Riagàn - Trinity's crying.

Mes mains apparaissent et disparaissent dans les pans de ma cape. Happés par une énergie qui vous dépasse, bientôt vous entrerez dans un nouveau monde, mon monde, celui que j'ai forgé par mes voyages, mes envies, mais qui s'est également forgé tout seul, par tout ce qui est arrivé sans que je le veuille.
Je suis tout puissant. Ce qui se déroule dans vos yeux ébahis qui ne regardent déjà plus le monde réel, voilés par quelque chose qui vous dépasse, comme si vous tombiez dans la mort, ce n'est pas un dessin, ce n'est pas concret, ce n'est pas déchiffrable, ce sont toutes les images qui plus tard vous hanterons. Il ne s'agit pas de hanter dans le sens le plus plat du terme: je ne cherche pas à semer la terreur, je cherche à vous charmer, comme le fait un charmeur de serpent des contrées lointaines. Hypnotisés, comme hameçonnés à moi, vous vous sentirez basculer comme quand la nausée vous prend. Je ne vous ai pas sous mon contrôle, non. Mais je vous ai en mon pouvoir, et tant que vous restez dans l'illusion, alors aucun des membres de votre pauvre petit corps, qu'il soit musclé à l'excès ou maigre comme un clou, ne se laissera dompter par votre volonté. Le problème, voyez vous, c'est que dans un monde comme le notre, vous pourriez être le type le plus pied-à-terre du monde que vous céderiez au rêve quand même, sans vouloir l'admettre. L'illusion, c'est le rêve, le soulagement de la conscience qui se tait pour laisser naitre la parole de l'inconscient, et l'inconscient, c'est comme quand vous cessez le dialogue pour prendre les armes: la réflexion cesse, tout se calme, tout s'apaise: le spectacle glorieux de nos âmes qui préféreraient se perdre s'enclenche. Vous n'êtes plus conscients de rien.

Et moi, je vous observe, et je n'ai plus envie de jubiler. Je voudrais simplement vous rejoindre.




Ce n'est pas un pamphlet qui s'écrit, ni une violente agression verbale. Il ne s'écrit pas, de plus, il s'agit d'un constat et d'une évidence. Marteler les mots. Les choses qui ont été son histoire, et a fortiori ses erreurs, ses terribles erreurs dont il déteste constater qu'il ne se déteste pas de les avoir commises. Les guerres intérieures sont ma foi plus fortes que les lames qui semblent frôler la peau pour mieux l'écorcher. Elles sont également celles qui perdent l'homme le plus avisé.



Tu marches d'un pas trop lent; c'est un rythme que tu as voulu: pour sentir tous tes muscles, tous tes membres, prendre conscience de ton corps ou pour être dans la position de la proie. Il se trouve que tu as toujours été un garçon à l'allure, ou aux mimiques, tu ne sais plus très bien, provocatrice. Parce que trainer du pied ce n'est pas arriver après tout le monde, c'est prendre le temps, et se mettre à l'arrière pour prendre le risque d'avoir des ennuis. Et les ennuis, tu les adores. Tu jubiles d'emprisonner un pauvre type qui voulait juste te piquer ta bourse dans tes illusions qui grandissent de jour en jour au fur et à mesure que tu te fabriques homme. S'il s'agit de quelqu'un de plus fort que toi, alors! Alors c'est d'autant plus merveilleux et profitable. Tu aimes te mesurer. Provoquer plus grand que toi pour aller toujours plus haut. Pauvre gamin...Tout ça, tu sais, ça va t'emmener bien trop loin, beaucoup plus que tu ne pensais. Je sais ta moue vexée et fière d'adolescent qui se croit déjà adulte, qui sait tout. Hé bien tu vois, je suis dans le même corps que toi, mais buriné par les années, et je puis te dire une chose: tu ne saura jamais assez. Tes pensées, dont tu étais si sûr, vont finir par bourdonner jusqu'à former une masse informe qui t'empêchera d'agir, de répondre, de te justifier. Et peu à peu alors que ta capacité à la réflexion s'annihilera, tes sentiments suivront la file. Tu vas disparaitre petit à petit sous le monceau de tes pensées, dont les regrets seront le ciment. Tu vas être ce que je suis maintenant. Et crois moi, j'aimerais te parler avec tout le reste de tendresse enfoui bien au fond de moi, mais je ne parviens qu'à éprouver du dégoût, qu'à te parler avec mépris. Je m'excuse, mon petit, mon tout petit. Je me souviens que j'ai dû t'aimer, à un moment.

Tu marches d'un pas trop lent. Tu es idiot, tu t'étouffes toi même. Il te faudra des années pour comprendre la vérité la plus immonde de ton existence misérable: tu te déteste parce que tu t'es tout seul étouffé de pensées, pas à cause des fautes que tu as commises. Et à force de les penser, de tes actions tu n'useras plus. Aucun courage ne mène à servir le clan du mal. La soif du pouvoir, et l'Amour, oui. L'Amour! Tout ça est bien trop romanesque pour toi... Les mots te semblent dérisoires. Tu les répétais avant en boucle dans ta tête pour te rendre compte de leur absurdité, maintenant ta tête ne semble plus assez grande et tu les répètes à haute voix, et c'est encore pire. Le pire, vois-tu, c'est que les gens ne se rient pas de toi, et ne te qualifient même pas de fou, parce que tu es Riagàn Duibhlinn, que tu es puissant et qu'en un clin d'oeil tu peux les enfermer en toi - sans effort. Du moins c'est ce qu'ils croient. Tu ne peux plus bouger. Tes membres et ta volonté sont comme tétanisés par l'incapacité que tu ressens à faire des choix, à prendre des décisions qui autrefois étaient tes points forts. Indolent, tu préfères observer le soleil qui s'éteint à l'horizon, rêvant de grimoire parlant de la vie plus que de formules, et de ces plumes que tu ne tiendras jamais, qui n'exprimeront jamais ta douleur. Tu sais que ceux qui te croisent sont partagés entre le désir ardent d'être pris dans les mailles irrésistibles de ton illusion qui les apaise et la peur terrible, inconsciente, qui sait que l'illusion emprisonne et empêche la vie. Et finalement, tu te demandes s'il ne vaut mieux pas rêver sa vie. Tu sens ton coeur - du moins ce que tu crois être ton coeur, cette sensation terrible de pincement qui ne serait jamais arrivé au Toi sûr de lui - gonfler et gonfler et gonfler et tu as peur qu'il explose.

Tu marches d'un pas trop lent. Tu es idiot, tu t'étouffes toi-même et tu sais, tu n'as pas toujours été comme ça. Que faut-il faire, où aller? Oh, mais je ne te connais que trop bien. Tu ne regrettes rien et pourtant tu voudrais la rédemption. Tu regrettes tout et tu voudrais pour ça bruler en enfer.