Stranger in a strange land ♠ pv. Inzilbeth

credit : BRITISH TOUCH & Mach'

Il n'arrivait pas très souvent à Scarlett de sortir de la capitale pour une autre raison que celle d'un assassinat mais Arsenios manquait de diplomates et, avec la crise annoncée par les prêtres, il avait besoin de quelqu'un de fiable qui ne risquerait pas de céder à l'hystérie ambiante. Le roi de Lanriel voulait consolider encore un peu plus ses alliances avec les dragonniers et il entendait confier cette mission au plus fidèle de ses serviteurs quelles que soient ses objections... Ne pouvant décemment désobéir à un ordre direct de son souverain, la jeune femme s'était mise en route non sans s'assurer qu'il était bien au courant des dernières intrigues qui se nouaient à la cour, espérant que la colère d'Eydis occuperait les gens suffisamment longtemps pour qu'elle ait le temps de revenir... Alors que la sécurité de sa famille dépendait d'elle, il l'envoyait au loin comme un vulgaire émissaire et rien n'avait semblé ébranler cette résolution... Scarlett avait fait ses bagages, rassemblé son escorte habituelle et pris la route de Mhian Dhiaga après avoir prodigué conseils et consignes à sa maisonnée. D'eux au moins elle était sûre et le souverain n'avait pas pu transiger sur le fait que pendant toute la durée de son absence, l'un d'entre eux serait attaché à ses pas. Lorsqu'elle avait quitté Cathairfál, elle avait eu la certitude d'avoir tout fait pour assurer la pérennité du serment de ses aïeux...

De toute sa courte vie, Scarlett n'avait jamais mis les pieds dans la cité des Dragonniers et maintenant qu'elle l'avait découvert, elle regrettait de ne pas être venue plutôt. La vérité était que ses guerriers et leurs montures reptiliennes la fascinaient complètement. Elle avait déambulé quelques temps dans les rues en compagnie d'un jeune homme que la cité avait détaché auprès d'elle pour lui servir de guide avant de rentrer dans ses appartements au prétexte de s'assurer que ses gens avaient correctement déballé ses paquets. La réalité était qu'elle avait voulu se débarasser de son obséquieux chaperon qui semblait tout simplement la prendre pour une imbécile, lui expliquant les choses d'une voix lente, monocorde, avec un vocabulaire des plus simplifiés. Lorsqu'elle lui avait finalement demandé la raison de cette attitude, elle s'était entendue répondre qu'il essayait de se mettre à sa portée. Toutes ses années de contrôle et d'éducation patiente à se montrer diplomate avaient failli être jetées aux orties devant le brusque désir de gifler l'insolent... Mais elle avait préféré ignorer la remarque pour asséner une critique acérée, voire un peu mesquine, sur l'archaïsme évident des fortifications de la cité... De retour dans ses appartements, la jeune femme s'était ennuyée ferme, jusqu'au moment où elle avait décidé de se prendre en main et de rendre visite à son seul appui potentiel dans cette citadelle isolée...

Elle parcourut encore la description qui lui en avait été faite dans une missive écrite de la main de la Mère Inquisitrice elle-même. Inzilbêth Pinneth. La trentaine, inquisitrice et visiblement peu disciplinée. Envoyée pour "arrondir les angles avec les dragonniers"... Cette expression la fit tiquer. À quoi pouvait bien ressembler un envoyé diplomatique chez les Inquisitrices et quel moyen cette jeune femme pouvait bien employer pour arrondir les angles. Ces questions ne firent qu'accroître sa curiosité et finalement Scarlett se leva, bien décider à rencontrer cette femme. Trouver une inquisitrice dans une cité pleine de dragonniers ne représentait pas un défi de taille et après avoir interrogé quelques soldats, elle finit par tomber sur Inzilbêth au détour d'une allée...

Elle ne pouvait se tromper. Identifier une Inquisitrice n'était pas une gageure puisque toutes celles qu'elle avait croisé... au moins jusqu'à maintenant dégageait une aura subtile mais aisément perceptible qui faisait d'elles ces êtres exceptionnels que le commun des mortels révérait et craignait tout à la fois. S'approchant avec calme, elle salua son interlocutrice.

▬ Vous devez être Inzilbeth Pinnêth... La description que dame Seraphinus a fait de vous est particulièrement ressemblante. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de mon arrivée, je suis l'envoyée du roi, Scarlett de Vinter...

Une entrée en matière calme et directe, sans les circonvolutions qu'utilisaient la plupart des diplomates, voilà ce qui constituait chez la jeune femme la meilleure façon de prendre le contact. Ou du moins le voyait-elle ainsi...

De tous les êtres que Scarlett avait pu côtoyer au cours de sa vie, les Inquisitrices étaient probablement les personnes avec lesquelles elle avait le plus de mal à établir un contact, sans doute en raison de la profession qu'elle occupait. Elle avait peine à se l'avouer elle-même mais les Diseuses de Vérité la mettait mal à l'aise. Pire leur pouvoir la terrorisait complètement. Il y avait une bonne raison à cela. La jeune femme malgré toutes ses bravades avait toujours eu la conscience aigüe de n'être en fin de compte qu'une simple singulière, démunie de pouvoir et bien vulnérable face aux capacités surnaturelles de ses éventuels adversaires. Dépositaires de quelques uns des plus noirs secrets de la monarchie en place, elle n'osait imaginer ce qui se passerait si d'aventure quelqu'un venait à l'en déposséder. Aussi se plaçait-elle généralement hors de portée des contacts physiques de ses interlocuteurs quels qu'ils fussent, sous couvert de ne pas supporter les contacts physiques. De leur côté, les Inquisitrices semblaient toujours se crisper lorsqu'on mentionnait son nom. Il y avait de quoi. Une femme notoirement connue pour assassiner ceux qui menaçaient la couronne n'était pas précisément en tête du classement des invités préférés des Confidentes, aussi chacune de ses rencontres avec une des membres de cet ordre était-il un sujet de tension et d'inquiétude renouvelé.

Pour autant l'attitude de son interlocutrice ne lui sembla pas franchement austère, pour peu qu'elle oublie la façon qu'elle avait eu de tiquer lorsqu'elle avait prononcé son nom ; preuve que si elle ne la connaissait pas personnellement au moins le nom de sa maison ne lui était pas totalement inconnu. Scarlett se détendit, consciente que son attitude influerait probablement beaucoup sur la façon dont cet entretien se déroulerait par la suite. Jetant un coup d'oeil à l'équidé que la jeune femme promenait en longe, elle ne put réprimer un sourire à la pensée de sa propre monture, Nimit, son hongre alezan qui sommeillait probablement dans son box après le voyage depuis la capitale. Prenant conscience de ce que son expression pouvait avoir de bizarre ou d'incongru, la jeune femme se reprit.

▬ Veuillez m'excuser pour cette absence de réponse. J'ai du vous paraître étrange mais je n'ai pu m'empêcher de remarquer à quel point votre cheval est magnifique. J'ai moi-même une passion pour ces animaux... Pour répondre à votre question, ma mission est comme la vôtre. Essentiellement diplomatique. Je suis venue m'assurer de la solidité des traités qui existent entre la capitale et Mhian Dhiaga.Elle marqua une pause. Si le roi avait eu le choix il aurait probablement envoyé quelqu'un de plus doué que moi pour traiter avec les Maîtres de la Citadelle mais en l'occurence les seuls diplomates qui lui restaient se sont avérés être d'infâmes lavettes qui n'auraient pas pu tenir leur place en face des dragonniers. Alors me voilà...

Elle exécuta une révérence parfaite accompagnée d'un petit rire amusé, espérant que son discours donnerait à leur rencontre un côté moins officiel. Elle avait besoin d'une alliée en ces lieux pas d'une interlocutrice qui serait forcée de collaborer avec elle. Les Inquisitrices avaient beau la terroriser, elle savait qu'une relation basée sur une confiance (ou des intérêts) communs lui serait bien plus profitable.

▬ La lettre de la Mère Inquisitrice laissait à penser que vous étiez ici depuis un certain temps et j'ai pensé que vous pourriez m'aider à m'adapter. En me disant par exemple avec lequel de ces soldats je peux discuter, auxquels il ne faut miux pas que je m'adresse et les écueils à éviter... Si vous le voulez bien?

Laissant la question en suspens, Scarlett attendit une réaction de la part de la jeune femme en face d'elle.

Scarlett était habituée au faste, au luxe et elle aimait ça. Elle ne l'avait jamais nié. Elle aimait la Cour, les bals et les intrigues, tout ce qui lui rendait la vie plus intéressante et moins déprimante. Avec la trahison d'Inasmir, avec son métier, la jeune femme n'avait pas vraiment l'occasion de s'amuser et cette mission plus que les autres, le lui rappelait cruellement. Un brusque courant d'air glacé s'engouffra dans l'allée soulevant ses cheveux ébènes pour mordre une nuque délicate à la peau laiteuse. L'air des montagnes. Il lui rappelait combien elle était loin de sa Cathairfál natale. Scarlett n'aimait pas l'ambiance martiale qui imprégnait chacune des pierres de cette maudite citadelle dans laquelle le roi l'avait envoyée pour consolider une alliance inexistante qui s'effondrerait au premier mouvement d'humeur de ces hommes inconstants et colériques qu'étaient les dragonniers. Elle secoua la tête essayant de chasser les idées noires qui rampaient sous son crâne comme autant de créatures répugnantes sans y parvenir tout à fait.

Elle devait rester concentrée sur la conversation, sur sa mission. Plus vite elle aurait fini, plus vite elle pourrait rentrer à la capitale pour retrouver l'antique forteresse des de Vinter, ses promenades matinales avec Nimit, ses soirées indécentes de richesse et son rythme de vie bien rangé. Peut-être y aurait-il un assassinat qui l'attendrait... Même en ces temps troublés, ou plutôt aurait-elle du dire surtout en ces temps troublés, il y avait toujours des opportunistes assez stupides pour croire qu'ils pouvaient tenter tout et n'importe quoi et s'en tirer sans payer l'addition. Elle revint à la réalité considérant la proposition de l'Inquisitrice... De toute façon, elle n'avait clairement pas l'intention d'aborder la politique du roi dans la rue à portée des oreilles indiscrètes.

▬ Ma foi, ce ne serait pas de refus. Discuter de diplomatie dans la rue n'est pas précisément ma tasse de thé. Et puis je dois avouer que le climat des montagnes me glace les os. Je n'ai pas le cuir aussi épais que les lézards volants qui hantent cette cité.

Se disant, elle jeta un oeil à une des massives silhouettes qui survolaient la ville... Les dragons. Des créatures à la fois fascinantes et effrayantes. Sa curiosité naturelle la poussait à se demander ce que pouvaient bien ressentir ceux qui les chevauchaient mais sa propension naturelle à être sujette au vertige tempérait quelque peu ses velléités. Elle reporta son attention sur son interlocutrice qui attendait son bon vouloir... Plus le temps passait, plus cette discussion prenait des airs de partie d'échecs. Il était évident qu'elles essayaient de deviner les motivations de l'autre afin de prévoir son prochain mouvement. Une réaction normale en des temps si troublés. Et satisfaisante pour la jeune Blasonnée. Au moins n'aurait-elle pas à faire à une débutante. Prenant la direction du bâtiment dans lequel se trouvaient les appartements des invités de marque, elle reporta la conversation sur un sujet moins glissant et plus conventionnel.

▬ Alors comment se passe la vie ici? Dites-moi tout.

Suivant l'Inquisitrice dans les dédales de la Cité des Dragonniers, Scarlett continua d'observer son nouvel environnement en le comparant sans vergogne à sa propre forteresse. L'architecture était à ce point semblable que plus la jeune femme arpentaient les rues et plus elle avait l'impression d'être chez elle. Le décalage entre son statut d'aristocrate raffinée et sa demeure austère et militaire avait été évoqué un nombre incroyable de fois par de nombreuses personnes mais pourtant les gens ne semblaient pas s'en lasser. L'enceinte de Vinter était à l'image de la fonction de son occupante. Austère, froide et implacable. Le raffinement dont la jeune femme se paraît n'avait pour but que de déstabiliser ses interlocuteurs et de se faire passer pour une Blasonnée comme les autres. Mais tous les bijoux du monde n'auraient pas réussi à effacer le contact froid de l'acier de la dague qui ne la quittait jamais ou le poids de la bague poison passée à son majeur droit. Un geste innocent, une gracieuse circonvolution de la main suffisait à ouvrir le compartiment caché et à déverser dans le verre de n'importe qui une dose mortelle. L'inquisitrice, comme les autres, semblait avoir été trompée par le luxe invraisemblable de ses tenues et son attitude de jeune femme froide mais frivole. S'asseyant sur la chaise qui lui avait été proposée par son interlocutrice, elle accepta avec grâce le verre de vin qu'on lui tendait mais attendit par réflexe de voir Inzilbêth plonger ses lèvres dedans, faisant danser l'alcool sombre pour le laisser dégager tous ses arômes dans le but de détecter une odeur suspecte.

Elle écouta ensuite la réponse de l'Inquisitrice et son sourire s'élargit franchement. Ainsi Rayner Renfor lui ferait probablement la leçon sur son accoutrement? Amusante perspective si il en était... Elle commençait à comprendre pourquoi Arsenios l'avait envoyée elle et pas quelque obscur diplomate à Mhian Dhiaga. À travers elle c'était la tenacité de la capitale que son souverain voulait prouver à leurs "alliés" du Septentrion. Elle but une gorgée de vin, appréciant la façon dont la chaleur de l'alcool se répandait à travers tout son corps, ensuite elle répondit à l'Inquisitrice.

▬ Je me doute que vous devez avoir entendu parler de ma réputation... Et si ce n'est pas encore fait, ça ne devrait pas tarder. J'ai pu m'apercevoir que des bruits étaient parvenus jusqu'ici et que certains me vouent déjà aux gémonies. Ces imbéciles sont persuadés que je viens servir à leur chef un bouillon dont il n'appréciera pas le contenu... Si Arsenios avait voulu la mort de Renfor Rayner, il serait déjà six pieds sous terre et je n'aurais même pas fait une brève apparition. Mais il semble qu'à Cathairfál la moindre mention d'une mission de diplomatie à Mhian Dhiaga fasse pisser dans leurs chausses tous ses braves aristocrates chargés d'habitude des ronds de jambes politiques. Elle but une autre gorgée de vin. Or une autre partie de ma réputation prétend que je ne me laisse pas impressionner facilement. Les dragonniers ne respectent pas les gens qui s'écrasent et je n'ai pas l'intention de ployer devant un général, même juché sur son lézard géant. Je suis d'accord sur le fait que nous avons besoin d'unité et je ne laisserais pas un homme si lunatique soit-il gâcher les chances de mon roi et de son peuple de traverser cette épreuve en un seul morceau... Elle posa son verre. Et je compte sur vous pour m'aider, dame Pinneth. Vous êtes une Inquisitrice, aussi ne m'amuserais-je pas à jouer la carte de la dissimulation avec vous. Vous avez dédié votre vie à protéger tout ce qui est bon en ce monde et je suis là pour vous aider à réussir dans cette entreprise...