là où la terre s'achève.

▬ Par le nom que je porte, Caleth, gloire de mon père et de mes ancêtres avant lui,
▬ Par mon lieu de naissance, dans le sein rude et profond des montagnes de Bairr Bàn, où mes pères vivaient avant moi,
▬ Mon âge, vingt-quatre ans, Eydis m'ayant donné la robustesse et la puissance,
▬ La personne que je suis, dragonnier, comme l'étaient mes pères et le seront mes fils,
▬ Et les responsabilités qui vont avec : dirigeant, au nom du sacré clan Bairr Bàn et de la justice d'Eydis,
▬ J'ai voué ma loyauté indéfectible aux paroles d'Eydis la Sage qui murmurent entre les montagnes et dans les ruisseaux, qui longent les plaines asséchées et frôlent les plissures des eaux de Lanriel.
▬ Miroir, mon beau miroir Jeremy Dufour.

Une cape de voyage pourpre à capuche, extrêmement chaude, fermée par deux crochets d'or au niveau du cou. Une selle de rechange, plus légère que l'actuelle, pour reposer le dragon. Aucune tente, aucun briquet ni boussole: les voyages d'Adiegan se font en totale improvisation, et dormir sous l'aile de son dragon n'a jamais été un problème, au contraire, ses écailles protègent mieux du vent que n'importe quel tissu. Une épée à deux mains – mais pas de bouclier, l'art de la guerre du dragon étant largement suffisant à lui seul pour ne pas s'encombrer de lourde protection. Une arbalète léguée par son père. Une besace uniquement consacrée au dragon, contenant de la viande séchée, des plantes réparatrices, et une potion de guérison très puissante, qui tuerait un homme sur le coup si l'un d'eux s'avisait de la boire. Sous la selle épaisse du dragon se trouve un médaillon, dit « médaillon d'Eydis », donné par sa mère. Pendu à une lourde chaine d'or, le médaillon est bombé et mêlé d'or et de cristal. On dit qu'il protège des malheurs et des mauvais jugements. De plus, Adiegan porte au majeur une bague donnée par le clan au moment de son élection au rôle de dirigeant. Elle lui permet d'être reconnu par les dragonniers dont il est amené à croiser le chemin, car certains ne sont pas revenus à Bairr Bàn depuis son élection récente.


▬ Je ne vous apprends rien en vous disant que Lanriel possède un roi, mais ce que j'aimerais savoir c'est ce que vous pensez de lui : Roi de Lanriel est un poste maudit, tout comme le sont les postes à hautes responsabilités en ces temps dévastés. Si mon clan se dit indépendant et insoumis à l'autorité du roi, je me dis Fils de Lanriel avant tout. Mon don de dragonnier a jailli de moi au moment où j'avais perdu tout espoir: au moment où j'ai su qu'il y avait encore une chance, une dernière et ultime chance, de sauver la vie, de rétablir un peu de justice sur mes terres. C'est là que j'ai su à qui je devais ma véritable allégeance. Non pas à mon clan, non pas à mes parents, non pas à moi-même, mais à ces terres qui m'ont fait naitre, et qui ont, bien avant moi, fait sortir mes ancêtres de leur sang et de leurs racines, à ces terres qui m'ont fait grandir en me permettant de me nourrir et de devenir robuste, résistant, à ces terres qui bercent en leur sein les mères de nos mères, et les sœurs de nos sœurs. Si Lanriel se choisit un roi, alors je suis avec ce roi.
▬ En parlant de seigneurs souverains, évoquons un peu les deux puissances divines de Lanriel : On raconte dans Bairr Bàn l'histoire de mes ancêtres, les Caleth. On dit que pendant la Guerre des Dieux, mon ancêtre, chef d'armée allié de Renfor et des dragons de Bairr Bàn, s'associa aux Elfes pour combattre la puissance néfaste de Mynkor. On dit que Caleth était tiraillé: les hommes et les dragonniers voulaient tuer Mynkor, les Elfes, druides et sorciers voulaient seulement l'enfermer à jamais dans les Terres Australes. On dit que Caleth n'a jamais aimé éperdument qu'une seule femme: une Elfe qui combattait aux côtés de son peuple les forces de Mynkor. Quand Caleth apprit que le prix à payer pour enfermer Mynkor était la race des Elfes, il ne put s'y résoudre et envoya son armée tuer Mynkor. On raconte qu'alors que Caleth s'apprêtait à lever son épée pour lancer ses hommes au combat, le murmure d'Eydis l'entoura dans un halo de lumière, et lui demanda de laisser la vie à son jumeau, car bien que maléfique, bien que détesté par la déesse, il était une partie d'elle, il était sa moitié. Pour l'amour d'Eydis, Caleth renonça à tuer le démon, et renonça à son unique amour. J'ai entendu ce récit toute mon enfance, et j'ai grandi dans le culte discret et tendre de la grâce d'Eydis. Elle est pour moi la mère rassurante qui m'accompagne partout où je vais, et je crois aux légendes qui racontent ses murmures aux oreilles des guerriers aveuglés. Je sais qu'Eydis guide mes pas.
▬ On a tous son petit ego et moi, Inasmir, le sorcier légendaire, n'échappe pas à ce vice. Alors répondez donc à cette question, que pensez-vous de moi? La nuit de la disparition d'Inasmir, j'ai fait un rêve. Le sorcier était enlevé par les démons de Mynkor, qu'il avait approché de trop près en pactisant pour obtenir plus de pouvoir – un pouvoir que seul un Dieu pouvait lui fournir. Enlevé avec lui son bouclier protecteur. Au milieu des flammes glacées et des ténèbres, je voyais Inasmir se tordre de douleur et gémir, appeler à l'aide et crier que ce n'était pas de sa faute. Mais ce n'était qu'un rêve. Je ne sais pas où est Inasmir, je ne sais pas qui il est, s'il est de ces hommes que le pouvoir finit par dévorer, ou s'il est un ange gardien prisonnier de l'enfer, tout ce que je sais, c'est que son départ a semé la désolation, et que Lanriel se meurt peu à peu. Qu'importe qui est Inasmir, je ne laisserai pas ma terre-mère, mes frères et mes sœurs, dépendre d'un sorcier. Vous pourrez demander autour de vous, à chaque dragonnier que vous croiserez, vous obtiendrez toujours la même réponse: nos esprits, nos épées et nos dragons n'ont pas peur des sorciers.
▬ La chute du Bouclier aurait secoué toutes les terres mais il y a des gens que cela laisse de marbre, je serai curieux de savoir si vous êtes une de ces personnes : Comment pourrais-je rester de marbre, alors que le lien le plus sacré, celui qui m'unit à mon dragon, a été créé lorsque j'ai voulu voler au secours de femmes et d'enfants victimes des démons de la nuit? Parmi tous les dragons d 'Easanna Do, celui qui est venu vers moi vivait avec cette même fougue, ce même désir de protéger, de se battre pour préserver la vie créé par Lanriel. Le bouclier du sorcier est vaincu, mais il reste d'autres remparts à Lanriel: ses fils se battent pour elle. Mon dragon et moi partageons cette pensée à chaque fois que nous nous envolons. Eydis semble nous dire que les temps de la facilité sont terminés, que l'heure est venue pour les enfants de Lanriel de dresser leur propre bouclier, de prouver, encore une fois, qu'ils sont dignes d'Elle.
▬ Mais dites-moi mon ami, racontez-moi donc un peu ce qui fait de vous un être si exceptionnel... Je n'ai rien d'exceptionnel. Je suis les hommes à moi seul, les pères, les fils, les époux et les enfants à moi seul, les guerriers et les sages à moi seul, je suis la pure et simple représentation de la dévotion à Lanriel à moi seul. Lorsque les faibles tremblent, ma poigne est ferme. Lorsque les femmes et les enfants pleurent, mes yeux sont secs. Lorsque les vieillards ont peur, mon regard reste fier. Je suis la jeune figure de l'espoir de Lanriel, le Dragonnier qui vivra et mourra pour elle. Mon dragon m'a permis de maitriser l'élément vent, un don qui m'était prédestiné: porteur de missives, fidèle messager d'Eydis, voyageur sans trêve. Dès que le vent tourne, croyez-moi, je le sais. Je le sens. Qu'importe ce qui souffle, je sais d'où cela vient, et où cela se rend. Je peux accompagner le vent et entendre les échos qu'il apporte dans un murmure à peine audible. J'entends malgré moi les prières et les lamentations de Lanriel. Mon chemin n'est pas droit et parsemé d'embuches, mais je ne dévie pas – mon esprit et mon dragon sont bien trop forts pour ça. Je ne suis pas exceptionnel. Je suis ce que vous avez besoin d'être quand vous avez peur. Je suis ce que vous avez besoin d'être quand vous partez au combat, quand vous levez votre épée au-dessus de vous pour protéger et abattre la mort. Je suis ce que vous avez besoin d'être quand tout autour de vous s'écroule et que les démons s'emparent peu à peu de tout ce qui vous rattache à la vie. Je suis Adiegan fils de Caleth, cavalier ailé de la Résistance et de l'Espoir. Je suis ce que vous serez lorsque nous combattrons ensemble comme un seul corps, une seule âme, enfants de Lanriel.
▬ Tous les goûts sont dans la nature, n'est-ce pas? Alors éclairez-moi donc sur les vôtres... J'aime voler au-dessus de Lanriel et sentir en moi l'esprit de Nëwenir, traverser les nuages glacés et frôler les lacs d'eau pure et claire tandis que le vent fouette mon visage, entendre rire les enfants de Lanriel et voir briller les yeux des femmes des plaines, j'aime, dans le noir total, assis à Ses côtés sur le flanc d'une montagne, écouter tomber la nuit et se réveiller les étoiles, la bercer de poèmes en ancien langage dont nous avons perdu tous deux la signification, je l'aime, Elle, Nëwenir la Protectrice aux ailes de feu et de terre, au museau rond et doux, aux yeux qui sentent la chaleur réparatrice des soirs de solitude. J'aime les hommes braves qui ne se cachent pas pour avoir peur, j'aime les sorciers qui font naitre des flocons de couleurs pour amuser les enfants, j'aime sentir quand, dans Lanriel, tout le monde respire en même temps. C'est alors qu'Elle et moi sommes heureux, sachant notre citée bordée et paisiblement endormie, nous nous allongeons tous deux dans le creux de la terre, et ouvrons nos yeux protecteurs, un sourire au cœur.
▬ Tout le monde veut quelque chose, il suffit de découvrir ce que VOUS vous désirez. Desiderare signifie regretter l'absence. Je ne fais pas partie de ceux qui attendent, qui regrettent, qui déplorent, qui rêvent. J'agis. Je me nourris du jour le jour et apprends à ne me satisfaire que de ce que je récolte. Lorsque je n'obtiens pas assez, je travaille plus dur encore le lendemain. Avoir des rêves est dangereux, car cela sous-entend essayer de voir le futur insondable. Qui sait si demain nous sera accordé? Il n'y a que maintenant qui peut le décider. Avoir de l'ambition est un venin, car cela signifie se mettre soi-même en scène au milieu des autres, s'en démarquer, faire une différence de valeur qui nous sépare d'eux. La seule chose qui me sépare des autres, ce sont nos actes, et par là nos choix. Pas nos aspirations, pas nos rêves éveillés, pas nos ambitions. Je ne regrette jamais car toujours ce qui est fait est fait, et ce qui est fait est fait parce qu'il devait être fait. Plutôt que d'inventer des chimères capables de changer les choses, je cours, je saute, je m'use et je transpire, pour débarrasser le chemin obstrué de pierres qu'Eydis a ouvert pour nous. Il n'appartient qu'à Eydis de désirer. À nous d'œuvrer.
▬ Et les autres dans tout ça. Je combats les créatures démoniaques envoyées par les Ténèbres de Mynkor. Quiconque les combat également n'a pas à me craindre, mais si je croise sur mon chemin un partisan du royaume du mal, alors je deviens meurtrier. J'aime avant tout les enfants de Lanriel, que je passe mon existence à protéger. J'aime le peuple de Lanriel, mais aussi ses guerriers, ses druides, ses sorciers, ses sages et ses devins. Au-delà de cet amour incommensurable, j'aime mon clan, celui de Bairr Bàn, où vivent les plus courageux des hommes, et les femmes les plus fortes qui soient. Mon élection au poste de dirigeant ne m'a pas attirée que des amis. Je suis le plus jeune dirigeant depuis des siècles, ce qui a de quoi susciter le mécontentement et les jalousies. Même si les dragonniers sont fiers et orgueilleux, ils savent reconnaître leurs supérieurs et les considérer comme il se doit. Je suis un dirigeant jeune, mais puissant et droit, honnête et vrai avec eux. Je sais faire preuve d'humilité face aux plus anciens qui m'ont vu grandir, qui ont volé aux côtés de mon père. À Bairr Bàn, le clan me respecte, et je le respecte. Je suis également connu des habitants de Cathairfàl, ville que je protège la plupart du temps. Également du Septentrion, que je connais par cœur à force d'en avoir exploré les moindres recoins. Je suis connu des soldats et des rôdeurs de Tuamarbh. Les hommes de la forêt de Riocht Na Elves connaissent mon nom, Caleth, gravé sur les pierres anciennes par le peuple des Elfes. Je suis connu de Sliabh Orga, maintes fois explorées avec Nëwenir, pour s'entrainer au combat et aux longues distances, mais aussi pour obtenir des informations des mercenaires. Je suis connu des pirates de Darya pour être intraitable et deviner lorsqu'on me ment... Ils savent aussi que je récompense comme il se doit ceux qui se montrent prêts à me donner les réponses que je demande. Enfin, je suis connu de beaucoup sans vraiment l'être, « ce dragonnier qui chevauche l'immense Roi-du-ciel dont les ailes cachent parfois le soleil ».

Fuyant le regard soucieux de son père, angoissé de sa mère, interrogatif des camarades, sévère des anciens, il reste allongé au-dessous du ciel, dans les vastes champs déserts de Perllan. Il songe à la place qu'il doit occuper dans ce monde qui n'a pas besoin de lui. Rayner n'a pas besoin de lui. À quoi servirait au chef des armées un dragonnier sans dragon? Mais Adiegan a cessé de regretter, de déplorer, et à présent, ses prunelles noires caressent les étoiles et rêvent de les escalader. Le monde est bien trop grand pour passer trop de temps sur soi. Depuis des jours, Adiegan s'est oublié. Bercé par la nuit qui tombe avec douceur, il oublie le temps, le passé, le futur; le présent, pour sentir avec force chaque parcelle de son corps peser sur la terre dure de Lanriel. Peut-on passer toute une vie allongé contre le sol de la terre-mère, immobile et profondément inscrit dans un immédiat sans histoire? Adiegan serait sûrement resté là, à méditer des questions dont les réponses prennent des éternités, s'il n'y avait pas eu ce cri déchirant. La voix brisée d'une femme. Un frisson électrise son échine tandis qu'il se redresse d'un bond. Il pense alors à la voix de sa propre mère. Ce pourrait être sa mère. C'est comme si c'était sa mère. Adiegan se lève et s'approche des terres habitées de la campagne, peu gardée par les soldats car trop éloignée des remparts militaires. Avec la discrétion et la souplesse d'un chat, il se glisse entre les arbres et aperçoit sans être vu. Deux créatures surgies de l'ombre avec la tombée de la nuit s'approchent à pas lents d'une ferme isolée, encerclent des paysans terrorisés, dont les mains tremblent de peur en brandissant leurs fourches, impuissants. À l'intérieur de la maison se dessine l'ombre d'une femme berçant contre son sein un enfant qui pleure. Une petite silhouette se précipite en courant vers le refuge, un seau d'eau vide à la main. Le puits se trouve au fond du champ, derrière la ferme, et l'enfant accourt sans savoir que le danger s'apprête à la tuer, de l'autre côté des murs de vieilles pierres. Une créature fond sur un des paysans et l'avale dans un nuage de vapeur noire comme de la suie. L'enfant, dont les cheveux longs se balancent derrière elle, accélère le pas dans les herbes hautes. Le cœur battant à tout rompre, Adiegan a déjà oublié qu'il s'était promis de vivre hors de lui-même, et entame une course comme plus jamais il n'en courut, de vie d'homme. Porté par un sentiment soudain, c'est comme si ses pas ne touchaient plus le sol – il sent à peine la terre vibrer sous ses bottes – comme si le vent lui-même le portait pour accélérer son rythme, pour avancer le temps. Dans la nuit noire, Adiegan grimpe par dessus les rochers, écarte les épines, saute par dessus les trous d'eaux, ne songe plus à respirer, parce que respirer n'est plus qu'un luxe quand ceux qui sont restés en bas, au combat, perdent le souffle au rythme de sa course. Easanna la nuit. La lune fait briller les dos puissants des dragons qui ne dorment pas, étinceler les yeux dans lesquels des flammes gelées miroitent, elle éclaire la toison blonde de l'être minuscule perché au sommet du pic de l'initiation, et qui demande en son esprit « Aide-moi. Viens à moi, je t'en prie, j'ai besoin de toi, plus que jamais, viens à moi. » Ses paroles semblent jaillir hors de son crâne dans des feux éclatants, et, brisant soudain le calme de minuit, deux ailes plus grandes que tout ce qu'on eut jamais vu déchirent le rideau noir du ciel. Tête bombée, aux écailles resplendissantes pourpres et brunes, le dragon Roi-du-ciel apparaît, crachant un jet ignescent d'une blancheur maladive. Adiegan ne recule pas. Le dragon agrippe la falaise rocheuses de ses énormes griffes, éraillant la pierre qui s'effrite sous le choc, ses ailes battant l'air avec une puissance démesurée que seule l'affinité d'Adiegan avec le vent lui permet de contrer. Une énorme tête au regard intelligent et sauvage s'approche de la sienne, et plonge ses yeux incandescents dans les siens. « Aide-moi. » Après un battement de longs cils, le dragon perd de l'altitude, quelques mètres à peine, et présente son dos au garçon.
On ne sait jamais ce qui pousse un dragon à accepter un homme sur son dos, c'est un mystère qui reste pour toujours ensevelit sous les sentiments intenses qui unissent un dragonnier et son dragon. On ne sait jamais non plus ce qui pousse un homme à reculer, prendre son élan, et sauter, atterrir sur le dos dur et écaillé d'un dragon qu'il ne connait que depuis quelques secondes, sans scelle et sans protection, et à se pencher le long du coup de sa monture pour lui murmurer un chemin qu'il n'est pas certain de connaître lui-même. On ne sait jamais ce qui pousse un dragon et son dragonnier à trouver ensemble la route qui mène au combat, ni ce qui pousse deux êtres bien trop jeunes pour se battre à se lancer au cœur d'une bataille. Ceux qui ont vu pour la première fois Adiegan, fils de Caleth et sa dragonne, Nëwenir, voler au-dessus d'une ferme abandonnée et incendier d'un feu blanc mêlé à une tempête de vent deux créatures indomptables, en racontent encore l'histoire. On raconte qu'Adiegan leva son bras au-dessus de lui comme s'il tenait une épée invisible, s'accrochant par les jambes aux écailles coupantes de sa dragonne, et déclencha une tempête à laquelle sa monture joignit un torrent de flammes. On dit aussi qu'une enfant aux longs cheveux bruns courut le lendemain dans tout Cathairfál raconter comment un dragonnier avait sauvé sa maison et sa famille des créatures du mal. Il est étonnant que les exploits qu'on voudrait voir jaillir, invincibles, au milieu d'une foule de fidèles ébahis, ne se révèlent souvent que devant une petite famille de paysans aux regards malheureux. Eydis nous prouve alors qu'un repas fait de semoule et d'herbes fraiches autour d'un feu de cheminée vaut plus que tous les applaudissements de l'univers. Que l'entraide suffit à la gloire. Il faudra du temps à Nëwenir et Adiegan pour se comprendre, trouver le langage qui les unit, savoir comment coordonner leurs forces, mais ils sauront prendre le temps nécessaire. Car en se regardant, au milieu du champ vert pâle de l'aube naissante, ils comprirent tous deux qu'ils s'étaient attendus bien longtemps, bien longtemps, avant de se rencontrer enfin.