LORAN ϟ all i know is everybody loves me.

An 6, Crìfderau Maes.
« Les épaules en arrière. Non, pas comme ça. Voilà. Plus haut. » Tchac. La corde de l’arc se détendit d’un coup sec et la flèche vrilla fébrilement dans l’air avant d’aller s’écraser lamentablement au sol, à deux pas des bottes de l’enfant. Celui-ci baissa son arme et observa le carreau couché dans l’herbe, l’air dépité. « Je n’y arriverai jamais. » trancha-t-il, vexé. Son père, poings sur les hanches, debout à ses côtés, se fendit d’un éclat de rire face à la déception du petit garçon de cinq ans. « Ne dis pas n’importe quoi, ta sœur y arrive bien, elle ! ». Le gosse se renfrogna. Ismin, son géniteur, posa sa main sur le haut de sa tête avant d’ébouriffer ses cheveux bruns foncés. « Allez, va chercher ta flèche et réessaie. » Loran s’exécuta en trainant des pieds. Fils d’un archer de renom, il n’était même pas fichu de tirer droit, c’était un comble !

Il se repositionna, pinça la corde entre ses petits doigts, fronça les sourcils et se remémora tous les conseils de son père. Les pieds légèrement écartés, les genoux fléchis, les épaules en arrière, et toujours viser un peu plus haut que la cible. La cible ? Une planche circulaire accrochée au tronc d’un arbre, recouverte d’une peinture rouge que le temps et l’usage avait écaillé. Il n’était pas bien loin pourtant, mais il songea que même debout devant, il réussirait encore à tirer à côté. Le gamin plissa les yeux et banda doucement son arc. « Tends un peu plus. Plus. Encore un peu. » Loran suivait docilement les injonctions de l’homme, terriblement concentré sur ce qu’il faisait. « Non, pas trop ! ». Clac ! La corde cassa net. L’enfant se raidit, tandis que le fil sectionné retombait mollement le long du bois de l’arme. Il se tourna brusquement vers Ismin, ses yeux foncés implorant son pardon. « Je suis vraiment désolé ! Je n’ai pas fait exprès ! ». L’archer poussa un soupir mi amusé, mi agacé avant de reprendre l’arc des mains de son fils et de ramasser la flèche. « Ça suffit pour aujourd’hui, rentre à la maison avant de casser toutes mes cordes. » Le gosse hocha brièvement la tête et se mit à courir dans le champ en direction du village. Il savait que son père n’était pas fâché, il ne se fâchait jamais. C’était un homme réfléchi et posé, tout le contraire de Loran. Il n’était ni assez patient, ni assez délicat pour percer le secret de la maitrise du tir à l’arc.*De toute façon, c’est un truc de fille. C’est pour ça qu’Ellen y arrive si bien * ronchonna-il intérieurement tout en franchissant les portes du hameau. Ellen, sa sœur jumelle. Ils n’avaient jamais connu leur mère, ou du moins, ils étaient trop jeunes pour s’en rappeler. Elle avait été emportée par la peste de l’An 2 alors qu’ils ne marchaient pas encore, laissant son époux seul avec ses deux bambins qu’il chérissait.

Le petit homme poussa la porte de leur maison. « Déjà rentré ? » s’exclama une voix de fillette depuis une autre pièce, avant que cette dernière ne déboule dans la cuisine. «Tu n’as tué personne j’espère ! ». Loran la poussa doucement avant de décréter, bougon : « De toute façon, moi je ne veux pas être archer. Je veux être chevalier. » Il croisa les bras et se laissa tomber sur un tabouret. « Ben voyons ! » railla sa sœur en riant. L’enfant sauta sur ses pieds, attrapa une grande cuillère en bois posée sur la table et la brandit devant lui, telle une épée de fortune. « En garde, mécréante ! » S’écria-t-il en pointant son arme sur sa sœur. « N’importe quoi ! » rétorqua-t-elle avant de se saisir d’une spatule et de bondir face à son frère, les paupières plissées. Loran soutint son regard avant de foncer sur elle en poussant un hurlement sauvage, sa cuillère toujours brandie devant lui. Les ustensiles s’entrechoquèrent, chacun des deux enfants bataillant avec fougue. La louche de Loran alla soudain s’enfoncer dans le ventre de la fillette qui poussa un cri de protestation. « Aha ! T’es morte ! » S’écria son frère, triomphant. Ellen tira la langue. « Tu vas voir si je suis morte ! ». Joignant le geste à la parole, elle lui assena un grand coup de spatule derrière le genou avant de s’enfuir en courant dans sa chambre, Loran à ses trousses, son rire rebondissant contre les murs de la masure.

An 14, Perllan.
« Choisis celui que tu veux. » L’adolescent ouvrit des yeux ronds. Devant ses yeux, s’étendaient les terres de l’Élevage de Madrovel où des chevaux par dizaine paissaient paisiblement. Il ne réagit pas tout de suite. « Mais père, nous n’avons pas les moyens ! » Il l’interrogea du regard. Sans être pauvres, les Greysun étaient loin de la richesse des Rentiers, et les montures étaient des objets de luxe. « J’ai mis de l’argent de côté pour toi. Tu veux être cavalier, non ? Alors il te faut un cheval. » Ismin poussa doucement son fils à faire un pas en avant, un sourire conciliant sur les lèvres. Il avait fini par abandonner l’idée de faire de lui un archer, et lui avait obtenu des cours d’escrime. Ce n’était pas les professeurs qui manquaient au village. Loran, quant à lui, avait accepté le fait qu’il ne serait jamais chevalier, et que cette classe était réservée aux descendants de noble lignée. Mais il avait dans l’idée de devenir le meilleur cavalier de l’armée, dès lors qu’il aurait acquis une monture. Sa monture, parlons-en. Le jeune homme de treize ans, accompagné de l’un des proprétaire de l’élevage, s’introduit dans un petit enclos dans lequel évoluaient plusieurs jeunes chevaux, tout juste débourrés. Loran les caressa du regard, le cœur battant d’excitation. Après quelques minutes de réflexion, il s’approcha doucement d’un mâle debout au milieu du pré, et posa ses doigts sur son encolure brune. Le gérant contourna l’animal et passa sa main sous son menton pour soulever sa tête. « Très bon choix. Il est un peu têtu, mais avec un peu de discipline, c’est un excellent coursier. » Loran se tourna en direction de son père, appuyé sur la barrière, et hocha la tête. Percevant son signe, le dresseur ajouta : « Je vous conseille de vous entrainer chez nous pendant quelques temps, nos dresseurs vous apprendront. » L’adolescent acquiesça. « Je veux l’appeler MacLëone. Sir MacLëone. » Précisa t’il. « Il mérite amplement ce titre de noblesse, plus que n’importe quel chevalier. » Conclut-il les yeux brillants.

An 23, Crìfderau Maes.
Loran avait vingt-deux ans lors de la chute du Bouclier. Bien qu’il fut dans l’armée depuis près de sept ans, il ne put rien faire lorsque sa sœur, Ellen fut attaquée par des créatures de la nuit alors qu’elle cheminait en direction du village. Elle devait sa vie aux aptitudes d’archer d’Ismin et à la réactivité des gardes chargés de surveiller la route. Le jeune homme se souvenait l’avoir par la suite entendu batailler longuement avec leur père, qui tenait à ce qu’elle reste à la maison et quitte son travail de couturière. Il n’avait pas pris part à ces disputes, la respectant trop pour lui faire cet affront, et la sachant trop têtue pour espérer la faire changer d’avis. Néanmoins, il se sentit rassuré par l’édiction des décrets, quelques mois plus tard, obligeant chaque personne quittant Cathairfàl à se faire accompagner. Il n’aimait pas la savoir seule dehors à ces heures tardives.

An 26, Dinas Uchel.
A vingt-cinq ans, il était cavalier depuis dix ans déjà. Loran avait l’impression que la veille encore il prenait une épée dans ses mains pour la toute première fois. Il s’était relativement bien intégré dans le corps armé du royaume, sympathique par nature. Certains Blasonnés étaient exaspérants, rabaissant continuellement les autres classes, mais cela restait supportable. Loran était un homme au sang chaud, mais il s’efforçait de ne pas se focaliser sur leur existence et de tout simplement les ignorer. Mais lors d’une soirée un peu trop arrosée dans l’une des tavernes du quartier, il commit un écart à son code. Il ne suffit que d’un mot plus haut que l’autre, et le coup était parti, son poing allant joyeusement s’écraser contre le visage d’un chevalier un peu trop prétentieux. Loran écopa d’une simple mise à pied temporaire, mais ne supportant pas l’humiliation quotidienne que lui réservait le chevalier en question, il préféra quitter l’armée, sa fierté durement mise à l’épreuve. Mais trop éprit de l’armée et de la guerre, le jeune homme ne put se résoudre à lui tourner le dos totalement et décida de se mettre à son compte en tant que mercenaire.

An 30 …

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