LAMIA •• Un masque peut dissimuler bien des visages...

Pseudo : Pumpkin
Âge : 22 ans
Sexe : A priori féminin
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Il était allongé, pâle, les traits tirés. Il semblait avoir vieilli d'un coup. Jamais elle ne l'avait vu si faible, si fragile, lui qui avait toujours été fort et imposant. Erzebeth frissonna. Il n'en avait plus pour longtemps, elle le sentait. Depuis plusieurs jours, la fièvre l'emportait vers une sorte de délire. Il ne la reconnaissait plus. Que ferait-elle sans lui ? Comment pourrait-elle régir une maison seule ? Elle s'inquiétait temporairement. Avec ou sans homme à ses côtés, elle avait toujours été une femme de poigne et de caractère. Il aurait fallu bien plus qu'un deuil pour l'abattre. Assise sur le fauteuil orné de velours, comme tous les soirs, elle se laissait aller à ses pensées, tout en demeurant présente, au cas où son époux aurait retrouvé sa lucidité, l'espace de quelques instants. Presque une heure s'écoula, avant qu'elle ne décide à se lever. Elle prit sa bougie et était sur le point de sortir, quand un murmure la retint dans la pièce. Elle tendit l'oreille. Cette fois-ci, elle entendit bien distinctement son époux prononcer son prénom d'une voix faible. Elle se précipita près du lit. « Erzebeth... » Elle prit sa main, si froide, dans les siennes. « Qu'avez-vous mon époux ? Désirez-vous quelque chose ? » Sa voix ne redevint alors qu'un murmure étouffé. Il lui fallut quelques secondes avant de comprendre qu'il désirait de l'eau. Elle en remplit un demi-verre, puis, le soulevant à l'aide de ses bras robuste, l'aida à boire. Il sembla alors se sentir mieux et sa voix devint plus claire et assurée. « Ma chère... je n'en ai plus pour bien longtemps, je le sais. Avant de mourir, j'aimerais que vous me fassiez une promesse... » Il fut interrompu par une quinte de toux. Immédiatement, elle lui reprit la main avec ferveur. « Parlez, je vous en prie ! Tout ce que vous me demanderez vous sera exaucé, je vous en fais la promesse ! » Il sembla tranquillisé à ces paroles, mais fit malgré tout l'effort de poursuivre. « Ma nièce n'a plus personne en ce monde, vous le savez, et elle est la fille de la sœur que j'ai tant aimé... J'aimerais... s'il vous plaît, promettez-moi que vous prendrez soin d'elle, comme si elle était l'une de nos enfants. »
Garder Lamia avec elle ? C'était une chose à laquelle Erzebeth n'avait jamais songé. C'était d'ailleurs là l'unique consolation qu'elle aurait pu avoir au décès de son époux : se débarrasser de cette enfant chétive et laide, pour laquelle elle n'éprouvait que de la répugnance. Elle avait espéré la vendre à qui aurait bien voulu d'elle. Elle n'avait pas espéré en tirer un grand prix, la gamine étant devenue boiteuse suite à une chute de cheval, mais au moins, elle ne l'aurait plus eue sous son toit. Elle aurait dû se douter cependant qu'il lui ferait une telle demande. Il était faible avec cette enfant, malgré les fautes de sa mère, une femme qui avait fait un mariage bien désavantageux. Sa famille entière l'avait reniée, à l'exception de son frère. Elle et son mari étaient morts dans la maladie et la pauvreté, et leur avaient laissé sur les bras cette détestable enfant. Malgré ses supplications, il avait voulu prendre soin d'elle. Il l'avait aimée, autant que si elle avait été sa fille, peut-être même davantage, tentant même de contraindre leurs propres enfants à l'aimer. Il n'y était jamais parvenu, et Erzebeth ne pouvait se défendre d'en éprouver une certaine satisfaction. Lamia n'était qu'un inutile fardeau, une enfant de douze ans dont elle espérait se séparer plus que tout. Mais elle voyait le visage douloureux de son époux, l'espoir qui habitait ses yeux. Elle ne put se résoudre à le décevoir dans ses espérances alors qu'il vivait probablement ses derniers instants. « Mon ami, vous avez ma parole. Je prendrai soin d'elle. ». Il ferma les yeux, les traits détendus par le soulagement.

La nuit suivante, il s'éteignit paisiblement.


Plus de dix ans s'étaient écoulés. Dix longues années durant lesquelles elle avait dû faire office de servante vis-à-vis de sa tante, exécutant toutes les basses besognes que l'on voyait comme lui étant destinées. Après tout, elle n'était rien. Elle n'avait pas d'autre parent ni relation au monde, et ne possédait rien ou si peu. Ses espérances étaient quasi nulles. Durant tout ce temps, elle avait été foulée au pied, brimée par sa tante et ses cousins qui semblaient la haïr sous le simple prétexte qu'ils étaient contraints de la supporter sous leur toit. Mais les années s'étaient écoulées, et avec elles, les désirs de liberté de la jeune fille s'étaient accentués. Elle ne rêvait que de partir s'établir ailleurs. Mais devenir la servante, d'une autre famille, il en était pour elle hors de question. Elle désirait un travail où elle aurait la possibilité d'être indépendante. Par deux fois elle avait eu cette possibilité : la première, lorsqu'il lui avait été offert un emploi de couturière. La seconde, lorsqu'elle avait reçu une proposition de mariage de la part d'un forgeron deux fois plus âgé qu'elle. La première fois, sa tante s'était arrangé pour qu'une autre jeune fille obtienne la place. Elle détestait voir sa nièce dans sa propre maison, mais elle aurait détesté encore davantage la savoir indépendante et heureuse. À ses yeux, elle était celle qui avait pris la place de ses propres enfants dans le cœur de leur père. Elle la haïssait et ne pouvait envisager qu'elle connût d'une manière ou d'une autre le bonheur. Quant à la demande en mariage, c'était Lamia elle-même qui l'avait refusée. Elle désirait partir, mais ce prix là était bien trop élevé pour elle.

Erzebeth Lieran avait eu deux enfants de son mariage : le premier, Jon, était un jeune homme fort et robuste, que sa mère adorait plus que tout, mais qui semblait la mépriser. Prenant son rôle de chef de famille à cœur, il avait particulièrement tourmenté Lamia lorsqu'elle était enfant. À présent qu'elle avait grandi, elle appréciait encore moins ses regards et ses attentions trop appuyées, qu'elle trouvait insultantes et déplacées. Il avait été à une époque promis aux plus belles espérances, mais il était devenu joueur, coureur de jupons et dépensait allègrement la fortune de la famille en boisson et compagnies.
Il avait une sœur, Arabella, une créature vaniteuse et coquette, dont la grande sensibilité virait souvent à la sensiblerie. Elle ne songeait qu'à deux choses : la manière d'améliorer encore son apparence et celle de faire un jour un riche et glorieux mariage. Elle n'avait pas la moindre once de jugement, mais ceci était compensé aux yeux de sa mère par sa fantastique beauté. Enfant, elle détestait Lamia et s'amusait à comparer leur visage, à la défaveur de cette dernière. En grandissant, elle lui était devenue absolument indifférente, ne la considérant plus que comme une vulgaire servante.

« Lamia ! »
Au cri de sa tante, elle reposa l'ouvrage de couture qu'elle était en train de terminer et dévala les escaliers pour la rejoindre dans le salon. Elle semblait être de méchante humeur et la jeune femme préféra ne pas lui donner une raison supplémentaire de se mettre en colère. « Vous m'avez appelée, ma tante ? » « Oui. J'aimerais que vous alliez chercher Jon pour moi, il devrait être rentré depuis longtemps. Le pauvre est si occupé qu'il ne voit pas l'heure passer. » Pour elle, le terme « occupé » signifiait que son fils se trouvait à la taverne et Lamia le savait parfaitement. Elle ne le souleva pas, mais ne put s'empêcher de laisser échapper un petit sourire en coin, ce qui mit Erzebeth hors d'elle. « Et bien, qu'attends-tu ? Cours le chercher, au lieu de rester plantée là à regarder les mouches voler ! ». Le tutoiement était le signe qu'elle était réellement excédée, aussi, Lamia préféra fuir au plus vite afin de s'exécuter.
Elle savait parfaitement où il se trouvait. Ce n'était pas la première fois qu'elle venait le chercher dans cet endroit sordide, et elle ne craignait plus désormais de rencontrer les regards d'autres clients. Elle n'eut aucune difficulté à repérer son cousin. Il était seul, avec une bouteille de mauvais vin pour seule compagne. Elle le rejoignit et s'assit calmement face à lui. Il leva les yeux et croisa son regard. Le sien semblait vague et embué. « Tiens, te voilà toi. Je parie que c'est la vieille qui t'envoie. » Il éclata d'un rire sarcastique. Il paraissait abattu. Visiblement, il avait une fois de plus perdu de l'argent aux cartes. Ce ton abrupt ne l'impressionnait pas. Elle avait tant l'habitude de ce genre de scène qu'elle aurait pu en écrire la suite à l'avance. « Votre mère vous demande, Jon. J'ai pour ordre de vous ramener, que vous le vouliez ou non. ». Il avait beaucoup bu, elle le sentait. Discrètement, elle demanda à l'une des serveuses de leur apporter un verre d'eau. « Crois-tu vraiment que je vais te suivre ? Tu aimes me voir ainsi, pas vrai ? Tu aimes savoir que je perds de l'argent. » Il essayait visiblement de la provoquer, mais elle conserva un calme olympien tout en adoptant un ton cassant. « Ce que vous faites de votre argent ne me regarde pas. On m'a simplement demandé de vous ramener chez vous et je m'exécute. Le reste m'importe peu. » Elle prit le verre d'eau que la serveuse lui tendait, la remercia et le tendit vers son cousin. « Tenez, buvez ça, cela vous fera du bien. » Elle dut insister encore un peu, mais il finit par céder. Il n'était pas en position de lui résister. Elle l'aida à boire le contenu du verre, puis le persuada de se lever et de quitter la taverne.
Elle le détestait vraiment, et pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver une certaine pitié à son égard en le voyant réduit à un tel état. La boisson avait la propriété d'avilir le plus fier des hommes. Elle le soutenait et ployait sous son poids, espérant parvenir chez eux avant qu'il ne décide de s'écrouler.
Malheureusement, son vœu ne fut pas entendu. À quelques mètres à peine de la taverne, il sembla lâcher prise. Ses jambes ne le soutenaient plus et Lamia fut contrainte de le lâcher pour ne pas être écrasée sous son poids. Pourtant, il ne dormait pas. Ses yeux étaient grands ouverts. Elle s'agenouilla à ses côtés et l'appela. Ses lèvres bougèrent, mais pas un son n'en sortit. Soudain, il fut pris d'effrayantes convulsions. Du sang s'échappa de ses lèvres. Elle sentit la panique monter en elle. « Jon ! Jon ! » Mais elle ne put rien faire de plus. L'instant d'après, toute vie l'avait abandonné, et elle était agenouillée, couverte de son sang, tandis que les clients de la taverne, alertés, se risquaient à l'extérieur, poussés par la curiosité.


Une douce chaleur l'avait envahie. Elle entendit, de loin, le crépitement d'un feu. Elle s'étira péniblement et ouvrit les yeux. Tout lui sembla flou, au départ, avant de prendre des contours plus nets. Elle se trouvait dans une sorte de chaumière, un lieu qui lui était inconnu. Qu'était-il arrivé ? Elle tenta de rassembler ses esprits. Elle avait marché, longtemps, sentant de plus en plus rudement la morsure du froid et de la faim. Le peu qu'elle avait pu voler avait été englouti depuis longtemps. Puis, lorsque son avancée était devenue trop insupportable, elle s'était écroulée sur le bord d'un chemin. Elle avait cru mourir à cet instant. Et voilà qu'à présent, elle se trouvait confortablement allongée. Elle avait probablement dû perdre connaissance et quelqu'un de bienveillant l'avait recueillie. Cette personne était-elle si désintéressée ou avait-elle d'autres desseins plus obscurs ? Lamia frissonna. Elle se leva péniblement. Il lui semblait que tous ses muscles étaient engourdis. Elle vit alors qu'elle était vêtue d'un linge propre et que ses vêtements étaient posés à côté de son lit, lavés et secs. Qui que ce soit qui l'ait déshabillée, cette personne savait. Elle devrait redoubler de méfiance, être prête à s'enfuir à la première alerte. Mais, de là où elle se trouvait, toute sortie était impossible. Elle s'habilla donc et se dirigea vers la pièce principale de la maisonnette. Un homme d'âge mur était assis sur un fauteuil près du feu et semblait somnoler. Pourtant, il devait être alerte car dès l'instant où Lamia s'approcha, il se redressa et la regarda fixement. « Te voilà, gamin. On peut dire que t'as le sommeil lourd. Voilà bientôt trois jours que tu dormais. ». Elle le regarda avec la plus grande attention. Il ne semblait pas lui vouloir du mal, au contraire, son visage exprimait une franche bonté. Il rit devant son hésitation. « Aies pas peur comme ça, assieds-toi, gamin. Ma femme a fait de quoi manger. Tu dois avoir faim. » Elle hésita encore un peu avant d'obéir à son invitation et de s'asseoir. La faim était trop forte et elle fut incapable de résister au plat chaud qu'il apporta sur la table. Elle ne se rappelait même plus de quand datait son dernier repas. Elle oublia sa méfiance, et même ses bonnes manières et soulagea sa faim tant qu'elle le put. Il la regarda manger avec bienveillance et attendit qu'elle ait fini avant de la questionner.
« T'as un nom, gamin ? » Elle fut un instant tentée de lui donner son véritable prénom, mais se retint à temps. « Je m'appelle Brenn. » Les premiers vêtements qu'elle avait volés étaient des vêtements d'homme. C'était ce qui lui avait donné l'idée de changer de se travestir. On recherchait une jeune femme, si elle devenait homme, elle serait en sécurité. Il la regarda de manière plus pénétrante. « Et ton vrai nom, c'est quoi ? » Il savait. Lui ou sa femme avait retiré ses vêtements et avait pu découvrir la supercherie. Elle tressaillit. « Seulement Brenn. » Il n'insista pas et elle en fut soulagée. Si elle voulait survivre, elle devait laisser Lamia derrière elle.

Allait-il dire quelque chose ? Savait-il de quoi on l'accusait elle l'ignorait, mais il sembla lire dans ses pensées. « Écoute gamin, je ne sais pas ce que tu as fait, et je ne cherche pas à le savoir. Mais si c'est suffisamment grave pour que tu fasses ce que tu fais, tu ne peux pas rester là indéfiniment, tu comprends ? » Elle acquiesça d'un signe de tête. Il était perspicace. Il avait raison, elle pourrait le mettre en danger en restant. Après tout, elle était recherchée pour le meurtre de son cousin, et même si elle était innocente, il n'y avait que peu de chances pour que cela put être prouvé. On l'avait vu lui donner un verre d'eau. Il avait de nombreux ennemis dus à ses dettes, mais elle s'était trouvée là au mauvais endroit, au mauvais moment, et tous savaient qu'elle le détestait. Elle supposait que sa tante n'avait rien fait pour adoucir les choses. « Je connais quelqu'un, un rôdeur qui pourrait t'aider. Tu pourras rester ici, en attendant. » Elle baissa les yeux. Elle n'avait plus l'habitude d'imaginer que quelqu'un puisse faire preuve de tant de gentillesse à son égard. Elle laissa échapper un mot, presque un murmure. « Merci... »