ASLAK ! « heart of fire »

Maintenant il est dans l’arène. Seul. Chaque pas compte. Chaque pas à son importance, toute capitale. Il a retenu la leçon. Tout du moins c’est ce qu’il croit. Le craquement d’une branche semble indiquer qu’il sait peut-être, mais qu’il ne maîtrise pas. Il grimace, ses yeux quittant un instant l’horizon pour se poser sur la branche sous son pied. Il relève très lentement sa botte de cuir, en essayant de ne pas faire davantage de bruit, puis repose sa chaussure plus loin. Il sent les gouttes de sueur couler le long de ses tempes. Etre entouré par autant de créature sans pour autant les voir, c’est particulièrement effrayant, d’autant plus quand votre propre instructeur a parié que vous mourriez durant l’épreuve avec son ami officier. Avoir de l’humour, d’accord, mais pariez sur sa propre défaite… C’est de très mauvais goût. Un bruit, derrière lui, le fait sursauter, mais quand il se retourne, il n’y a rien. Il essuie nerveusement sa tempe gauche. Il a dû rêver. Parce que si ce n’était pas un rêve, alors il a toutes les chances de se faire disputer en morceaux par les griffes de quelque chose qui se cache autour de lui. Et ça, c’est mauvais signe. Il se pince discrètement les lèvres mais plus rien. Il relâche doucement la pression qui pesait jusqu’alors sur ses épaules et se retourne. Devant lui, une créature fine et longiligne le fixe. Elle n’a pas de corne, elle n’en est que d’autant plus élégante. Ses écailles mordorées donnent à son allure quelque chose de sublime et de particulier qui ose même tirer un sourire appréciateur au jeune Aslak qui ne bouge pourtant pas. Le dragon semble le jauger, et l’humain faire de même. Aucun ne bouge, les deux se fixent en chien de fusil. Un bruit les surprend. Aslak comme le dragon tourne le visage vers une fourrée d’où sort un dragon à crête. Au même moment, Aslak se jette derrière un caillou. Le dragon doré le fixe, mais il semble rien dire, pas plus qu’il ne bouge, alors que l’immense dragon à crête s’écarte et repart lourdement sur son chemin, sans plus faire attention au plus jeune dragon. Le jeune flocon-argent, puisqu’il apparaît clairement que c’en est un, se met discrètement à renifler les chaussures d’Aslak, allant jusqu’à mordiller le bout de cette dernière du bout des doigts. Le dragonnier, encore apprenti, le fixe. Ne lui avait-on pas dit que les dragons étaient agressifs ? Qu’est-ce que c’est que ça encore ?
 
Pas le temps de finir sa réflexion qu’une flambée de flamme blanche souffle sur sa botte, la mettant en feu. Il pousse un cri et se lève d’un bond, sautant sur place. Le dragon, surpris, recule, et s’aplatit sur le sol, adoptant alors une posture offensive, se sentant menacer. Le jeune homme, lui, n’y fait pas attention. Il court jusqu’à la rivière la plus proche, piétinant sur place, sans même penser une seule seconde attirer l’attention d’un autre dragon. Le danger le plus urgent est encore le feu blanc qui grimpe sur sa cuisse. Ni une ni deux, il saute dans la rivière, noyant le feu qui le brûle dans l’eau gelée. Il frissonne brutalement, et ressort le pied quasiment aussitôt. Quelques fines brûlures ici et là, mais visiblement rien qui ne soit très grave. La douleur qui lui remonte l’échine l’est pourtant elle. Il peste, secouant la tête fortement. « Qu’aies-je fait pour mériter ça ? Devenir tavernier, tiens ! Si j’avais su, j’aurais écouté ma mère… » Il gronde en silence, relevant le nez pour observer les horizons. Il gronde comme un chien qu’on vient de piquer au vif. Ah oui, c’est à ça qu’il veut jouer le dragonnet ? Il s’écarte de l’eau, titubant légèrement, alors qu’il reconnaît bien le dragon aux pupilles d’or le fixait, à peine plus loin. Il semble l’avoir suivi. Aslak le fixe, provoquant. Il bombe le torse, prenant son plus laid visage.
 
« C’est moi que tu veux, reptile ? Tu veux me dévorer ? SOIT ! Bien ! Mange-moi ! Mais sache que je ne suis pas bon… ! De la vieille carne ! De la carne usée ! À moitié cuite de surplus ! » Le dragon le fixe, alors qu’Aslak hurle, ne se faisant pas discret. D’ailleurs le dragon ne doit pas comprendre un seul mot de ce qu’il dit puisqu’il penche doucement la tête sur le côté, silencieux quant à lui. Sa longue queue bat derrière son corps d’écaille d’or tâché d’argent, et il jauge encore son adversaire. Il n’arrive pas bien à comprendre en quoi c’est intimidant. Aslak lui jette finalement un caillou, comme pour le faire fuir. Le jeune dragon le prend sur le nez et se redresse aussitôt, gonflant la poitrine. Ses écailles semblent se soulever elles-aussi, légèrement, formant comme une armure épaisse. Le dragonnier s’arrête un instant et fixe la bête qui gonfle les poumons. Il n’a pas le temps de réfléchir davantage qu’il se jette à nouveau à l’eau, un long filet blanc de flamme traversant les airs, d’un blanc chaud. Les flammes traversent la rivière et viennent s’écraser finalement sur un petit bosquet. Ce dernier prend rapidement feu. Trois brasses plus tard, Aslak ressort la tête de l’eau, juste au bon moment pour voir déplier les ailes plus grandes encore d’un dragon vert. Ce dernier, tout à l’heure abrité par le bosquet, ne semble pas bien apprécié qu’un plus jeune vienne perturber sa sieste de l’après-midi. Il secoue en effet la gueule, s’avançant vers le jeune dragon d’or, l’air menaçant. Les babines légèrement retroussés et le nez plissé, il siffle fortement, crocs en avant, alors que le dragon d’or s’aplatit sur le sol, peureux et soumis. Il sait très bien qu’il ne fait pas le poids. Mais qui ferait le poids contre un presque adulte ?
 
A voir le jeune dragon si bas au sol, Aslak grimace de dégoût pour lui-même. S’il n’avait pas provoqué la pauvre bête, elle n’en serait pas à l’instant à la merci d’un prédateur plus gros qu’elle. Il secoue la tête, chassant l’idée saugrenue d’aller la secourir. Après tout, pourquoi irait-il sauver un monstre qui a voulu le dévorer ? Non, c’est bête. C’est ridicule. Mais ce petit regard pétillant que le jeune dragon lui jette, c’est… c’est tellement… « Plus jamais Aslak. La prochaine fois, casses-toi une jambe. » Il marmonne et finalement fait quelques pas, sortant de l’eau. Le jeune dragon l’a remarqué, mais pas le dragon vert qui fait claquer ses dents dans les airs, repoussant de plus en plus loin le jeune dragon. « Il suffit de le provoquer, et de courir. Ça va marcher. J’en suis sûr. » Enfin, c’est ce qu’il espère. Alors qu’il s’avance rapidement vers la queue du dragon vert, le dragon blanc gonfle les poumons à nouveau. Juste au moment où Aslak hurle, et que le dragon vert tourne la tête pour voir qui est le malotru qui ose, le petit dragon lâche une flopée de flamme blanche sur son museau, brûlant ses yeux. L’animal vert pousse un hurlement terrible, reculant très rapidement. Il bat brutalement des ailes, envoyant voler plus loin le jeune dragonnier. Ce dernier roule alors que le petit dragon d’or court rapidement et se met finalement à voler. Le dragon vert semble retrouver ses esprits au même moment puisqu’il s’élève dans les airs à son tour et attrape brutalement la queue du jeune dragon dans sa mâchoire, ses crocs claquant à même la chaire. Du sang gicle alors que la gueule du monstre vert envoie le dragon d’or s’écrasait brutalement contre la terre, ses ailes se repliant, l’une sans doute cassée. Le dragon vert ouvre alors la gueule, lâchant deux jets minces dans les airs. Les couinements aigus du petit dragon d’or semblent rameuter d’autres dragons, dont celui à crête qui se ramène, sans doute à cause de la faim. Caché derrière un arbre, Aslak ne fait pas le fier. Il ne bouge pas, terrorisé. Il va mourir, c’est sûr. S’il tombe nez à nez avec un autre dragon que ces trois-là, il est mort…. Non, rectification, ces trois-là juste suffiront à le tuer, d’une crise cardiaque si ça continue.
 
« Allez Aslak… Joue. Joue le tout pour le tout… » Il inspire profondément, jetant un œil à la scène. Le dragon à crête s’approche mollement, visiblement pas si affamé que ça. Un peu plus loin, le jeune dragon d’or semble mal en point, planté au sol, les crocs du dragon vert se refermant lourdement sur ses pattes comme il semble furieux. Le jeune dragonnier soupire lourdement alors qu’il attrape à nouveau une pierre et la jette brutalement  à travers les fourrées. La simple pierre rebondit une fois sur un arbre et vient frapper la patte du géant. Le dragon noir, jusqu’alors nonchalant, s’arrête. Ses narines s’ouvrent et il hume profondément l’air, déployant lentement ses ailes. Il est immense et magnifique, des écailles d’une rare beauté et peu abîmée, signe qu’il a davantage gagné que perdu ses batailles. Alors qu’il s’envole, Aslak frissonne. Si ce monstre le repère, il finira dans son estomac, à coup sûr. Fort heureusement, le vent semble être de son côté. En seulement quelques coups d’aile, il repère le dragon vert. Le sang autour de sa gueule lui ouvre sans doute l’appétit comme il fonce droit sur la cible occupée. Cependant, le plus jeune dragon est plus malin qu’il n’en a l’air et aussitôt déploie ses ailes, prêt à fuir. Combattre avec un dragon à crête n’est pas chose aisée, même  pour ces créatures. Aussitôt Aslak court entre les fourrées, prêt à fuir. Quelques enjambées plus tard, le souffle court et le cœur battant, il passe prêt de la petite créature sur le sol, repliée sur elle-même. Elle ne bouge même plus. Il s’arrête, un instant, oubliant même qu’au-dessus de lui, des dragons s’affrontent et qu’à tout moment, il pourrait bien finir écraser par l’un d’eux.
 
Des Flocons-Argents, il se rappelle en avoir vu un, un jour. Il n’était pas vieux, peut-être avait-il six ans. Il marchait avec son frère sur les dunes, en se rendant au fort. Ole devait l’accompagner jusqu’à la frontière, puis un officier se chargerait de l’amener à la forteresse. Sur le chemin, il avait été persuadé de voir les dunes bougeaient, et Ole lui raconta alors l’histoire de Flocon-Argent, ces bêtes mythiques aux écailles scintillantes, capables de se fondre à la couleur du sable. « Aslak… On ne t’a pas élevé comme ça. Un peu de cran, nom de nom ! » Il secoue la tête et rapidement file entre les fourrées, les orties égorgent ses tibias. En le sentant approché, le dragon sort à peine la gueule, tremblant. Il claque brutalement des dents, comme apeuré. Aslak en a même pitié. Il regarde cette créature, et approche doucement la main mais elle continue de claquer brutalement des dents. Il soupire, pose son sac sur le sol et en sort une corde. « Si je fais ça, c’est pour ton bien mon beau. Si t’étais pas autant amoché, crois-moi que j’aurais filé ! » Il s’approche rapidement. Il veut surtout en finir le plus vite, parce que… plus le temps passe, plus il peut se faire tuer. Il jette finalement la corde et la rattrape habilement entre deux claquements de mâchoire, la serrant brutalement. Le dragon aussitôt se relève et jette sa patte en avant, prête à étriper l’humain qui ose. Aslak esquive, grimaçant. « Mais laisse toi faire, stupide bestiole ! » Le dragon tombe aussitôt sur le sol, du sang s’écoulant en quantité de ses flancs. Il secoue la tête d’un air agacé. « Tu n’es même pas capable de tenir debout tout seul ! Comment crois-tu que tu vas faire pour survivre ? Laisse-moi faire ! »
 
Le dragon à nouveau ouvre la gueule, montrant ses belles canines, semblant le défier. Quand bien même il serait presque mort qu’il mordrait. Aslak secoue la tête de ce petit air fâché et vexé qu’il a parfois. Ça ne l’étonnerait pas que ce soit une femelle, vu le caractère, pense-t-il, alors qu’il approche à nouveau. Il tend la main devant lui, et lui ordonne cette fois-ci, d’un ton sévère : « Si tu ne me laisses pas faire, tu vas mourir stupide bestiole ! Tu sais ce que ça veut dire ? Plus de ciel, plus de lapin, plus rien ! Ton merveilleux paradis, zéro ! C’est ça que tu veux ? Mourir dans ton sang ? Je ne te veux aucun mal ! » Il le fixe, de ce regard autoritaire, et le dragon semble l’écouter. Il le regarde en retour, semble réfléchir, puis finalement, lentement, vient déposer sa tête sur le sol, étendant son corps long et fin sanguinolent à la vue de l’humain. Aslak se rapproche, rapidement, et passe d’un coup d’œil ses yeux sur les blessures. Il soupire, et finalement lui jette un regard. « Tu peux te lever ? Lève-toi. Je vais devoir te ramener au campement, tout seul je ne peux rien pour ce genre de blessure… » A nouveau le dragon se rétracte, sifflant plus fort. Il lui jette un sale regard, à nouveau. « Quoi ? Tu n’as pas envie de venir ? Eh bien très bien ! Reste ici avec tes amis dragons qui veulent te manger alors ! Bien ! Va te faire manger par un dragon à crête, comme ça peut être drôle ! » Le Flocon-Argent à nouveau ne dit rien. Il balance la tête d’un air presque vexé et hautain malgré qu’il saigne. Aslak roule des yeux. « Ne fais pas cette tête… » Il soupire, tirant sur la corde qui tient encore la gueule du dragon. « Allez, viens ! » Encore une fois le dragon secoue la gueule d’un air offusqué avant qu’Aslak ne comprenne et ne lui retire la corde. Finalement le dragon se lève, difficilement. Sa carcasse est douloureuse, mais il survivra. Tout du moins, c’est ce qu’espère Aslak, sans quoi il serait bien le premier dragonnier à voir mourir son dragon le premier jour.
 
« Suis-moi, et ne te fais pas remarquer… » Le dragon lui jette un regard presque interrogateur. A vraie dire, c’est stupide. Un dragon recouvert de sang qui marche, c’est quand même relativement repérable. Mais qu’importe. Oubliant le combat aérien entre les deux dragons précédents, Aslak marche rapidement dans la forêt. Si le dragon doré est blessé, il marche cependant bien plus rapidement que lui, semblant pressé. La peur de la mort, sans doute. De temps en temps, le reptile s’arrête même pour attendre Aslak qui le guide doucement à travers la forêt. Après quelques très longues minutes de marche, le campement se dessine. En voyant le dragon en sang, les gardes se mettent en position de le neutraliser, mais Aslak leur hurle de ne rien faire et de le soigner. Très rapidement un soigneur sort du bâtiment et se rapproche de la bête qui s’étale sur le sol, la gueule à demi ouverte, pas tout à fait consciente. Le dragon se laisse alors faire, sagement, ses plaies encore ouvertes soignées unes à unes par les mains expertes.
 
Aslak, lui, reste un en retrait. Il regarde l’opération des plaies du dragon d’un petit air inquiet, mais le visage du soigneur semble détendu. C’est sans doute que le dragon ne risque rien, pense-t-il. Derrière lui, un rire gras résonne. Une lourde paluche lui secoue l’épaule, ajoutant avec un petit rire goguenard : « Moi qui pensait que t’aller te faire manger, tu domptes un Flocon-Argent ! » Aslak lui jette un regard, amusé. « Je l’ai pas dompté, je l’ai juste ramené ici et… » « C’est un dragon dompté, petit » souffle alors l’homme, d’un air moqueur « un dragon non dompté nous aurait tous dévoré, et surtout, il ne t’aurait pas suivi. » Aslak reste silencieux. Certes. Il repose alors ses yeux sur le dragon étendu sur le sol, qui ne bouge pas malgré qu’on le touche. Il a un dragon à lui alors ? Il a réussi ? Il a un petit sourire en coin, ses pommettes rougissant, ému par cette réussite. Certes c’était de la chance, mais tout de même… « Comment tu vas appeler ta demoiselle ? » Un autre garde le regarde, avec un sourire calme. Aslak hausse un sourcil, étonné. « Ma demoiselle ? » « Ta dragonne, si tu préfères ? » « C’est… une dragonne ? » Un petit rire remonte dans la gorge du garde. « Eh oui ! J’espère pour toi qu’elle ne sera pas comme ma femme… Quelle plaie. » Aslak a un petit rire, amusé. « Alors ? » Le jeune dragonnier repose à nouveau ses yeux sur le dragon, réfléchissant. Un prénom.. Pour une femme… Belle…
 
« Elwing. Oui, Elwing. Ça sonne bien… Elwing Flocon-Argent. »

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