Bafouille et révélation

Perllan… Esendril se souviendrait toujours de ses magnifiques paysages et de ses habitants pour le moins chaleureux. Il se rendait en ce lieu pour affaires, la plupart du temps, et ce fut encore le cas aujourd’hui. Cependant il ne repartit pas dans l’immédiat comme il le faisait habituellement, en cet après-midi où le temps lui paraissait plus agréable que les autres jours, il resta un peu plus longtemps. Bien que plus agréable, le froid était toujours présent malgré les efforts fournis par le soleil, ainsi le jeune homme était chaudement vêtu d’une chemise, d’une veste et d’un manteau. Il n’était pas de nature frileuse, mais il devait bien avouer que les hivers étaient rudes et celui-ci plus que les autres, puisqu’il persistait selon la volonté d’Eydis. En parlant de cette dernière, le devin avait fait un doux rêve cette nuit. Il y avait vaguement vu le jardin princier verdoyant et fleuri, du temps où il y avait été pour la première fois en saison printanière. C’était peut-être pour cela qu’il resta un peu plus longtemps à Perllan ce jour-là et ses pas le menèrent devant le dit jardin. Il s’arrêta et hésita un instant à y entrer, parce qu’il savait déjà ce qui l’y attendait: de la neige et des arbres sans feuilles.. néanmoins il était curieux de voir à quoi il ressemblait durant l’hiver, alors il y mit les pieds.

Il ne sembla pas aussi déçu qu’il ne le pensait au départ, car finalement le tableau était magnifique. L’herbe était recouverte d’une épaisse couche de neige incroyablement blanche et les arbres ainsi dénués de leur feuillage se mariaient avec le reste. Mais il concevait bien qu’un tel endroit ne recevait de visiteurs que durant les saisons chaudes. En jetant un œil aux alentours, il ne fut pas étonné de ne voir que deux ou trois personnes lointaines, il n’avait aucun intérêt à rester ici, toutefois il ne rebroussa pas chemin. Il décida de faire quelques pas jusqu’à s’arrêter devant une marre, celle-ci avait gelé en surface, il sourit en songeant que la fine couche de glace cèderait sous son poids. Il n’était bien heureusement pas assez fou ou inconscient pour tenter l’expérience, mais l’idée le fit sourire, n’allez pas chercher pourquoi… Ceci étant dit, il s’accroupit et passa une de ses mains gantées sur la glace et en regardant mieux au travers, il y aperçut du mouvement. Oh ainsi donc, les petites créatures marines de cette marre résistaient au froid ! Il rit un instant, se trouvant incroyablement ridicule et remercia Eydis que le jardin soit désert, ou presque.

Il eut soudain une impression étrange, il ne savait jamais comment l’expliquer, mais cela lui arrivait souvent. Il fit disparaître son sourire et se redressa lentement, il se sentait comme observé ou dans tous les cas, il était pratiquement sûr qu’il y avait quelqu’un d’autre dans les parages, non loin… et il attendait. Peut-être faisait-il erreur et que ce n’était rien du tout, mais l’on n’était jamais sûr de rien. Ce ne fut qu’à peine dix secondes plus tard qu’il entendit quelqu’un approcher et qu’il se retourna presque brusquement, lorsqu’en voyant de qui il s’agissait, il se détendit. Cette personne le salua timidement, comme elle semblait le faire à chaque fois et il sourit instinctivement.

« Bonjour Aymaeris. »- Il lui adressa un grand sourire, peut-être trop franc, avant de se frotter machinalement les mains. « Je te croyais au château par cette fraîcheur, que fais-tu par ici ? »- Ce n’était pas un reproche, plutôt de la curiosité, parce que finalement il était bien content que ce fut elle et pas un autre. Aymaeris était une domestique qu’il côtoyait souvent depuis maintenant quatre ans. Cela remontait à loin, mais pourtant elle gardait cette même timidité et il songea, au final, que ce devait être son tempérament. Il avait de nombreuses fois essayé de la mettre à l’aise, mais la plupart du temps elle s’éclipsait trop vite. Il la trouvait adorable et sympathique, il trouvait juste dommage de ne pas la connaître davantage. Aujourd’hui elle ne pourrait pas s’éclipser, n’est-ce pas, c’était peut-être l’occasion de passer un peu de temps avec elle. Et puis elle avait déjà fait un grand effort en venant elle-même l’aborder. Elle progresse pensa-t-il en souriant de plus bel.

« Viens, marchons un peu. Tu aimes cet endroit ? J’y viens au printemps d‘habitude, mais depuis …enfin, tu sais, le printemps n’est pas venu cette année et cet endroit me manquait. »- Il était d’un naturel bavard, mais il espérait ne pas l’avoir été de trop. Il se frotta nerveusement la nuque en lui adressant un mince sourire.

La demoiselle avait aussitôt réagi à sa question et une nouvelle fois, elle semblait chercher ses mots. Était-il si intimidant ? Ils étaient de même rang social et se côtoyaient depuis bientôt quatre ans, mais on ne pouvait pas changer la nature de quelqu’un…et il savait combien la timidité était un fléau, presque autant que la maladresse, et que ce n’était pas quelque chose qui se corrigeait facilement. Alors il garda ce même sourire, fin et sincère, qui -il l’espérait- la mettait plus à l’aise. Dans ses hésitations elle lui confia qu’elle était en congé, lui ne l’était pas, mais il n’était pas à une heure près, qu’il rentrait tout de suite ou plus tard ne changeait pas grand-chose. Alors il décida de rester et puisque sa jeune amie était en congé, il l’invita à faire quelques pas sur le chemin enneigé du jardin. La neige avait une texture bien étrange et si jusqu’ici ses bottes s’y étaient enfoncées à chacun de ses pas, la couche de neige sembla plus fine sur le petit chemin de pierres. Mais alors la douce voix d’Aymaeris le ramena à la réalité et il l’écouta sans pour autant relever la tête. Il l’avait légèrement baissée lorsque son regard s’était attardé sur la neige, ses yeux roulèrent vers la demoiselle qu’il regardait d’une toute autre façon.. Un regard qui oscillait entre amusement et curiosité.

— Oui, j'aime beaucoup cet endroit. J'y venais souvent enfant avec ma mère et mon frère. On s'imaginait qu'on vivait mille et une aventures. Denialig se prenait pour un chevalier et moi pour une sorciè... Une sorcière ? Pourquoi avait-elle eu peur de prononcer ce mot ? Après tout il n’y avait aucun mal à ce qu’elle admire cette caste et puis d’après ce qu’elle venait de dire, elle était enfant lorsqu’elle s’amuser à en être une. Elle lui fit se rappeler que lorsque lui était enfant et qu’il s’amusait avec la jeune princesse, il jouait toujours le rôle de l’affreux vilain que la princesse, qui en l’occurrence se donnait le rôle d’une héroïne guerrière, combattait. Lui aussi à cette époque s’imaginait toutes sortes d’aventures et à présent, il en vivait de réelles et ce depuis l’âge de quinze ans. Sans le vouloir, la charmante brune lui avait rappelé de vieux souvenirs qui le firent sourire et regarder devant lui, laissant son regard se perdre à l’horizon.

— Euh ... Esendril ... Je ... J'ai quelque chose à t'avouer ! A nouveau projeté dans le moment présent, il fronça les sourcils en signe d’interrogation et posa les yeux sur la demoiselle. Que voulait-elle donc lui dire ? Lorsqu’elle poursuivit avec son habituelle hésitation, il lui sembla que ce devait être assez important pour elle. Il savait que ce n’était pas la bonne attitude à avoir avec quelqu’un d’aussi timide, pourtant il ne put s’empêcher de rire en la voyant si gênée. Il tenta alors de deviner ce qu’elle essayait tant de lui demander et soudain, il eut comme une illumination et reprit la parole avec entrain.

« Hum… je crois savoir. » Il élargit son sourire et prit un air taquin lorsqu’il poursuivit. « Tu rêves de rencontrer la princesse, mais tu n’as jamais trouvé le courage de lui parler, alors tu aimerais que je te la présente. Non, ce n’est pas ça ? » Et il déballa tout cela lentement, d’une voix calme et sûre, tandis que le ton avait été empreint d’une taquinerie inoffensive. Comme dit plus tôt, il avait prit sa timidité pour son tempérament et imaginait bêtement qu’elle l’était avec la plupart des gens. Et puis sur le moment, il ne voyait pas vraiment ce qu’elle voulait lui dire d’autres. Peut-être un service ? Il la regardait toujours alors qu’elle avait baissé les yeux au sol, c’était adorable la façon qu’elle avait de tirer nerveusement sur ses manches et il s’en voulait un peu de s’amuser avec sa timidité… il l’avait taquiné sans penser à mal, mais si cela l’avait gêné davantage, il était bien loin de réussir à la mettre à l’aise. Il détourna la tête pour regarder autour de lui et ralentit le pas en lui faisant comprendre qu’il voulait s’arrêter. Il regardait loin devant lui, en direction d’un espace entièrement recouvert de neige et qui donnait l‘impression d‘une petite clairière.

« Dis-moi Aymaeris, tu as déjà essayé de t’allonger dans la neige ? » Il lui adressa un grand sourire et lui attrapa soudainement la main avant de marcher rapidement jusqu’à cet espace. Certes la neige était froide et humide, mais l’expérience valait le coup, après tout ce n’était pas si différent que de s’allonger dans l’herbe. Sauf peut-être le risque de tomber malade. En cette journée le soleil était de sortie et le vent était si faible qu’il ne le sentait pratiquement pas, il faisait un temps agréable. Arrivé sur place, il relâcha la fine main de la jeune fille et se laissa tomber en arrière. Son manteau résistait à la pluie, il résistait donc aussi bien à l’humidité, seule sa tête n’était pas recouverte d’un bonnet… il n’y avait pas pensé, à vrai dire. En revanche il portait une écharpe épaisse. Alors pour minimiser les dégâts, il croisa ses bras derrière la tête et observa son amie qui n’avait pas bougé. « Je t’assures que ça dépend et je crois que ça te ferait du bien. Sauf si tu n'aimes pas la neige.. d'ailleurs tu as une saison préférée ? » Une fois encore il afficha un sourire trop grand.

Il avait fermé les yeux alors que la jeune fille lui répondait calmement. Son anniversaire… voilà une information qu’il enregistra à la seconde même où elle le mentionna. Ainsi donc elle préférait l’été… il est vrai que le paysage était très beau durant cette saison et que le temps était souvent -pour ne pas dire toujours- agréable. Mais peut-être un tantinet trop chaud pour Esendril, ce pourquoi il préférait le printemps. Il entendit un mouvement sur la neige et ouvrit discrètement un œil pour s’apercevoir que la brune avait suivi son conseil, ou du moins en partie. Elle s’était assise et fermait les yeux, alors il referma le sien et garda un fin sourire sur les lèvres. Malgré la fraîcheur environnante, il sentait une faible chaleur sur son visage dû au fait que le soleil se trouvait juste au dessus et qu’il le frappait de plein fouet. Il avait l’air apaisé et pour peu, il se serait presque endormi si le sol n’était pas aussi froid. Ce qui le conduisit à rouvrir les yeux ne fut pas cela pourtant, mais bien la jeune fille. Jusqu’à maintenant ses bégaiements et autres hésitations lui avaient parues plus calmes, contrôlées, alors que ceux-ci …il y avait quelque chose de différent dans sa voix, il y entendit de la détermination, mais aussi de la crainte. Il se redressa rapidement en essayant de comprendre, que cherchait-elle à lui dire qui lui provoque ainsi tant de gêne ? Il cherchait son regard, mais elle le trouva avant lui et s’exclama d’une seule traite. Si bien qu’il n’avait pas été certain de tout comprendre, mais ce fut pourtant bien le cas. Il n’avait d’ailleurs que trop bien compris.. Ses yeux s’écarquillèrent d’eux-mêmes, sans même qu’il ne s’en soit rendu compte et s’il avait entrouvert les lèvres, aucun son n’avait daigné sortir. Il se reprit au bout de quelques secondes, clignant plusieurs fois des yeux en détournant la tête, incrédule. Elle … l’aimait ? Il était d’autant plus surpris qu’il ne s’en soit jamais aperçu jusqu’à aujourd’hui et en une poignée de secondes, il se remémora les quatre dernières années passées en sa compagnie.. Il comprit un peu mieux certaines choses, comme sa timidité et ses fréquentes visites aux écuries, mais jamais il n’en serait venu à cette conclusion. Aucune fille ne lui avait porté un si grand intérêt et la sincérité qui avait imprégné sa voix lui avait ravi le cœur, il était touché de cette attention, néanmoins il ne suscitera pas la même chose chez Aymaeris. Et alors son sourire eut quelque chose de.. triste. Il ne s’était écoulé qu’une dizaine de secondes entre la révélation et le moment où Esendril reposa les yeux sur la demoiselle qui elle, les gardait détournés.

« Je… tu m’as pris par surprise.. » Il sourit nerveusement, mais reprit aussitôt. « Je suis réellement touché par ces mots…et par l’attention que tu me portes … » il la regardait toujours, espérant peut-être qu’elle tourne son regard de saphir vers lui, mais elle restait détournée. « ..et je comprends tes sentiments, mais … » à son tour de se sentir extrêmement gêné. Il se mordit la lèvre inférieur tandis qu’il déposa une main sur celle de la jeune fille avant de la retirer, doucement, prouvant par ce simple geste qu’il ne répondrait pas. Du moins il ne lui donnerait pas la réponse qu’elle attendait. « ..je suis désolé. » Il baissa le ton avant de détourner le regard et de se tourner légèrement vers la gauche, il rabattit ses jambes de façon à s’asseoir en tailleur. Aymaeris n’était plus dans son champ de vision, trop à droite, mais il pouvait sentir sa présence à ses côtés et le silence qui s’était installé était particulièrement lourd. Tout s’était déroulé trop vite pour Esendril, cela faisait pourtant quatre ans, mais pour la jeune fille seulement. Pour lui, cela ne faisait que deux minutes.. Il l’avait toujours vu comme une amie et la voir de cette façon.. telle qu‘elle le voyait, il ne savait pas vraiment quoi en penser.. Néanmoins depuis qu’elle lui avait dit ces trois mots, il se sentait différent. Il ne pouvait nier qu’elle lui plaisait, mais ce n’était pas suffisant, car un obstacle de taille s’imposait d’urgence dans son esprit, sans pourtant qu’il ne réussisse à y mettre le doigt dessus.

« Cela ne veut pas dire que rien ne changera. » Aymaeris ne pouvait sans doute voir que son profil, mais le jeune homme souriait pendant qu’il s’amusait à tracer des cercles dans la neige, les yeux rivés sur cette dernière jusqu’à ce qu’il les tourne vers elle. « Laisses-moi …le temps. Apprends-moi à te connaître et passes me voir plus souvent ... » Il abandonna ses cercles et se releva sur ses deux jambes. Il retira rapidement la neige de ses vêtements et tendit une main vers la jeune fille, le même petit sourire aux lèvres. « ..comme aujourd'hui. Marcher nous réchauffera, si tu veux toujours de ma compagnie.. » Il comprendrait qu’elle veuille s’enfuir, car il avait été plutôt direct …même s’il s’était trouvé délicat, il avait d’ailleurs tout fait pour ne pas la blesser. Pour une fille aussi timide, il avait dû lui falloir beaucoup de courage pour avouer ses sentiments ..ou alors, cela n’avait que trop tardé.

Aymaeris s'était redressée avec l'aide du jeune homme, puis comme lui, elle prit le temps de se débarrasser de la neige. Pendant ce temps, Esendril regardait ailleurs en se frottant les mains, peu sûr de savoir ce qu'il faisait encore ici. Il l'avait invité à marcher, soit à se balader et pourtant, il était encore bloqué sur les paroles de la jeune fille.. Pour un choc, c'en était un ! Le pire était qu'il ne s'en doutait pas le moins du monde, au contraire, il pensait l'avoir toujours plus ou moins embêtée lorsqu'il venait lui parler et qu'elle, et bien, s'éclipsait à la moindre occasion. Il en connaissait désormais la raison et il n'était pas sûr que cela lui convienne, il était peut-être trop tôt pour tirer des conclusions si hâtives, aussi se laissera-t-il le temps de réfléchir à ce qu'il venait d'entendre.

— Bien sur que je veux toujours de ton agréable compagnie ! ... Il reporta son attention sur la demoiselle et sourit à cette réponse. Il prit le temps de l'observer tandis qu'elle reprenait la parole, lui parlant un peu de sa personne ..dès aujourd'hui il apprendrait à la connaître mieux et c'était ce qu'il voulait. Il se mit dans la même direction qu'elle et commença à faire quelques pas pour entamer la balade. Ils parleraient en marchant. — Mon père était soldat et il est mort récemment. Esendril fit une moue désolée tandis qu'inconsciemment, il alla frôler sa main avant de la ramener aussitôt à lui. Ce devait être ces trois mots qui lui faisaient perdre la tête.. oui, ce devait être cela. Il regardait fixement devant lui d'une oreille attentive alors que Aymaeris poursuivait. — Il est un peu mon opposé niveau caractère. Il est plus calme que moi. Ça il voulait bien le croire. Ses lèvres s'étaient étirées en un grand sourire. — Et ... J'ai quelque chose que personne de ma famille n'a. Surpris et à la fois curieux, il tourna lentement la tête vers elle et plongea dans l'azur de ses yeux. Mais ce n'était pas ses yeux qu'il devait regarder, aussi baissa-t-il le regard sur les mains qu'elles tendaient. Du feu. Il resta un instant bouche-bée, mais cela n'avait pas l'air de le surprendre davantage. Il avait plutôt eu l'air fasciné. Mais ça, il ne s'y était pas vraiment attendu ...

¤ Et je peux communiquer avec mes proches jusqu'à une certaine distance ! C'est comme ça que je peux savoir si mon frère va bien ou non mais c'est également ainsi que je fus au courant de la mort de mon père ! ¤

« Mais.. qu'est-ce que ! Tu es ..tu.. »

— C'est pratique mais je ne peux le faire qu'avec les personnes qui en sont au courant, c'est-à-dire, mon frère, ma mère... et toi à présent !

« Tu es une sorcière... et tu communiques par la pensée ... » Cela faisait beaucoup de choses à assimiler.. elle était une sorcière et pourtant, tout comme lui, elle ne le montrait pas. « C'est fascinant ! Tu as hérité de dons exceptionnels, Aymaeris, peu de gens ont cette chance. » Il étira son sourire et reprit leur marche, l'écoutant alors qu'elle parlait à nouveau. Elle rêvait de devenir une guerrière, mais d'après ce qu'elle lui avait dit sur son père et son frère, ça ne l'étonnait pas vraiment. Il avait l'air attendri et soulagé, elle était plus naturelle aujourd'hui, plus bavarde et il en était sincèrement heureux. Elle dépassait peu à peu son embarras, comme si le fait de lui avouer ses sentiments l'avaient libéré du poids le plus lourd. Cependant sans le vouloir, elle toucha une corde sensible en lui lorsqu'elle fit allusion aux personnes qui ne s'en servaient pas pour faire le bien. Étrangement, il sentait que cela lui était aussi adressé. S'il avait assumé son don dès qu'il l'eût, peut-être aurait-il pu aider quelques personnes ... De toutes les façons, il ne le désirait pas plus aujourd'hui.

« Je t'envie un peu.. tu n'as pas peur de tes dons, tu as un rêve et veux aider les autres... » Il s'arrêta et posa une main délicate sur l'épaule de la demoiselle. Prit d'une impulsion à la fois tendre et taquine, il se pencha vers elle et n'arrêta ses lèvres qu'à un ou deux centimètre de son oreille. « ..je peux voir l'avenir, le passé.. tu sais, ce genre de choses.. » Murmura-t-il sur un ton enjoué. Puis alors il s'écarta et observa ses réactions, souriant. Pourtant au fond de lui, il ne se sentait pas aussi serein... mais il imaginait qu'en étant une sorcière et lui ayant avoué, il lui devait au moins ça. Il s'était dit qu'ils auraient un secret en commun, quelque chose à partager ..et il espérait ne pas avoir fait une erreur en lui révélant sa position.

Elle était vraiment mignonne, attendrissante ou n’importe quoi qui s’en rapproche et cela avait le don de lui décrocher un sourire. Elle avait l’air d’être une fille déterminée et sûre de ce qu’elle voulait, lui précisant presque de façon naturelle que ses dons serviraient pour faire le bien. La chose lui paraissait évidente. Cette force de caractère, Esendril l’appréciait plus qu’il ne le laissait paraître et tout ce qu’il avait fait jusqu’à maintenant, était de lui sourire. Certes avec sincérité, mais sous ses traits jovials, le jeune homme était un tantinet mal à l’aise, par rapport à lui, à ce qu’il était et à son propre don … Aymaeris n’était pas la première personne à faire naître cette réaction en lui, aussi mit-il ses doutes de côté et décida, sur un coup de tête, d’avouer à la jeune fille ce qu’il n’avait encore jamais osé révélé à sa maîtresse …et amie d’enfance. Sans doute parce qu’avec la jolie brune, cela lui paraissait plus simple du fait qu’elle était elle-même une sorcière. Mais peut-être aurait-il dû la laisser penser qu’il était aussi banal qu’un autre…comme il le faisait avec presque tout le monde. Alors aussitôt qu’il se fut redressé, il l’avait un petit peu regretté. Néanmoins la réaction de sa vis-à-vis le fit changer d’avis, tant elle le fit rire.

Effectivement, Aymaeris avait soulevé le fait qu’il n’avait jamais réalisé ou même compris ses sentiments pour lui, alors qu’il était devin. Il se moqua dès l’instant de lui-même, car elle n’avait pas tout à fait tort. Mais elle n’avait pas forcément raison non plus. Même s’il avait apprit à contrôler son don, il n’aurait certainement jamais cherché à savoir quoique ce soit sur la demoiselle, car ceci entrait dans le domaine du privé et qu’il n’était pas assez curieux et indiscret pour sonder l’esprit des gens. Bien sûr il en avait vu des choses privées, mais ça n’avait été qu’aléatoire à chacune de ces fois. D’ailleurs, tout ce qu’il voyait était aléatoire. De toutes les façons il s’obstinait à la même chose depuis des années: refouler sa clairvoyance. Et même si la jeune fille avait voulu se montrer plaisantin, ses mots le touchèrent plus que prévu. Exercer son don ? Il ne l’avait jamais souhaité, au contraire d’elle. Il tenta cependant de ne rien montrer et de rire lui aussi, bien que l’on pouvait aisément sentir qu’il était légèrement gêné.

— Non, plus sérieusement, tu devrais l'utiliser pour aider les gens ! Il serait surement bien utile ! Peut-être pas le crier sur les toits mais au moins, tu lui donneras un sens !

Des mots bien inoffensifs et même raisonnables, pourtant il se sentait de moins en moins confiant. Elle ne se rendait pas compte de ce que cela représentait pour lui, elle n’avait aucune idée de ce que signifiait ce don exceptionnel pour lui… Une nouvelle expression déformait ses traits délicats et son sourire n’en était plus vraiment un. Il n’avait jamais autant douté de lui-même qu’à cet instant, tout se mélangeait et il n’était plus capable de penser correctement. Alors tant pis, il laissa ses doutes prendre le dessus et toute joie disparut de son visage, ne laissant place qu’à une infinie tristesse mêlée à l’incertitude. Pourtant il savait déjà ce qu’il lui répondrait, tout en étant conscient qu’elle n’avait jamais pensé à mal puisque, comme il l’avait pensé plus tôt, la jeune fille abordait ce sujet naturellement. Et comme pour ses dons de sorcière, il lui avait paru évident qu’Esendril veuille aussi en faire usage pour le bien. L’intention était bonne, mais il n’avait jamais voulu de cette responsabilité.

« Il y a une différence entre toi et moi, Aymaeris, » il la regardait dans les yeux, affichant un mince sourire, « Tu as accepté tes dons.. moi pas. » il plissa un moment les yeux avant de regarder à nouveau devant lui, l’air un peu plus détendu, car après tout il ne lui en voulait pas. Au contraire. « Il est vrai que j’aurais pu apprendre à le contrôler, mais je ne l’ai jamais voulu. Je ne le veux toujours pas. » Il sourit et émit même un rire tellement cela lui paraissait idiot, et elle pouvait bien le considérer comme tel, elle aurait certainement raison. « J’ai toujours vu ce don comme la malchance équilibrant le fait que ma vie ait été un luxe …pour quelqu’un de ma condition. » Il baissa la tête d’un air presque abattu, même si son sourire ne le quittait pas. « Quand bien même l’intention d’aider les gens est noble, je ne le ferai que si mon don me l’impose. » Il releva les yeux vers la jeune fille et s’arrêta, se plaçant devant elle et déposant ses mains sur chacune de ses épaules. Il la regardait avec une certaine tendresse tandis que ses traits reprenaient l’air si jovial qu’il avait eu peu avant. « J’aurais pu ne rien te dire, pourtant je l’ai fait. Tu es la première à qui je parle aussi librement de …ça et j’aimerais que cela reste entre nous. » Il se mordit la lèvre inférieur avant de se déplacer sur sa gauche, laissant glisser un de ses bras autour des épaules de la demoiselle. Il lui adressa un plus grand sourire tandis qu’il la tenait fermement, en toute amitié. « Alors miss, qu’aimerais-tu savoir d’autres sur moi ? » Il n’aurait jamais pensé pouvoir apprécier autant sa compagnie, disons qu’avant aujourd’hui il ne la connaissait pas assez.

- Oui, bien sur ! Ne t'en fais pas ! Les secrets sont très bien cachés avec moi !

Il sourit à nouveau, automatiquement, car son esprit était lui ailleurs. A ces mots, il eut une pensée pour son amie la plus proche à qui il n'avait, au contraire, jamais trouvé le meilleur moment pour lui avouer ce secret. Mais le fait que la jolie brune soit une sorcière et qu'elle le lui ait révélée l'avait un peu aidé, avouons-le. Mais il se sentait bien, contrairement à ce qu'il avait redouté, c'était un poids de moins qui se retirait de ses épaules. Ainsi donc il prit la jeune fille par l'épaule et l'approcha de lui dans un geste se voulant amical, mais il ne pouvait pas nier qu'il était heureux ..en un certain sens. Personne encore ne s'était intéressé à lui comme Aymaeris, elle était gentille, douce et jolie, alors pourquoi se priver ? C'était un peu taquin de jouer avec ses sentiments, de profiter de la situation ou tout simplement de sa timidité, car il la sentait se raidir contre lui.. Machinalement, il caressait lentement son bras espérant ainsi la réchauffer.. Une excuse peut-être, car si cela ne se voyait pas autant que chez la demoiselle, lui aussi était timide et lui aussi rougissait, sous son écharpe. Mais il était plus grand, plus haut et elle ne pouvait pas lire sur ses traits, à son grand soulagement. Et pour que cela continues, il ré-entama la discussion en lui demandant ce qu'elle aurait aimé savoir de plus sur lui.

- Euh ... Attends que je réfléchisse !

Ils avançaient toujours, s'approchant un peu plus de la sortie à chaque seconde.. Esendril n'avait plus qu'une envie: retourner à Cathairfal et plus précisément au Palais. Cela tombait bien Aymaeris vivait au même endroit, ce qui lui permettait de la raccompagner. En plus elle était chanceuse ! Mais c'était loin de déplaire au jeune homme qui, à force de sourire, allait finir par se provoquer une crampe, mais que voulez-vous..

Bon, que je résume : je sais que tu es le fils de la nourrice de la princesse Izhelinde qui est en même temps ta meilleure amie, que tu es son écuyer et que tu es devin.

Il fit une moue faussement impressionné, sachant pertinemment qu'elle le connaissait mieux qu'il ne la connaissait, ce qui au fond le rendit un peu triste. Il ne la coupa guère néanmoins et la laissa poursuivre. Elle devait lui poser une question ou peut-être plusieurs et alors enfin, il parlerait. Maintenant qu'il y pensait, lui aussi en avait encore quelques unes pour elle. Aujourd'hui plus que jamais, il désirait tout apprendre de la demoiselle et c'était quelque chose qu'auparavant l'indifférait. Les deux jeunes gens n'avaient jamais été si proches.

Ah oui, et que tu adores beaucoup les chevaux. J'aimerai bien faire une promenade à cheval avec toi un jour ! Enfin, si ça te dis !

Il en serait ravi ! Elle venait de lui donner une idée pour leur prochaine rencontre. Peut-être pas tout de suite, le temps qu'il réfléchisse à tout cela, mais il pouvait bien lui accorder une balade à cheval en toute amitié.

Et puis, euh ... qu'est-ce que tu aimes d'autres que les chevaux et te mettre par terre sur la neige ?

Il baissa le regard vers elle avant d'éclater de rire puis dans un nouveau geste machinal, il la serra davantage contre lui en se disant que c'était parce qu'il faisait froid. Il ne profitait aucunement de la situation, oh non il n'oserait jamais (a).

« J'aime regarder les nuages et m'amuser à leur trouver une forme. J'aime les fraises et les coquelicots, ce pourquoi j'aime le printemps. J'aime passer du temps avec mes amis, qu'importe comment, tant que je bénéficie de leur compagnie. »

Il lui répondait lentement et sur un ton plutôt bas, comme s'il voyait devant lui toutes ces choses qu'il citait.. il souriait tendrement et se laissa bercer par la brise lui paraissant soudain moins fraîche, n'était-ce que son imagination ? Il leva les yeux vers le ciel nuageux, ne perdant rien de sa bonne humeur.

« J'aime beaucoup de choses et toutes les citer me prendrait des heures. Allons, j'aimerais bien savoir ce que tu aimes aussi .. mis à part l'été ? »

La sortie du jardin n'était plus qu'à quelques mètres et bientôt ils arpenteraient le chemin de terre, recouvert de neige, qui menait à la ville. A cette allure ils en auraient pour une, deux heures ? De toutes les façons la nuit était loin de tomber, le soleil était encore assez haut, même si caché. Ils seraient rentrés avant le dîner.