SIKNATH ➹ deep inside of my heart, i'll be so glad to go

Mes pas se posent sans aucun bruit, pas même le plus léger bruissement, alors que je m'enfonce dans la forêt en vitesse. Ce cerf que je poursuis, il sera à moi. Il me rapportera sans doute assez pour nous nourrir pendant une bonne semaine. Je l'aperçois au travers des branches. Il ne semble pas m'avoir remarquée. Il est magnifique; sa robe immaculée et ses bois majestueux promettent également une bonne préparation pour l'hiver. Je trépigne d'impatience rien qu'à y penser. Peut-être même aurais-je du surplus. De quoi réparer la porte de la forge, qui menace chaque jour un peu plus de s'effondrer sur un malheureux client.
Soudain, il s'arrête. Hume l'air. Je m'assure précautionneusement que le vent vienne d'en face. Une brise rafraîchissant mon dos humide m'inquiète, mais j'ai le réflexe d'effriter une feuille morte qui se prend dans l'air et camoufle mes effluves meurtrières. Le cerf, inconscient du danger, se penche sur ce que je crois être un ruisseau, et boit lentement.
Je bande mon arc précautionneusement, atténuant le plus possible le son de la flèche que j'encoche, et vise la tête magnifique de l'animal. J'éprouve une pointe de regret à l'idée de devoir abattre une créature d'une telle beauté, mais me reprend immédiatement. Soit c'est cette bête, soit c'est un de mes frères qui meurt. Mon choix se fait si rapidement que j'ai déjà relâché la corde avant que je n'en ai conscience. La pointe s'enfonce profondément dans l'encolure de l'animal et relâche une giclée rouge alors qu'il s'effondre misérablement par-terre d'un bruit sourd.
Je m'approche de ma prise avec une fierté non feinte. C'est moi qui rapporterai cela. Moi. Pas Oberon, Cortis ou Abel. Je suis fébrile en pensant à la gueule qu'ils feront en découvrant que leur jeune soeur les a tous battus. Un point pour moi, les gars. Mais une fois sur place, je me rends bien compte que j'ai un problème. J'aurais peut-être dû laisser mon orgueil de côté et attendre la venue d'Oberon. Je ne serai jamais capable de soulever telle prise toute seule. J'ai les bras de la taille d'une tige de blé. Sauf que si j'avais attendu, qui me dit si le cerf serait encore dans les parages?
Je suis donc dans une impasse. J'ai le choix entre laisser le truc ici et aller chercher de l'aide en ville ou le découper en morceaux et faire plusieurs allez-retours, en évitant soigneusement de le trimbaler dans les rues, afin d'écarter la possibilité d'une émeute de gens affamés en souhaitant un peu également. Je choisis la deuxième option. Je ne partagerai pas cette gloire avec qui que ce soit. Point.
Je m'éxécute alors. La tâche est longue et ardue, épuisante, au bout d'un moment je sens que je vais faire flamber le sentier que j'emprunte tant je l'ai vu souvent en une journée. Moi qui est habituée à un ou deux lièvres, quelques écureuils tout au plus, accrochés sagement à ma ceinture et joie lorsque je les donne à ma mère qui en fait le repas du soir, cette prise là me fais quelque peu regretter mon orgueil proéminant.
Alors que le soleil descend peu à peu dans le ciel, j'ai enfin fini ma besogne. J'ai franchement hâte de le bouffer, ce putain de cerf. La bouchère s'en occupera, me dis-je une fois sortie de sa boutique. Ma journée a été beaucoup trop remplie à mon goût. Habituellement, à cette heure, j'écoute les récits des voyageurs à l'auberge et aide mes parents à servir. En fait, je n'ai aucune idée de quoi faire.
Et puis, BAM, je me souviens. Ma journée est fichue. Fichue, fichue, fichue. Elle s'en vient. J'essaie de trouver une échappatoire, une raison que je pourrais utiliser pour fuir la damnation qui s'amène. Malheureusement, rien ne me vient, malgré la panique qui m'envahit. Je n'ai pas envie de faire un meurtre. Pas maintenant. Déjà que ma mère peine à me trouver mari et qu'elle se tue à m'enseigner à entretenir une maison (elle a de l'ambition, cette femme), assassiner quelqu'un détruirait ses entreprises.
Ma cousine arrive. Ma mère me l'avait dit ce matin, mais avec la vue du cerf et l'adrénaline de la chasse, j'avais complètement oublié. C'est le genre de fille que toute pauvre envie, le genre parfaite, souriante, merveilleuse, si belle qu'un noble l'a épousée il y a trois ans, l'élevant de quelques grades dans la hiérarchie et lui donnant une bonne dose d'or sur laquelle elle se roule sans arrêt.
En gros, je la déteste.