Mörghen Nidhogg [The fate has its objects]

Le sifflement des flèches hersant l’air fait encore échos en moi... là où le monde crie encore. De la roulotte j'entends le glas de cadavres qui s'entrechoquent et imagine la vue glaçante de la mort en masse. La jungle peut être métaphorique. A l’instant la jungle c’est ma conscience immédiate des événements. Et cette jungle est d’une beauté noire, agressive, calquée sur l'agonie, avec ses cohortes d’ordre diffus, ses processions d'ombres agencées de façon précise et hypnotique, ses noeuds encore chauds de la langueur d'un pas. La splendeur y vibre en notes crades. Les êtres qui m’entourent sont désormais sans âmes, attachés à inspirer l'air comme des asphyxiés, le sang coagulant là où les flèches percent des escarres dans la toile. Notre caravane se résumant à une roulotte est immobilisée par l’attaque…Et à croire que tout cela était écrit, personne ne cherche à fuir, aux contraires. Mes compagnons de voyages, appelés à devenir mes pères, accueillent la faucheuse comme l’on reçoit un du. A plat ventre entre quelques ustensiles et de maigres denrées, je porte mon regard à l’extérieur, horizon immédiat chaotique. Bennigan domine la scène de ses pupilles translucide, une esquisse de sourire derrière ses traits crispés qui semble m’être destiné. Et soudainement sa poitrine rougie à son tour. Un coquelicot qui s’empare de son torse, un instant je reste interdit. Et puis le cri vient de mes entrailles, réfugié et fantôme, martelé par les crampes et le dégoût de soi à demeurer immobile. Alors seulement c’est l’explosion irradiante dans mon corps. Mes veines charrient la douleur incommensurablement réelle. Une flèche perdue m’a atteint la jambe droite. Je me regarde me traîner : mes jambes sont des guenilles, la crasse est dans mon coeur. Je me laisse choir au sol et j'avance à contre-courant, la scène est épique ; je glane la douleur en slaves compactes, passionnées, gravant dans ma mémoire coupable cette fuite. Ma vision est criblée de corps inertes et s'estompe tandis que résonnent des hurlements de victoire. Et je sens la neutralité des lieux qui se contente si bien de cette soudaine violence. Sous le couvert des arbres avoisinant l’apocalypse, plus rien ne filtre. Me voilà seul dans le bide du diable. Je tente de reprendre mon calme. L’air gémit sous mes pieds nus qui me font l’effet d’être en dehors de mon corps, bleuis qu’ils sont par le trop peu de sang qui s'épanche sur les épines de pins où je me suis traîné. Ma torpeur est palpable, envahissante. Le décor est figé, léthargique, engourdi jusqu’à l’os. A quelques mètres des inconnus chargent sur leurs dos leur maigre butin. Tout semble avoir été généré à l’instant même, devant moi, immaculé de la souillure des jours, le visage triste et innocent de la première véritable respiration. L’ultime souffle de l’innocence qui s’éloigne au profit d’une ample prise de conscience. L’atmosphère est guerrière par nature, montre les crocs immobiles et odorants du doute. Je suis seul. Vomir tout de mon être, des glaires de l’existence, et s’imaginer s’en aller en courant, fou, désormais dévêtu de ma naïveté. En proie au délire, je me mets à suer sur place les dernières terreurs encore coincées dans mon corps. Les secondes sanglotent comme des heures et je vois se profiler un linceul comme seul avenir. Pour la première fois je me sens impliqué. Dans quelque chose qui me dépasse encore. Jamais je ne me suis crié si fort : j’aurais du faire quelque chose. Je dérive à mon tour vers l’immobilité qui sied aux galbes qui succombent.



Mon environnement était chargé d’histoire et j’aimais vivre dans l'obscurité palpitante des plaines et des sous bois avoisinant Eaublanche. Amadouer l’ombre trop longtemps délaissée et trop peu considérée par le plus grand nombre. La nuit brillait comme un diamant noir luisant en ses morbides arrêtes. Et c'est en son cœur que l'on percevait toute la dimension du monde. Les bourrasques nocturnes charriaient quelques chuchotements ancestraux indéchiffrables pour nos oreilles refusant l'initiation du crépuscule. L’ensemble du corps voit le voisinage proche des choses, leur présence massive de nuit, leur tranquillité. Toute lueur vive les arrachait à cette paix, enlevant la mienne par la même occasion. Mon corps de pénombre savait évaluer les ombres, il se glissait parmi elles, entre leur silence, aussi sûrement que s’il les avait connu. Elles exaltaient l’attention la plus fine, à leur voisinage, c’est toute la peau vit ainsi précédée par un voile épais d’atmosphère dense et mobile. « Tu vas finir ne plus revenir... » Si je pensais être discret concernant mes escapades, désireux que celles ci restent fidèles à l'indicible de ce qu'elle faisaient naître en moi et ne soient donc pas le sujet de discussions préocuupantes, je ne pouvais passer outre le sommeil léger de Yànn. L'aîné semblait biologiquement prédestiné à remplir le rôle de sentinelle bienveillante. Et c'est toujours sa silhouette résignée à mes frasques étranges qui m'ouvrait la porte au retour de mes escapades passées sous silence. Je lui était reconnaissant de son absence de jugement, c'est ce qui faisait sa grandeur d'âme ; il se contentait d'être présent, sans pour autant m'imposer ses certitudes ; ils avaient conscience que quelque part ce qui m'animait les dépassait. Mais au plus loin que remonte ma mémoire, Tintagël et Bevahn m'ont toujours considérés comme membre à part entière de la famille, pour preuve bien que mon sang leur soit inconnu, ils me firent l'honneur de me laisser porter leur nom. M'acceptant dans mon plus simple appareil et avec tout ce que je charriait d'incertitudes. Ainsi je passais une jeunesse passionnée avalant les saisons avec l'appétit gargantuesque commun aux âmes mues par le désir d'en apprendre toujours d'avantage, d'en découvrir toujours plus... Auprès de Grëan le fougueux romantique, je tentais de m'initier avec un succès fort mitigé à l'art de l'escrime. Aux cotés de Lysáane, petite fée qui avait le don d'éveiller en chacun le potentiel d'affection et d'amour dont il était capable, je me permis de laisser libre cours aux pulsions viscérales qui étaient miennes et me consacrais ainsi à accumuler un savoir infus que je glanais au travers des reliures. « Mörghen, tu m'apprendras à lire ? Biensûr petite soeur... Mörghen regarde la fleur! Elle fait la tête au soeil! C'est un tournesol Lysaane. Toi aussi un jour tu nous tourneras le dos comme les fleurs renoncent au soleil ? » Je levais mes yeux alertes vers le petit corps si fluet et qui déjà ranspirait une beauté certaine qui en éblouirai plus d'un, pour l'heure occupée à rhabiller le bout de bois façonnée par le parternel en guise de poupée. Elle ignorait sans nul doute la porté de ses propos.. Cette prestance qu'est l'apannage de l'inocence jeunesse... Je luis répondais dans un sourire chargé de tout l'amour que je lui porter, manière d'éoigner tout ce que ses dires amenaient comme travers de réflexion. « Si je suis amené à m'éloigner ce ne sera pas en vous tournant le dos, comment pourrais je renoncer à te regarder ? » Elle accueillit ces paroles dans un gloussement et s'enfui vers la maison, sans nul doute en quête de quelques friandise à se mettre sous la dent. Je savais déjà que sa bouille attendrirait assez sa génitrice dont elle était le parfait échos, pour qu'elle revienne victorieuse. Pour ma part je me replongeais dans ma lecture, jetant un oeil à mes frères qui non loin s'évertuait à faire cracher des excuses à ceux qui me traitaient de Basse extrace poltron, tout juste bon à se cacher derrière ses reliures, ou encore de malhardi...



Au coeur du brasier de cet été de fer, les hirondelles jouaient aux filles de l’air dans le bleu du ciel. Oui ça fait nigaud de parler du bleu du ciel, mais comprenez bien que depuis ce jour particulier, imperceptiblement, le ciel est devenu d’un bleu tangible, ce bleu qui accompagne la naissance de l'être qui devient au monde, qui domine la tignasse de l'univers dans laquelle soudainement l'on est jeté, sans concession, sans préavis et sans mise en garde quant aux nodosités qu'elle héberge.

Je me souviens très nettement de vous. Debout dans le grand salon lavé de lumière. Le plus grand, et sans doute le plus vieux d'entre vous, a fait quelques pas vers moi et s'est accroupi. « Mörghen, je me nomme Bennigan. Je suis devin et si tu l'acceptes, nous souhaiterions te permettre d'élargir tes connaissances. » C’était la première fois que je vous voyais, que j’entendais même parler de vous. Les bras zippés le long du corps, je suis restée un moment dans cette posture imbécile, avec mes ongles sales et les jambes griffées par les chardons laineux dans lesquels je venais de passer la matinée. A la croisée des destins je n’avais rien vu venir, rien compris. J’avais bien senti à l’agitation de la maison que votre venue était importante, que ce n’était pas un jour comme les autres. Vous veniez de loin, vous veniez du coeur même de la forêt et un instant, vous avez regardé ma mère comme un soleil et j’en aurais pleuré. Je suis allée m’asseoir au bord de la fontaine du village tandis que vous adressiez à mes parents adoptifs. Je touchais du doigt la beauté mystérieuse d'un bateau blanc en coque de noix. Malgré la brise pirate, j'avais la tête en feu. Sans pouvoir en déceler la provenance, je savais que je ne pouvais que quitter mon foyer. Et si cette perspective creusais de profondes échancrures en mon âme, une excitation véhémente s'emparait de mon esprit à la perspective d'embrasser l'inconnu et tout ce qu'il charriait de nouvelles sources d'apprentissage.

Quand je suis rentré Bennigan remerciait Tintagël et Bevahn qui portèrent sur moi un regard empreint de fatalité mais qui transpirait d'affection. J’ai saisi bien plus tard la grandeur de ce tout petit mot. Ce « merci » accompagne ma vie, il clapote au bord de mes lèvres comme un ruisseau, gonfle mes chairs, serrant parfois ma gorge et mes poings quand de temps en temps les mémoires vives tendent à s’effacer. Je sais que je ne dois pas oublier, que je ne le peux pas, que ce mot est infini et plus fort que moi. Rapidement j'attrapais quelques affaires et chaussais les bottes que m'avait façonnée Tintagël. Elles supporteraient plusieurs milles.
Parfois on arrive au bord du rien et on se dit sereinement qu'on ne va pas tomber. J'ai pourtant toujours eu le vertige. J'ai toujours eu peur en arpentant certains chemins trop proches de la vérité, la révélation jusqu'alors avait quelque chose de phobique et je me terrais dans l'impossibilité de me saisir, j'affrontais mon ombre de dos, comme tout le monde. À présent j'avais l'impression d'ouvrir le chapitre de l'initiation à soi même. A la sortie du village, là où l'herbe gagne plusieurs pouces, je pris pleinement conscience que je m'acheminais vers l'inconnu et cela dans un état de douce panique. Je m'étais promis de ne pas me retourner, désireux de ne pas clore ce passé qui m'avait façonné. Mais immanquablement les dires passées de ma jeune sœur se frayèrent un chemin à ma mémoire. Je ne tournerai pas le dos à cette famille qui avait fait de moi un individu à part entière de son identité. Je portais leur nom et s'il devait demeurer une seule ancre en ce monde ce serrait eux. Ainsi je me stoppais quelques minutes pour prendre le temps de leur adresser un signe de main reconnaissant. Je tombais sur les traits si transcendant de ma mère, la fièreté émue de mon père, la compréhension de mes frères, et surtout, surtout, le soulagement de Lysáane qui avait du craindre que je disparaisse ainsi sans laisser aucune empreinte sur le paysage.


Dans un gémissement je revins à moi. Voix de gamin asphyxiée par l'absence, inconcevable, et l'insensée séparation soudaine, l’être asséché par la soudaine, évidente, foudroyante fatalité, le manque d'être, le défaut de ce qui avait été promis, le manque à être ensemble, le cruel défaut infligé, l'inflexion victimaire, être infecté de preuves que rien ne pourrait désormais suivre un cours serein. Je m'étais menti à moi même ; il ne pouvait y'avoir que du bonheur et de nouvelles certitudes de l'autre coté des collines. Il n'y'avait que des rivages de solitude, peuplés de désespérés prêt à fondre sans état d'âme pour quelques sacs de blé... La nuit était tombée. Elle était opaque, hostile. Les dernières chaleurs existentielles fuyaient mon corps. La lune imperturbable se riait de moi. « Qu'est tu venu chercher par ici? Tu erres dans un monde qui n'est pas le tien. Puisse chacun de tes pas t'enfoncer un peu plus dans les profondeurs, que tu rejoignes ton royaume. » Je n'avais jamais été aussi terrorisé par l'astre lunaire autrefois confident attentionné. Il assénait l'ultime trahison qui eut raison de mon corps fiévreux. J'avais les genoux sales, tout le corps noir, rouge, comme émergé de sous la terre. Ma vision pénultième fut les troncs, cerbères impartiaux s'élevant vers la voûte céleste en une mélancolie troublante, presque agressive. Et puis au détour d'un rayon souffreteux qui s’étale, aguicheur, s’impose rougeoyant comme qui a peu d’heures encore à vivre, il y’eut un reflet déclinant dans mes pupilles épuisées et délirantes. Elle n’avait pas cette apathie commune qui alourdit les membres de simples singuliers... Je me sentit soulevé du cocon matriciel dans lequel je n'aurais pas manqué de m'absoudre dans les secondes qui se profilaient. Dans les bras salvateurs de cette inconnue je perdis connaissance.

Pseudo : Zec
Âge : Natif de 92 ; faites le calcul
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Comment avez vous découvert le forum? Partenariat
Ce que vous aimeriez dire pour conclure : Ben voila j'ai succombé, après être régulièrement passé aux abords de ces contrées au cours des trois derniers mois, voila que ce PV m'a convaincu de ne pas continuer à repousser indéfiniment mon inscription. Donc me voici (roulements de tambours zbaf) Uhm bref, ça faisait longtemps que je désirais me mesurer au rp de mes premières heures ; je suis un ancien des contextes médiévaux fantastiques et j'y reviens donc non sans jouissance!