y songeait plus. Depuis les récents évènements à Cathairfál et l'arrivée inexpliquée de ceux qu'on appelait les Héritiers, tout Lanriel était en ébullition. Chaque monarque et gouverneur avait son lot de pression... Dans ces conditions, comment douter que les premières effusions de sang n'eussent été qu'une question de temps ? Seule demeurait celle d'étancher la blessure au mieux... Il y passa tout l'après-midi. Voir et entendre se vendre chaque nouvelle recrue et les envoyer dans une quelconque légion. Il n'y avait aucune sélection : il manquait tant d'hommes que même les plus faibles avaient leur chance - ou disons leur lot de malheur. Ils ignoraient tous dans quel combat ils s'enrôlaient...
Son vieil et bon ami, ser Daegon Garbach, l'invita, une fois toute l'assemblée vide, d'aller manger quelque chose. Attablés sur la berge, ils déjeunèrent de pain noir, d’œufs d'oie et de poisson frit avec du lard et des oignons. La brume du soir qui s'installait doucement autour d'eux, bientôt, ils en furent réduit à allumer torches et lampes afin de bien s'éclairer dans la noirceur, bien qu'ils n'avaient rien à craindre, leur immense monture d'écaille postée un peu plus loin. Ray s'attendrissait, tout en dévorant une orange. Son visage, quoi que marqué par le temps et l'âge, souriait humblement aux paroles de son meilleur ami. Ils se rappelaient leur adolescence commune au sein de l'armée : « ... et Pan ! En plein pif, tu te rappelles, l'écuyer de ton père, des cloques partout. Et ton père n'a pas le temps de péter que la nourriture vole de tous les côtés dans la grande salle ! » Tandis qu'un rire énorme le secouait, Ray, ému par le souvenir, se dérida lui-même. Il retrouvait bien la fougue de sa jeunesse. Quel adolescent espiègle avait-il été ! Au grand désespoir de son père, Ray n'avait jamais démontrer autant d'immaturité.Ce détail c'était, évidement, corrigé avec le temps et l'expérience des combats. Mais encore aujourd'hui lui arrivait-il de taquiner sa femme et sa fille. Décidément, l'atmosphère lourd et politique de la cité des dragonniers commençaient à jouer sur son moral. Et comme si le destin s'acharnait sur sa vieille carcasse, voilà que sa fille unique revendiquait le droit de défendre la cité comme un homme. Tout cela clair comme de l'eau de roche. Clair au point que Ray dégustait ce déjeuner avec un plaisir oublié depuis trop longtemps et qu'il se surpris à sourire plus spontanément et plus volontiers qu'à l'heure des audiences. Il était fort tard lorsque, ayant posé pied devant sa demeure, il trouva tout son petit monde couché bien au chaud. Ray se para de son épais manteau de fourrure pour retourner dehors, aux côtés de son dragon Òornx. Il s'agissait d'un petit rituel depuis longtemps installé entre le dragonnier et son dragon. Ils observaient ensemble le soleil se coucher ou l'aube se lever. Comme fasciné par cette nature si belle, mais si froide comme un pâle matin de printemps qui frissonne encore un hiver trop tenace. Un rien de fraîcheur nocturne. De l'autre côté de la cour vacillait, aux fenêtres d'Arànhrä, la lueur de quelque chandelle. Rayner ne dissimula pas ce sourire : « Depuis que nous sommes mariés, jamais elle n'a voulu dormir dans la pleine noirceur. Encore une faiblesse de femmes je suppose... » « Attention mon ami, elles sont parfois plus malignes que vous les hommes ». Ray affiche une moue sarcastique ponctué d'un petit gloussement peu convaincant : « J'en doute fort » « Ne sont-ce pas les dragonnes les impitoyables d'entre-tous ? » « Parce qu'elles ont un nid et des œufs à protéger... » « Une femme, quelque soit son statu, se trouve toujours avoir un nid à défendre... ». Ray leva les yeux vers son dragon et lui offrit un regard étonné. Son dragon se prendrait-il pour un philosophe à présent ? « L'absence d'action ne te réussit pas Òornx, il faudra corriger cela ». Un étrange rire rauque rafla la gorge de l'immense créature. Un bruit fort peu commun, mais auquel Rayner s'était accoutumé avec les années. Il sourit à son tour, mais son regard s'assombrit aussi rapidement lorsqu'il déclara avec gravité : « Il nous faudra bien défendre nos hommes... tous des jeunots, trop peu d'hommes et de guerriers » « Nous n'étions pas plus âgés lorsque nous avons rejoint l'armée... » « Mais j'étais fils d'un dragonnier... j'avais reçu l'éducation adéquate » »[/color] Laisse-leur donc la chance de prouver ce que vaux leur courage »[/i] « Je ne peux tolérer l'idée de perdre des dragonniers aussi jeunes ». Òornx détourna le regard pour observer le ciel. S'il craignait lui aussi pour la vie de ses jeunes combattants, il se souciait d'autant plus de leurs dragons. Tant de bêtes mourraient si injustement au combat. Rares étaient les dragons ayant jamais atteint l'âge centenaire. La vapeur de son haleine se mêlait banalement à celle de son dragon tandis que le crépuscule creusait. D'un petit air d'ennui distrait, il examinait le sommet des collines enneigés du Bairr Bàn. Les yeux perdus dans les ténèbres, que scrutait-il ? La lune et les étoiles ? Ou tout simplement les sentinelles du chemin de ronde ? « Il y a bien longtemps que je ne t'avais pas sentit aussi maussade, Ray... » « Et pourtant, j'ai mes moments d'égarements... » « Ce sont les audiences qui te font autant réfléchir ? » « Je n'appelle pas cela des audiences, Òornx. Ces enfants ne faisaient que répéter les vœux d'honneur de grands chevaliers dans leur compte pour enfant. Ils ne connaissent pas les dangers qu'ils iront combattre, ils n'ont jamais vu la mort... » « Ils apprendront... mon ami. » « Mais combien de vies devrais-je perdre alors ? », lui dit-il en se retournant brusquement, l'air hagard et la voix mal assurée. Ce ton grinçant finissait par réduire au silence l'énorme dragon. Il savait, par expérience, qu'il ne devait pas défier son dresseur. Ils avaient été jeunes autrefois, plein de fougue et d'énergie, mais si le temps les avaient peu à peu rattraper, ils avaient aussi développé un fort sentiment d'attachement l'un à l'autre, comme deux bons vieux amis. « Quand quitterons-nous la cité de Mhian Dhiaga pour quelques formalités échangées avec le Roi de Cathairfál ? » « La semaine prochaine probablement. Il me faut d'abord prévenir mes commandants de mes intentions et m'assurer que ser Daegon Garbach et quelques autres hommes de main m'accompagne. Il fut aussi prévenir le Roi afin de ne pas effrayer le peuple. Après tout, nos peuples ne sont pas des alliés depuis très longtemps, cependant je compte bien honorer cette parole donnée par mes aïeul... J'ai songé m'y rendre seul, mais il me faut leur présenter un échantillon convenable du peuple des dragonniers... » Un autre rire rauque secoua l'énorme gorge du dragon qui pencha un peu la tête : « Ta modestie m'étonnera toujours » Ray sourit d'un petit sourire si rondouillard et si penaud que son masque public et sa physionomie privée se superposèrent un instant.
Quelques faibles rayons lumineux venaient éclairer le ciel. Des nappes colorés, rouge et orangé, décorait le signe, signe prometteur d'une autre aurore. Un autre jour se levait sur la dynastie des dragonniers. Les enfants se réveilleraient bientôt, les femmes commenceraient leur tâche ménagère, les guerriers se dresseraient dans le ciel. Ray se redresse lentement, sa jambe droite le faisait toujours horriblement souffrir. Òornx lui prêta son énorme patte comme appuie et une fois son maître bien droit, il s'écarta docilement. Il était temps pour lui de s'envoler. Son impressionnante taille le gênait atrocement et si Ray lui avait offert une immense cours derrière sa demeure, le reste de la cité, elle, ne lui accordait pas ce même confort. Désormais, son dragon vivait dans les montagnes et revenait lorsque son maître lui commandait. Ils étaient comme ça : dépendants l'un de l'autre cependant, ils avaient besoin de se trouver seul par moment. Dans un bruissement d'aile fracassant, il s'envola, saluant dignement son dresseur. Ray l'observa, un instant, et lorsque sa masse volumineuse ne fut plus qu'une ombre parmi les nuages, il détourna le regard vers sa propre demeure et gonfla la poitrine. Un autre jour à affronter.