Oonagh ~ On ne peut vaincre le mal que par un autre mal

Parle si tu as des mots plus forts que le silence, ou garde le silence.

« C’était la condition. L’unique condition de notre marché Circée. L’enfant devra quitter notre temple »

Ses joues s’empourprèrent de colère et le blanc immaculé de sa longue tunique blanche révélait sa rage à son interlocutrice qui, insolente et impassible, jurait que, pour rien au monde, les termes de leur accord ne serait modifié et ce, qu’importe le silence de la jeune enfant.

« Tes excès de colère ne sont pas bons pour ton cœur. Tu dois apprendre à te détendre. » ajouta la druidesse aux sourire effrontés, comble de son impertinence. « Ne t’ai-je pas répété maintes et maintes fois que cette enfant est pour nous très importante ? » insista-t-elle « Nous ne pouvions prendre le risque de la confier à une famille de singulier éventuellement mal intentionné. Qui mieux que toi, la mère supérieure de ce temple destiné à notre bien-aimée déesse peut se charger de l’éducation de cet être aussi spécial ? »

Majestueuse, Circée se leva de son siège, s’apprêtant à prendre congé en saluant son hôte avec respect quand un bruit familier l’interrompit dans son geste. Luthern, contrariée, venait de tirer sur l’énorme corde pendant à côté de son bureau. Derrière, les bruits de pas étaient significatifs. Ils s’amplifiaient. L’heure de la prière avait sonné. Les dévoués s’agitaient. Bientôt, tous se rejoindraient sous une statue, répétant inlassablement les psaumes en hommage à Eydis. Stupéfaite, Circée se retourna sur une Luthern au regard triomphant.

« Me ferais-tu l’honneur de prier à mes côtés, Circée ? »
« Il est bien trop tôt. Qu’est ce que tout cela signifie ? » interrogea-t-elle, le regard courroucé.
« Trop tôt ? Au contraire. Il est l’heure ma chère enfant. Suis-moi, je vais te prouver que ta parole donnée n’est pas plus d’argent que son silence n’est d’or. »

Bon gré mal gré, le messager de la communauté druidique, celle-la même qui sera un jour chargée de l’éducation magique du bambin posant problème, emboîta le pas de cette vieille femme décharnée à la démarche claudicante, malgré l’appui certain de son bâton de vieillesse.

« Luthern, avec tout mon respect, sache que je n’aime guère tes manières comme je déteste ton acharnement contre Oonagh. » avisa le druide
« Lucrèce. Ici, elle se nomme Lucrèce. »
« Qu’importe…. »

Le silence pour guide, les deux femmes traversèrent un jardin parfaitement entretenus. Elles empruntèrent une allée marbrée flanquée d’énormes vasques de roses rouges et blanches. Au devant, cisailles et gants furent abandonnés par leur propriétaire. Rappeler à l’ordre de la cloche résonnant plus tôt dans le domaine entier, tout comme les deux femmes, ils franchirent la lourde porte de chêne du bâtiment réservé au culte, au terme du chemin des fleurs.

« Tout ceci est ridicule. » commenta l’opposante au risque d’agacer la dirigeante de cet orphelinat.
« Ne transgresse pas les règles de ce lieu bénit Druide. Prie en silence et observe…. »

L’effigie de marbre rose de la déesse trônait au centre d’une immense pièce circulaire construire en pierres bleues. Devant, une marée humaine toute de blanche vêtu psalmodiait en chœur des vers identiques et, bien que chacun murmure, la léthargie est plus audible que jamais. Ces enfants, sous l’œil aguerris de leurs ainés, sont préparés à la perfection de ce drill dès leurs plus tendres années.

« Dis-moi, Circée, que vois-tu ? » interrogea Luthern qui, pour l’occasion, déroge à sa foi.

La prenait-elle pour une imbécile ? Une aveugle ? A moins que ces oreilles ne la trahissent, l’activité de ces enfants ne laissaient planer aucun doute.

« Des prieurs ma chère. Des prieurs. »
« En es-tu sûr ? Regarde mieux ? »

Prise en flagrant délit de désintérêt, l’apostrophée jeta un œil distrait sur l’assemblée à genoux. Gonflée d’orgueil, Luthern l’agaçait au plus au point, menaçant la druide de perdre le contrôle de sa colère. Aussi, persuadée qu’il n’existait aucune malveillance dans le cœur de la vieille femme, elle s’accorda une inspection plus détaillée sur le tableau vivant. Un seul être se tenait toujours debout et conservait un silence impassible. Un seul : Oonagh.

« Par Eydis… »
« Nous avons tenté de comprendre mais, c’est inutile. Elle ne parle pas. »
« N’as-tu pas envisagé que, peut-être, elle n’a tout simplement rien à dire ? »
« Grand Dieu. Non. Elle est muette… Muette et bête…. » affirma la nourricière.
« Impossible. N’est-ce pas toi qui m’informa qu’à cinq ans à peine, elle pouvait jouer de la harpe ?»
« Sois raisonnable Circée. Si elle se refuse à la prière, c’est qu’elle ne peut ni la comprendre, ni la réciter. Cette enfant est bête. Aussi bête qu’une limace…. A moins qu’elle ne soit maligne… »
« Maligne. » pensa Circée à voix haute.
« Dans tous les sens du terme, bien entendu… » continua la mère supérieure qui jeta un regard désireux d’en finir à Circée. « Alors ? Acceptez-vous de la confier à une autre maison que la mienne, toi qui, aujourd’hui, comprends mes inquiétudes ? »

Circée opina du chef et répliqua, altière : « Pas avant cinq bonnes années. Tel était le marché Luthern…. Mets-tu assez de cœur à répandre la bonne parole de le cœur de cette enfant ? Au contraire, tu nous décevrais beaucoup…. A présent, prions.»

Ainsi la discussion fût close.

***

« Oonagh ! Ne cours pas si vite. Je n’arrive pas à te rattraper. » me lança mon seul ami au sein de cette communauté. Cette communauté d’étrangers qui m’apprennent un art dont je me moque. Cueillir des plantes, les écraser d’un mortier, les brûler dans un incinérateur et mélanger leurs essences, réduire d’un alambic leurs effets négatifs ou encore, augmenter leurs attributs positifs à l’aide d’un creuset pour créer encore et encore des potions en tout genre. Des potions ? Pour que faire et à quoi bon ? Si, comme chacun le prétend, Eydis nous bénit et nous défend, à quoi bon connaître les bienfaits de bourgeons ou de racines pour nous protéger ? Non. Décidément, je ne suis pas faite pour devenir un bon druide. Si ce n’est l’enseignement e la magie, cette destinée ne m’enchante guère. Parfois, outre la mère supérieure de l’orphelinat, il m’arrive de regretter le temple où j’ai grandi. Au-delà des prières et des regards suspicieux de cette vieille peau, le temps m’apprit à m’y sentir bien, m’y sentir à l’aise, m’y sentir chez moi, comme à la maison… comme à la maison. Quel est donc ce sentiment ? Que ressent-on chez soi ? Sommes-nous aussi à l’aise que je ne le suis en pleine nature ? Qu’il s’agisse d’une plainte étendue ou d’une sylve exigüe semblable à celle que je foule cet après-midi en compagnie de Cyriaque, j’aime le vert des pains et le parfum des roses sauvages. Des forêts, rien ne m’effraie. Absolument rien, même ce qui m’est étranger.

« Cyriaque ? Viens-voir…. J’ai trouvé quelque chose d’étranges… » criais-je à mon meilleur ami étrangement absent. J’aurais juré qu’il me talonnait mais il n’était nulle part. « Cyriaque ? » l’interpellais-je inquiète comme jamais. Et s’il lui était arrivé quelque chose ? S’il était tombé dans un piège où, pire, s’il était prisonnier d’un filet du diable ? Le cœur soudainement malade, je fis marche arrière, marchant à tâtons dans les broussailles et cherchant sur les troncs d’arbres un indice quelconque qui me permettrait de retrouver mon ami. Bon sang, qu’ai-je fait ? A toujours désobéir et l’entraîner dans mes mauvais coups, je l’ai peut-être condamné à une mort atroce, étranglé par la flore ou dévorer par la faune.

Trop concentrée sur la possibilité d’un drame, j’accélérai le pas, criant toujours après mon seul ami. J’ai manquai foncièrement de vigilance et, si j’ai hurlé, cette fois, ce n’était pas le prénom de mon compagnon. Non. C’était de la frayeur. La peur de cette courte chute qui me brisa la cheville. Contrariée, je laissai échapper un juron qui arracha le rire sinistre d’un inconnu. Il me glaça le sang et, sur mes gardes, je me tapis, tel un animal apeuré, contre la terre humide de ma prison.

« Est-ce donc tout ce que vous apprend les druides de nos jours ? Des insultes ? Dans la bouche d’une si jolie demoiselle, c’est outrageant. » remarqua l’étranger au visage dissimulé par les maudits rayons du soleil m’aveuglant. Malgré mes mains en visière, il m’était impossible de discerner ces traits.

« Qui êtes-vous ? » demandais-je faussement rassurée. Qui était cet homme. Qui donc est cet homme à la voix si douce et si amène ? Est-il ami ? Ennemi ? Je n’en savais rien. Ma seule information est qu’il n’est pas un étranger aux mœurs de notre société. A défaut de me connaître, il sait qui m’envoie.

« Quelle importance. Connaître mon nom ne n’aidera pas à quitter ton terrier mon lapin. Donne-moi la main et pousse sur tes jambes, je te hisserai jusqu’à moi. » proposa-t-il en tendant vers moi une main bienveillante. Sauf que c’est tout bonnement impossible.
« Ma cheville est brisée. »
« Tends moi les mains, on s’en occupera plus tard »

Je m’exécutai et, alors qu’il me soulevait hors de mon trou sans même une grimace de douleur, je me demandai comment un homme, à l’âge si avancé, pouvait être doté d’une si grande force. Bientôt, je me retrouvai assisse sur la terre sèche du sentier battu et l’inconnu saisit mon membre meurtri sans attendre ma bénédiction. Si je n’avais pas si mal, je me serais insurgée. Pourtant, de sa paume, une chaleur agréable et bienfaitrice s’insinua de mon pied à mon genou. Il me soignait et, en moins de quelques secondes, alors qu’il avait murmuré quelques incantations, je ne souffrais plus. Bien sûr, l’absence de Cyriaque m’inquiétait toujours, je restais sur mes gardes mais, je cultivai déjà pour l’étranger de la sympathie.

« Voici jeune fille, vous êtes comme neuve. Elle était simplement foulée, un jeu d’enfant. »
« A présent, puis-je savoir qui vous êtes ? » insistais-je en le détaillant.

Il portait l’habit traditionnel des druides chargés de mon instruction à un détail près : Les couleurs étaient différentes. Sa tunique était brodée d’or et au bout de son bâton de combat, son blason ne ressemblait en rien à celui d’Eydis.

« Je me nomme Theodad, je suis druide mais je sers un Dieu moins incertain que ta déesse »

Incertain. Ce mot était si proche de ma vision des choses. Ma foi n’était pas indéfectible. A trop prier et remercier une divinité qui m’abandonnait entre les mains d’une si mauvais femme que la mère supérieur n’était pas digne de ma confiance. Pourtant, je me gardais bien de le dire.

« Un autre Dieu vous dites…. »
« Tout à fait mon enfant….Je pourrais t’en dire plus mais, malheureusement, je dois t’abandonner. Si tu cherches ton ami, il s’est rendu dans les plaines. Il te cherche. »

Avide de curiosité, je regrettai qu’il prenne congé. Alors, je le retins comme je pus, à présent convaincue de ces bonnes intentions. Il m’avait rassuré du sort de Cyriaque, il ne pouvait être qu’un ami en devenir.

« Vous reverrais-je ? » le questionnais-je transie.
« Tu me trouveras dans cette forêt à chaque fois que tu t’y rendras. »
« Je m’appelle Oonagh…. Et je reviendrai dès que je le pourrai.» assurais-je tandis qu’il me tournait déjà le dos.
« J’y compte bien…. » répliqua-t-il en m’adressant un furtif signe de la main « J’y compte bien ».

A cette époque, je n’avais pas deviné que cette rencontre me révèlerait, qu’elle serait capitale quant à mon avenir. Je devrais patienter deux ans avant de l'apprendre. Deux années où je m'interrogeai ........plus tard, le soir de mes quinze ans, je l’ai revu.

Accolon Cil-Gandra a écrit:

Bienvenue à toi ! J'espère que tu te parleras ici

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