Ithel • Until You Break and Yield.

Eydis, Eydis…

Tu reconnaitras que j’ai été patient avec toi. De tout mon être, sincèrement, j’ai toujours cru en ta bonté louable. Je me souviens de ma brave maman qui, dans sa misère, te priait pour notre salut. Je la vois encore, agenouillée devant le corps maigrelet de ma dernière sœur, pleurant toutes les larmes de son corps. Elle murmurait dans sa détresse « Sauve-la, Eydis, Ma reine ! Sauve-la ! » Et pourtant la petite n’avait pas survécu cette nuit-là. Lenore, qui avait à peine trois ans, a expiré dans mes bras alors que nous t’avons supplié de nous la rendre. Mon frère ainé et moi avions creusé la terre glacée à mains nues pour lui faire une tombe de fortune. Le soir même. Je m’en souviens parfaitement. Mon labeur exécuté, je suis tombé à genou et j’ai pensé, bien stupidement, que c’était là ta façon de nous juger. Je me disais que tu l’avais accueillie à tes côtés, et que tu étais près d’elle pour partager ses jeux d’enfant à notre place. Cette simple pensée m’avait rassuré. J’ai séché mes larmes sur mes joues boueuses, et je suis rentré chez nous.

Je te suis resté fidèle tout le temps qu’à duré cet hiver interminable. Quand il a pourri nos récoltes, ruiner mes parents, tuer ma sœur, ravager notre quotidien. Quand mes frères et sœurs étaient trop faibles pour se lever, quand j’avais perdu des ongles à cause des engelures, quand nous n’avions plus rien à manger, je te priais. Je louais ton nom, je chantais tes cantiques, je ne rêvais que de toi et de ta grande justice. Je pensais que dans ton jugement tu ne faisais que nous testait et que bientôt, tout irait mieux. Mon père, brave malgré les problèmes, un homme qui était resté noble malgré la misère. Là où beaucoup auraient sombrés dans la folie et l’alcool, lui se battait, mais en vain. Il me racontait souvent notre titre, nos vraies terres, celles qui nous attendaient alors que nous crevions à petit feu dans la plus grande pauvreté. Je consolais ma mère, m’occupait de mes jeunes frères et sœurs que l’espoir et la volonté avait quitté. Mais moi, j’ai toujours cru en toi.

Je te suis resté fidèle quand mon frère ainé est parti. Mon seul ami, mon seul compagnon dans cette vie difficile. Il est allé rejoindre l’armée du roi, et bien des années plus tard j’ai appris qu’il a été tout simplement assassiné dans son lit. Un espion parait-il. Je l’ai vu partir le cœur gros, l’âme en peine, avec l’idée insoutenable que c’était la dernière fois que je le voyais. Alors, j’ai prié. Je savais que tu me le rendrais bientôt, quand tout ce sera arrangé. Que nous rentrerions à Cathairfal ensemble, et que cette période serait un mauvais souvenir. Toi, la déesse, tu ne pouvais pas laisser une telle horreur vagabonder sur des âmes aussi pieuses. J’ai vu mon envoi dans un prieuré dédié à ta gloire comme un signe. Je savais que sur place, je serais plus proche de ta puissance. Je pourrais presque la voir, la toucher, et je te parlerais de notre situation en face. Tu m’écouterais, tu étais celle qui allait nous sortir de là. On me l’avait dit, quand nous avons tout essayé, que nous sommes au bord du gouffre, seul la déesse peut nous aider. Jamais tu ne m’aurais tourné le dos. Jamais.

Je te suis resté fidèle quand j’ai senti pour la première fois la gifle mordante sur mon visage juvénile. Je n’avais rien dit, rien fait. Je venais à peine d’enfiler mon habit monacal et l’on m’avait demandé d’apporter des livres au grand prêtre. Je m’étais exécuté sans prétention, et l’on m’avait punie parce que je n’avais pas baissé les yeux. Hébété et sous le choc, je n’eus même pas le réflexe de pleurer. On m’avait frappé. Moi qui n’avais jamais fait du tort à qui que ce soit. Moi qui ne cherchais qu’à bien faire. J’hochais la tête alors qu’on me hurlait des insanités que je n’avais jamais entendues. Je pensais que si je m’appliquais cela serait une bourde vite oubliée. Le premier coup de fouet, le premier isolement, les premières scarifications, et tant d’autres sévices que la décence m’empêche de décrire ici… J’ai tellement souffert, j’ai tellement hurlé de douleur, dans ma belle naïveté je ne comprenais rien. Pourquoi ces hommes s’acharnaient sur moi ? Quels monstres horribles ! Des créatures de l’enfer, des démons sous l’apparence saine d’un homme lambda. Et pourtant… Et pourtant ils louaient ton nom. Eydis.

Je te suis quand même resté fidèle. Alors que j’avais cette rage au ventre quand ils parlaient de toi comme leur maitresse et la guide de tes actions. Alors que j’étais battu et humilié sous ton commandement. Jamais un instant de répit, toutes mes actions étaient guidées par cette peur irrationnelle. J’étais complétement fou, et c’est là que j’ai commencé à faire des rêves étranges. Mon premier cauchemar, quand je vis mes parents et le reste de ma famille qui brûlaient. Littéralement. Ma maison en cendre, les carcasses carbonisées de mes proches. Je me levais dans un sursaut, et je me mis à pleurer. Un immense chagrin tellement enfantin. Je me mis à hoqueter bruyament, et je me demande encore comment personne n’a pu m’entendre dans le cachot où l’on m’avait enfermé pour la nuit. J’étais terrorisé et désespéré. Mes sanglots sortaient tous seuls alors que j’écrasais mes larmes du mieux que je pouvais. Et comme tous les enfants qui viennent d’atteindre leurs 10 ans, je souhaitais ardemment que ma mère arrive. Je voulais qu’elle me prenne dans ses bras et me dise avec douceur que ce n’était qu’un mauvais rêve. Je voulais qu’elle passe sa main dans mes cheveux, soigne mes plaies, et me ramène à la maison. Et pourtant Eydis, même ma mère tu me l’as prise. Elle n’est jamais venue me consoler, parce que tu l’as réduite en cendre, comme le reste de ma famille. Personne n’a jamais voulu savoir ce qui s’était passé. Les Garashi n’étaient plus rien, j’étais seul, et condamné à servir de bête noir à ces hommes cruels qui me tuaient petit à petit en ton nom.

Eydis. Sale chienne. Ne t’avise plus de lever la main sur moi.

Je me suis aventuré une nouvelle fois en dehors du temple. Mais cette fois-ci, j’avais frappé sauvagement un des prêtres. Des années de torpeur sous leur joug, et j’ai craqué. J’ai vu cette bouteille, et son crâne dégarni, la suite a été incroyablement facile. J’ai osé parler à un de mes camarades d’infortunes de mes visions, de l’homme que je voyais, qui me parlait, et me guidait dans une consolation que la déesse était incapable de donner. Je ne savais plus quoi faire, j’avais préféré soulager mes peurs. Et ce petit fils de catin m’a dénoncé. Les coups ont redoublés, mais je ne me suis pas laissé faire. Plus maintenant.

J’ai renié ton nom Eydis, je ne supportais ni ta vision, ni tes chants, ni ta bonne parole. Tu m’avais lâchement abandonné, jeter en pâture dans la fosse aux lions. Et je ne songeais qu’à partir. Mes fugues étaient de plus en plus fréquentes, mais j’avais l’intention de partir pour de bon cette fois. Mourir de froid sur les routes me semblait une condamnation bien douce comparé au cruel sort que je subissais avec mes bourreaux. Je me suis aventuré loin, enfoncé dans les forêts, j’ignorais ce que je cherchais, mais je suis persuadé que c’est lui qui m’a trouvé. Moi qui avait perdu tout espoir, quelqu’un m’a compris et eut pitié de moi.

Il avait ces traits anguleux et cet air à la fois superbe et pourtant si triste. Il avait l’air bien seul, tout comme moi. Il savait que je viendrais, et quelque part, dans mes rêves et mes visions, je savais qu’il m’attendait. Quelque part, il me rappelait mon grand frère. Il avait bien grandit lui aussi. Je le voyais souvent dans mes rêves, où il agonisait au milieu des carcasses de monstre. Un fier soldat, mais qui n’allait pas tenir longtemps. Je le savais. Mon don me le disait. J’étais un devin, j’ai longtemps nié cette partie de moi, mais l’apparition en face de moi me rassura. J’eu du mal à comprendre ce qu’il me voulait, mais je me suis rendu compte que j’avais toujours su qui il était.

C’était Mynkor. Le dieu renié, le frère jumeau de ma Némésis.

Pourtant je n’avais pas peur, j’ai accueilli sa bénédiction et il m’a parlé avec cet amour presque paternel. Il était seul au milieu de ruines, qu’il me décrit comme son temple. C’était délabré et pourtant cela avait un côté chaleureux, presque tendre. Je suis resté ici, longtemps, très longtemps. Pendant que Mynkor me parlait, me protégeait du monde extérieur, je me sentais bien. Libre même je dirais. Seul au milieu des ruines, j’ai cru parfois que j’étais fou, stupide, en proie à des hallucinations morbides à voir que le seigneur des ténèbres était proche de moi. Et pourtant je savais qu’il était là, qu’il ne me quitterait plus.

Je l’écoutais parler en mal de toi. Parler de ta cruauté. Il m’assurait que nous avions tout les deux soufferts en ton nom, et qu’il existait des multitudes de gens dans notre cas. Des gens qui n’osaient pas se rebeller ou même hausser la voix devant tes actes horribles. Aujourd’hui je me rend bien compte qu’il utilisait mes faiblesses pour me faire comprendre quelque chose de plus important. Si dans ma jeunesse, j’ai agi pour lui par pure vengeance, maintenant je sais que c’est tout simplement car c’est lui qui a raison et qui doit régner. Et non pas un quelconque roi ou une fausse déesse.

Aussi bien après plusieurs années passées sous son aile délicate et attentionnée, j’ai quitté le temple. Jeune et vigoureux, je me découvrais une nature débrouillarde et joliment dévergondée sous les bons conseils de mon nouveau dieu. Cette nouvelle vie, j’ai décidé de la dédié à ta déchéance, Eydis.

Tout d’abord, je revêtis l’habit monacal, prétendant te vénérer encore une fois. Tâche guère difficile quand j’avais grandi entouré de tes prêcheurs sombres. Je me faisais passer pour un prête itinérant et dépouillait sans aucun scrupule les moutons qui louaient ton nom. Parfois, j’arrivais à semer le doute dans l’esprit des gens, espérant que certains se réveillerait pour prendre les armes contre ton contrôle. J’ai fait cela quelques temps. Je peux t’avouer maintenant, Eydis, que c’était incroyablement facile et bien amusant… Je n’ai pas souvenir de quelque chose de plus amusant que de prendre tes moutons pour des pigeons. Bien ironiquement. Je crois que Mynkor appréciait cela tout autant que moi. Je lui avais fait part de mon idée de culte, de comment je voyais son nom redoré. Il lui fallait des adeptes, et j’en cherchais ardemment. Il fallait que je me rende à l’évidence, seul je ne pouvais rien. C’est à cette époque que j’ai rencontré ton soldat le plus fidèle, Eydis. C’est à l’époque où j’ai rencontré Aranka. Je me souviens très bien de sa force, de son courage. Elle était jeune, elle était belle, et pourtant elle avait les pieds et points liés à hurler ton nom à qui voulait l’entendre. Cela me rendait aigri. Et pourtant je l’avoue, j’ai adoré me jouer d’elle.

Nous voyageons ensemble dans une caravane guidés par des rôdeurs, et j’ai très vite comprit que je l’intéressais. Je l’ignore pourquoi, elle aurait tellement de raison de s’enticher de ma personne. C’est avec un plaisir sans précédent que je me suis amusé à la séduire, lui faisant miroité un jeune homme torturé, mystérieux et d’une délicatesse rare. C’est sans aucune peur que je lui avouais mon don de divination et la peur panique que quelqu’un le découvre. Elle se sentit dans la confidence et avala mes paroles sans poser de questions. Durant un moment du moins. Venu un jour où elle était envahissante, encombrante avec ses questions, elle tenta même d’utiliser son pouvoir d’inquisitrice sur moi. Je n’ai pas laissé cet acte impuni et après une de nos nuits d’amour à la dérobée, je l’ai poignardé dans le dos, et suis parti. La chienne a survécu cependant, et maintenant, elle est mère inquisitrice. Honte à moi de l’avoir laissé en vie. Je ne referais pas la même erreur, tu m’en seras témoin, Eydis.

Les années ont passés, j’œuvre dans l’ombre avec l’aide de ce boiteux de Dorian. Je ne l’apprécie guère, mais Mynkor lui fait confiance, alors j’obéis simplement. Reculé dans ma maison à Riocht Na Elves, sous la couverture d’un écrivain, je rédige en secret mes plans pour mon souverain. Au sein de la petite communauté de druides et de singuliers, je passe pour un brave et riche philanthrope. Il est relativement aisé d’en convertir certains à ma cause, je fais mon bonhomme de chemin sans recevoir de suspicions. Je reçois des dizaines de lettres d’admirateurs de Mynkor, et je leur envoie régulièrement des missives à mon tour. Notre jour viendra, il est proche. J’ai plusieurs brave soldats avec moi, tout comme tu as les tiens. Ma brave Oonagh restera la plus fidèle, et ma plus dévouée. Mais la plus compliquée restera Tanith… Brave écervelée. Je suis dans une rage noire contre elle. Moi qui fait des efforts considérable pour nous, les héritiers, manipulé tout dans l’ombre. Elle, réduit mes efforts à néant. Kidnapper des sorcières, tuer des chevaliers, engager des mercenaires… mais quelle folie ! Quelle idiote ! Et maintenant qu’il y a un procès contre elle, Mynkor et moi suivons de près la suite des évènements. Je sais qu’il a d’autres plans pour elle, et moi, son plus fidèle des admirateurs, je le suivrais sagement.