Wilhelm || That's where the winds will us guide

Le jour se levait à peine sur la cité des morts. De loin sur sa monture, Wilhelm avançait rapidement, son fidèle faucon le suivant à une dizaine de mètre d’altitude. Il ne s’était jamais autant éloigné du refuge qui l’avait vu grandir, mais il n’avait ni peur ni hésitation. Bien au contraire. Il était impatient de pénétrer cet endroit qu’on lui avait toujours interdit. Jusqu’alors il avait obéir sans trop bronché, mais cette fois, c’était hors de question. Maintenant qu’il avait atteint l’âge mur, ses parents avaient décidés qu’ils reprendraient la route en tant que rôdeur. Son frère ainé était né sur la route, et ils avaient pris la décision de devenir sédentaire pendant un petit moment, le temps d’élever leur fils, et également le nouvel enfant que sa mère portait. Lui et son frère avaient donc grandit dans le confort d’une modeste masure au refuge des rôdeurs. Et dès demain, ils s’élanceraient sur les routes.
Wilhelm avait donc décidé qu’il en profiterait pour aller visiter cette citée des morts. Il avait passé son enfance à courir avec les feux follets, il voulait voir d’autres choses. Si c’était dangereux ? Oh… probablement ! Mais c’était tout l’intérêt ! Il espérait bien voir quelque chose, et serait très déçu de marcher au milieu des terres interdites pour s’ennuyer dans des ruines inintéressantes. D’autant plus que ses parents n’étaient pas dupes et devraient déjà s’être rendu compte qu’il était parti. Il entendait déjà son père hurler, lui donner une vilaine claque sur sa joue où quelques poils commençaient à peine à pousser. Alors autant ne pas avoir fait le chemin pour rien.

Enfin, il pénétrait les lieux. Son faucon et son cheval ne disaient rien, ce qui signifiait qu’il était en sécurité pour le moment. Le jeune garçon savait très bien décoder les pensées de ses compagnons. Sa mère lui avait d’ailleurs dit qu’il ferait un excellent fauconnier. Ça changerait de son père, dresseur de chevaux, et de sa mère herboriste. Quant à Joann, son frère ainé, on ignorait ce qu’il pouvait bien faire. Il était naturellement doué en tout, mais aucune spécialité lui avait sauté au nez.  Personne ne désespérait pour lui. Il trouverait très bientôt sa voix, comme tout homme.

Pied à terre, il tirait son destrier par la bride et s’enfonça un peu plus dans les ruines. Rien de bien particulier, les quelques objets de valeurs avaient été pillés, et ce n’était pas les squelettes gisant qui pouvait bien l’effrayer. Le rôdeur avait toujours été pragmatique. Les morts ne pouvaient pas faire grand mal… ils étaient morts. Ce n’était pas demain la veille qu’il verrait un mort tenir une épée, et la manier mieux que lui. Plus il avançait dans la cité, plus il sentait la frustration l’emportait. Bon sang… il n’y avait donc rien ici ? Même pas une petite malédiction ? Juste des pauvres souris ? Il voyait déjà Joann se payer sa tête quand il rentrerait tout piteux.

Soudainement, son cheval se mit à hennir furieusement, et à se cabrer en arrière. Après une tentative infructueuse pour le calmer, l’adolescent se fit littéralement bousculé par sa monture avant de détaler sans demander son reste. L’oiseau aussi avait disparu. Wilhelm n’eut guère le temps de se demander ce qui s’était passé, alors qu’il entendit une espèce de sifflement jusqu’alors inconnu. Bien entrainé par les rôdeurs du refuge, l’adolescent dégaina son épée. Un frisson de peur lui parcoura l’échine, à moi que ça ne soit l’excitation. Et il la vit. L’araignée. Du moins, quelque chose qui ressemblait à une araignée, mais en bien plus énorme et impressionnant. Jamais Wilhelm n’en avait vu, mais les hommes de son village lui en avait déjà moult fois parlé. Et plus particulièrement de ce qui arrivait aux imprudents qui finissaient dans sa toile. Son dard, il devait éviter son dard. Ensuite, il pourrait rentrer chez lui et dire qu’il avait vu la cité des morts, et qu’il se sentait comme un homme. Il n’avait ni l’envie ni l’intention de finir comme casse-croute à pondeuse géante.

La créature chargea vite, et bien. A force d’éviter les tapes amicales de son grand frère, le jeune rôdeur avait appris à esquiver, d’autant plus que l’arachne était plutôt balourde et maladroite. Il contrattaqua vite avec un coup d’épée dans le but de découper quelques-unes de ses pattes. Dans l’idée ça fonctionnait, en pratique beaucoup moins, vu qu’elle ne reçut que quelques éraflures. Ça ne la ralenti pas le moins du monde, bien au contraire, elle vit rouge et retenta un coup de dard. Il ne voulait pas passer son temps à esquiver, alors il tenta un coup direct dans les mandibules pour qu’elle arrête de gigoter. Dans un cri de guerre qu’il ne reconnut que tardivement comme étant le sien, il enfonça son épée dans la tête de l’horreur. Un coup d’estoc rapide, et décisif. L’épée s’enfonça comme du beurre jusqu’à la garde, alors que le dard était dangereusement proche de lui.  Sans plus de spectacle, l’araignée s’écroula à ses pieds, et il eut un mal de chien à retirer son épée de son orifice.

Il resta un moment ici, devant le cadavre du monstre, en prenant le risque qu’un autre apparaisse. Pantois devant le sang noir qui recouvrait l’épée que lui avait donné son oncle pour son dernier anniversaire « Une petite. En attendant que tu deviennes un homme. » Avait-il dit. Il avait vraiment fait ça ? Tuer une arachne tout seul ? Personne n’allait le croire au village. Son cheval revint à petit pas, la tête basse. Il avait surement l’intention de s’excuser. Wilhelm eut un sourire en coin et remonta sur son dos avant de repartir en direction du refuge. Il avait hâte de montrer à ses parents le sang noir sur son épée. La correction qu’il reçut fut de taille, presque autant que l’admiration qu’il provoqua.

Ils prirent la route quelques jours plus tard comme prévu. Mais Wilhelm avait de plus en plus l’habitude de s’éloigner de ses parents pour aller voir ailleurs. Parfois pour quelques jours. La vie sur les routes lui convenait plus qu’il ne l’auraient cru. Et quelques temps plus tard, un peu après son frère, sans grand discours, il quitta définitivement la présence de ses parents. Tous les hommes font ça.


« Sir, sir !! » s’égosilla une fillette en tirant sur son pantalon pour quémander son attention. Le rôdeur se retourna,  avec la chouette effraye qu’il avait sur son bras. Ayant tout de suite compris le message, il s’agenouilla à la hauteur de la gamine et lui sourit en lui tendant l’animal pour la laisser le caresser.
La petite tête blonde s’en donna à cœur-joie, et insista pour rester avec lui. Wilhelm avait l’habitude de voir les enfants trainer autour de lui dès qu’il animait des fêtes de riches avec ses différents oiseaux. C’était moins amusant que de tuer des monstres, mais ça payait bien, et il n’avait pas grand-chose à faire.

« Marla ? » s’indigna une voix au loin. Une femme, certainement la mère de la fillette, s’approchait à grande vitesse et saisit la main de sa progeniture avec hargne. « Je t’avais pourtant dit de ne pas t’approcher de … de… de ce genre d’individus ! »

« Mais maman, regarde les oiseaux ! » Fit-il en désignant les différents rapaces qui voletaient autour de Wilhelm.

« Reste pas ici je te dis ! » Siffla la mère entre ses dents « On ne sait jamais ce que peut traîner des hommes de son espèce ! »
« Bien sûr madame. Je suis capable de donner la peste à votre fille d’un simple regard. D’ailleurs si elle est fatiguée ce soir, il faut vous inquiéter. Je vous conseille également de vous asperger d’urine de jument tous les jours avant de sortir. Ou si vous avez peur, vous pouvez tout simplement bruler tous les « gens de mon espèce » sur la place publique.  Mais faites attention, la cendre est contagieuse. »

Complétement hermétique à son humour discutable, elle se contenta de le dédaigner en tirant sa fille par la main, sans faire attention aux supplications de cette dernière. Wilhelm, sans vraiment d’explication, éclata de rire devant la scène. Il les trouvait tous pathétique.

Le soir venu, et le spectacle terminé pour lui, certains lui proposèrent d’aller faire un tour dans une des tavernes du village. Dans un quartier bien glauque où tout peut se passer. Ma foi, pourquoi pas ? et quelle surprise quand il entra et vit une tête qu’il connaissait bien dans l’assemblée.

« Si ça c’est pas mon frangin… » fit Joann en s’approchant de lui avant de manquer de lui briser le dos avec une accolade.

Les deux frères s’étaient séparés il y avait quelques années de ça, quand il se décida de rejoindre la piraterie. Un coin compréhensible, vu qu’il n’avait jamais beaucoup aimé la vie de rôdeur. Celle sur les bateaux lui convenait déjà mieux.

« Oh tu sais… la vie sur la mer c’est une autre paire de manche. » dit son frère au milieu de la conversation « On a pas à s’inquiéter de savoir où dormir, ni à se demander ce qui va nous tomber dessus, on a juste à survivre aux tempêtes, taquiner les navires marchands, et généralement tout se passe bien. Je pense que tu trouverais tout ça bien ennuyeux. »
« Et tu as raison. J’ai la nausée rien qu’à t’entendre. Je trouverais encore plus mon compte à m’acheter une ferme dans les plaines pour cultiver des légumes et élever des crétins de moutons. »
Wilhelm grimaça avant de porter son hydromel à ses lèvres.

C’est précisément à ce moment-là que la porte s’ouvrit avec fracas. « Des monstres ! Des monstres arrivent ! Il faut se mettre à l’abri. » S’étrangla celui qui venait d’entrer.

Joann avait peut-être dit quelque chose, mais déjà les yeux du rôdeur brillaient. Un regard que le pirate connaissait trop bien, et que le temps n’arrivait pas à changer.

« J’y vais ! Qui me suit ? »

Le silence lui répondit, la plupart des types se dévisageaient sans vraiment savoir qui dire. Fuir n’était pas la chose la plus viril à faire, mais aller dehors, affronter cet enfer, ça, non. « Autant laisser les soldats s’en charger » répondit finalement l’un d’entre eux.

« Pardon ? » Tonna Wilhelm en voyant que tous ceux qui se vantait être des guerriers accomplis refusaient de prêter main forte à ceux qui défendaient la ville. Non, c’était pire que ça. Ils avaient tous peur. « Je me suis tompé d’endroit ? Je ne suis pas dans une taverne mais dans un cours de broderie pour pucelles effarouchées ? Ah mais je suis navré, je ne vais pas pouvoir rester, moi j’ai une paire de couilles ! »

Son frère tenta une dernière fois de le retenir, mais c’était peine perdu. Wilhelm était déjà sorti.


« Ah par Eydis, mon gars ! Excuses-moi je t’avais pas reconnu dis-donc ! »
« Aucun problème. Si tu pouvais baisser ton arme avant que je ne te l’enfonce dans le séant, ça serait par contre une excellente idée… »

Siffla Wilhelm, vexé d’avoir été pris pour un vulgaire bandit. Son assaillant était un vieil ami de ses parents, nullement surprit de retrouver un des siens au milieu de nulle part. le hasard faisait bien les choses. Voilà quelques mois que le rôdeur n’était pas revenu à la civilisation, sa barbe avait drument poussée, il avait attaché ses cheveux pour ne pas être gêné, et s’était enfoncé dans les fourrées pour chasser. Il avait vu son confrère et avant voulu le saluer, et voilà qu’il se retrouvait avec une lance pointée sur la gorge. Magnifique journée, tout à faire de quoi le mettre de bonne humeur. D’ailleurs l’autre comprit très vite qu’il ne fallait pas le déranger plus que ça, et il retira bien vite son arme avant de le saluer et de continuer sa route. C’était un secret pour personne chez les rôdeurs que Wilhelm était un garçon au sang chaud et facilement irritable. D’autant plus qu’il préférait de loin faire route seul.

Une fois ce dernier parti, le rôdeur se gratta la barbe. Des semaines sans miroir, il n’avait pas vraiment prit la peine de prendre soin de ça, et imaginait sans problème son allure de barbare. Essayez de vous raser grâce à votre reflet dans l’eau aussi… il avait suffisamment de cicatrice comme ça, y compris une légère balafre sur le sourcil pendant une rixe avec des monstres. Si il se défigurait la moue en tentant de se raser, il n’oserait plus se montrer en public. Voilà donc pourquoi il renonça à cette idée. Il le ferait une fois à proximité d’un village.

Il retourna vers son cheval, où somnolait la chouette qu’il avait sauvé la veille. Il avait fait un bandage de fortune sur son aile, mais le plus essentiel avait été de la calmer. Un oiseau blessé a tendance à vite s’affoler et a aggraver son état. Visiblement elle allait mieux, juste un peu fatiguée. Il devait réfléchir à lui trouver un nom, et il n’avait jamais été très doué pour ça. Il devait déjà attendre un peu pour savoir si c’était un mâle ou une femelle, ensuite il aviserait.

Quelques heures plus tard, la nuit était tombée, et il dépeçait sa proie, un pauvre cerf, à la lueur du feu qui crépitait. Sous le regard bienveillant d’Ainor, son faucon et de sa jument qui se dégourdissait les jambes non loin de là.

La soirée aurait pu être d’une simplicité presque ennuyeuse si ¬il n’avait pas entend le cri strident qu’un harfang qui semblait chercher quelque chose. Ainor, bien dressé, lui répondit et s’en suivit un bref échange que Wilhelm suivit avec grande attention. Visiblement, le harfang était un messager, et il finit par montrer sa petite tête blanche. Le rôdeur se redressa pour dévisager l’animal, et il finit par le reconnaitre, c’était un de ceux qui se trouvaient au refuge, et qu’on utilisait pour porter des lettres. Il avait dût faire un long chemin pour se rendre jusqu’ici, c’était à plusieurs jours de vol. Avec application, il se saisit du bout de papier attaché à sa patte, et le lut attentivement. Une missive de son père.

« Mon pauvre frère… » Soupira-t-il en refermant le message. « Tu as passé ta vie à m’empêcher de me faire tuer, finalement c’est moi qui t’enterre. »

Le reste de la soirée se passa dans le silence. Hors de question de se mettre à pleurer comme une fillette, surtout maintenant que son frère pouvait le voir depuis les cieux.