Mélusine ➸ bulle d'écume

« prélude »

La pluie s'abattait avec frénésie depuis quelques heures déjà, modifiant le paysage au point que ce dernier n'était plus reconnaissable. Les vertes prairies étaient à présent grises à cause des lourds nuages qui surplombaient la vallée et les trombes d'eau rendaient le sol boueux à tel point que rares étaient les courageux qui osaient sortir de leur demeures par ce temps. A l'intérieur de sa propre demeure, une petite fille regardait par la fenêtre, observant les gouttes d'eau qui venaient s'abattre avec fracas contre le sol et les fenêtres. Mélusine a six ans. C'est encore une petite fille, et ses préoccupations sont encore celles d'une enfant de son âge. L'enfant est tout ce qu'il y a de plus normal, rien de très exceptionnel ne se dégage lorsque l'on regarde son visage pâle constellé de tâches de rousseur et encadré de longues boucles rousses lui arrivant aux épaules. La petite fille fait le bonheur de ses parents, ni très belle ni très intelligente, mais dans la moyenne en tout cas. La jeune rouquine appartient à une famille qui peut vivre de ses revenus, mais n'étant pas immensément riche. Pour cette raison, la fillette n'a jamais et n'aura jamais eu d'éducation à proprement parler. Tout ce qu'elle saura faire par la suite ce sera elle qui l'aura apprit, à ses dépends ou grâce à ses parents. Mais pour le moment, l'enfant ne se préoccupe par de cela, elle reste encore une fillette, loin d'imaginer quel sera son futur, quelle sera sa vie dans quelques années …

« partie une ; chapitre premier »

Mélusine a onze ans. C'était la nuit, il faisait très sombre dans la demeure et tous les occupants étaient déjà plongés dans un lourd sommeil réparateur. En effet, les journées sont longues et fatigantes, alors la famille se couche très tôt pour être en forme lorsque le soleil se lève. Ne faisant pas exception à la règle, la jeune Mélusine était couchée dans son lit, déjà bercée par les bras de Morphée. Mais cette nuit là, quelque chose va changer, quelque chose va se produire. Et cet événement, aussi étonnant soit-il, va faire basculer la vie de l'enfant à tout jamais. Cette nuit là, le sommeil de la jeune rousse était agité. Elle ne cessait de remuer dans ses couvertures, agitée par de noirs cauchemars, de redoutables rêves. Elle voyait ses parents, aussi bien que si ils avaient été devant elle, en train de crier, de se débattre. Puis derrière eux, elle apercevait leur maison, en flammes. Tous leurs biens, rendus aux flammes, et ses parents ne pouvant rien faire, impuissants face à un tel désastre. A cet instant, Mélusine ne réveilla en sursaut, le corps ruisselant de sueur et un cri, un cri déchirant, s'échappa de sa bouche. Tout de suite, une remue-ménage intense ne se fit entendre dans la maison, et quelques secondes plus tard la mère de l'enfant était à ses côtés, une bougie dans la main afin d'éclairer son enfant. « Mélusine, calme toi. Que se passe-t-il ? » Mais les larmes coulaient déjà sur les joues de la rousse qui ne parvenait pas à aligner deux mots sans être coupée par un sanglot. Sa mère tenta en vain de la calmer, mais ce fut seulement au bout de quelques longues minutes que la petite fille parvint à se maîtriser seule. « Mélusine ? » Le cœur toujours haletant, l'enfant parvint alors à répondre à sa mère. « C'était si réel, j'ai eu si peur ! » « Peur de quoi ? Ce n'était qu'un cauchemar, il ne faut pas t'en faire. » « Mais je t'assure, tout semblait si réel, comme si ça allait se produire » « Mais qu'est ce qui va se produire » Mélusine hésita. Fallait-il vraiment prendre ce cauchemar au sérieux, ou ne s'agissait-il que d'une hallucination de l'esprit ? Finalement, elle décida d'en faire part à sa mère, ce qui fut une lourde erreur. « J'ai vu … J'ai vu la maison brûler, et vous devant en train de hurler. J'ai eu si peur. » Sa mère l'observa attentivement durant quelques secondes avant de sourire. « Rendors toi, ce n'était qu'un simple cauchemar, la maison est en sécurité. » La rousse voulut rétorquer quelque chose mais sa mère ne lui en laissa pas le temps. Elle était déjà debout et prête à repartir. « A demain Mélusine » Et elle sortit de la pièce, laissant les ténèbres reprendre leurs droits. Cette nuit là, la jeune fille ne parvint pas à retrouver le sommeil. La vision de sa maison en flammes était toujours incrustée dans son esprit, et elle ne parvenait pas à s'en défaire. Elle avait un très mauvais pressentiment, elle sentait que quelque chose de terrible allait se produire, et le pire, c'est qu'elle ne pouvait rien faire pour le contrer. Son rêve n'avait duré que quelques secondes, tout au plus, et tout était resté très flou, mais tout de même, elle sentait que cela n'était pas un simple cauchemar.
Lorsque la lumière du jour pénétra dans la maison, l'enfant n'avait toujours pas fermé l'œil. Elle du tout de même se lever et commença la journée comme tous les autres jours. Que pouvait-elle faire de plus ? D'ailleurs sa mère ne lui reparla pas de son cauchemar, tout semblait avoir été oublié. Alors l'enfant n'aborda pas le sujet, de peur de mettre ses parents en colère. Toute la journée, elle tenta de se faire une raison, se persuadant que rien de tout cela n'était vrai, que ce n'était qu'un simple cauchemar, un affreux cauchemar, rien de plus. Voulant se changer les idées, l'enfant se promena dans les terres, se rapprochant de la forêt de l'Éveil. Mais connaissant la réputation de ce lieu, elle n'y pénétra pas, restant juste aux abords et écoutant le sifflement du vent à travers les feuilles des arbres. Elle y passa tant de temps, à penser seule, qu'elle ne vit pas le temps passer. Lorsqu'elle se leva, le soleil était déjà bien bas dans le ciel. Ayant peur de la réaction de ses parents – puisqu'elle aurait déjà du être rentrée – la petite rousse se mit à courir de toutes ses forces en direction de chez elle. Mais lorsqu'elle se rapprocha de l'endroit où se trouvait sa maison, elle sentit tout de suite que quelque chose clochait. Au loin elle apercevait une épaisse fumée noire qui s'élevait dans le ciel, et une odeur de cramé lui parvenait aux narines. Le cœur battant à toute allure, la petite rousse accéléra encore la cadence, mais c'était trop tard. Lorsqu'elle arriva devant chez elle, elle fut prise d'une folle envie de crier. Son rêve. C'était son rêve. Ses parents étaient aux mêmes places, faisant les mêmes gestes. Sa maison brûlait de la même manière que dans son rêve, les volutes de fumées s'élevant dans les airs comme elle les avaient vues.
Lorsque sa mère l'aperçut, elle se dirigea en trombe vers elle. Tandis que Mélusine pensait qu'elle allait la serrer dans ses bras, sa mère lui asséna une claque si forte que la jeune fille en tomba à genoux. Se tenant la joue, les larmes aux yeux, elle lança un regard d'incompréhension à sa mère qui semblait hors d'elle, en proie à une véritable rage, une folie dévorante. « Tout cela est de ta faute ! Regarde ce que tu as fait, en parlant de malheurs tu les as provoqués. Tu es un monstre Mélusine ! Je ne veux plus jamais te voir. Disparaît ! Disparaît ! » Sa mère ne savait plus ce qu'elle disait, mais la jeune fille s'en trouva profondément blessée. Elle se releva en tremblant, et fuyant le regard de sa mère, elle courut à toute allure dans la direction opposée, les larmes coulant à flot sur ses joues, les cris de sa mère résonnant dans ses oreilles.

« partie une ; chapitre second »

Mélusine a quinze ans. Cela fait déjà quatre longues années qu'elle s'est fait chassée de chez elle. L'enfant avait trouvé refuge dans une grange, non loin de son ancienne demeure. Une grange inhabitée qui lui avait fait office de logis pendant quelques jours. Durant ces quelques jours, elle ne cessa de repenser à tout ce qui venait de se produire. Qui était-elle ? Qu'avait-elle fait ? Était-ce vraiment de sa faute ? Et qu'allait-elle faire maintenant ? Tant de questions se bousculaient dans sa tête sans qu'elle ne puisse trouver une réponse à une seule d'entre elles. Finalement, elle décida de sortir de la grange pour tenter de trouver refuge autre part. Mais l'enfant n'avait pas d'argent, ne savait se battre, bref, elle était démunie face à ce monde de brutes. Elle aurait du mourir, et elle le savait. Mais il faut croire qu'Eydis en avait décidé autrement. Trois jours après sa fuite, la jeune fille décida donc de partir et erra tout le jour dans les terres du royaume, chose facile puisqu'elle connaissait les environs. La faim lui tenaillait l'estomac, la soif lui lacérait la gorge bien qu'elle ai put boire la veille, grâce à la pluie qui s'était abattue sur le pays. Mais cela n'était pas suffisant, elle sentait déjà ses forces la quitter. Au bout de quelques heures de marches, elle s'effondra, épuisée. Seulement voilà, ce jour là, par une chance insolente, elle fut recueillie par la dernière personne au monde à laquelle elle aurait pensé : un rôdeur. Cet homme là s'appelait Moran, et cela faisait bien longtemps qu'il voyageait dans les contrés du royaume et au delà. Lorsqu'il aperçut l'enfant à terre, il hésita longuement à la laisser là, après tout ce n'était pas ses soucis à lui. Mais finalement, il décida de la prendre avec lui, et s'occupa de Mélusine de telle sorte que deux jours plus tard, l'enfant avait recouvré la presque totalité de ses forces. Quand à Mélusine, elle connaissait la réputation des Rôdeurs mais pensa fortement que cette dernière était exagérée. Certes au premier abord Moran ne semblait pas très enclin à la sympathie, mais il l'avait secourut, ce qui signifiait qu'il n'était pas un monstre. A quinze ans, le jeune fille était encore avec lui. Et elle lui devait beaucoup. En effet, le jeune homme l'avait aidé dans de nombreux domaines : il lui avait apprit le maniement de l'épée et des lames en général, lui avait apprit comment se débrouiller seule dans la nature. En quelques années la jeune fille était devenue une experte en la matière, bien que n'égalant pas les rôdeurs qui voyagent depuis bien plus longtemps qu'elle. C'est ainsi qu'elle découvrit une partie du monde. Mais là où Moran fut le plus utile, c'est en ce concerne le don de la jeune fille. En effet, il comprit rapidement la nature de la jeune fille après quelques cauchemars qui s'avéraient être des visions du futur. Grâce à lui, la jeune fille parvint à contrôler son don, à ne plus en avoir peur. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle décida d'en faire étalage. Après la réaction de sa mère, elle préférait garder cela pour elle. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui encore, peu de gens savent que la jeune fille possède ce don. Mélusine a quinze ans, et c'est l'heure pour elle de quitter Moran et de vivre son propre destin. Les deux l'ont comprit, la vie de Mélusine n'est pas celle de rôdeuse. C'est pourquoi un soir Moran aborda le sujet tant redouté. « Mélusine, demain nous nous dirigerons vers Dinas Uchel, pour que tu puisses y rester. » La jeune rousse resta silencieuse, les yeux baissés sur le sol. « Tu sais bien que c'est ce qu'il y a de mieux pour toi. Là bas tu trouveras sans doute un travail, un logis, bref tu auras une bonne vie. Tu ne mérites pas une vie de rôdeuse, tu es destinée à bien mieux. » La jeune fille releva la tête, et tenta de sourire. Elle savait qu'il avait raison mais se séparer de lui alors qu'elle n'avait rien connu d'autre depuis quatre ans déjà, c'était bien trop dur. Mais elle accepta et deux jours plus tard les deux amis étaient aux portes de la cité. Et ils se firent leurs adieux, chacun partant vers une autre direction.

« partie deux ; chapitre premier »

Mélusine a toujours quinze ans. La jeune femme, aussitôt arrivée à Dinas Uchel, s'empressa de louer une petite chambre dans la taverne du coin, avec le peu d'argent que Moran lui avait fournit pour qu'elle puisse vivre avant de se trouver un travail dans la ville. Chose qui s'avéra difficile pour la jeune femme. En effet, la jeune fille n'avait eu aucune éducation à proprement parler, et ses compétences se limitaient au maniement des armes – de plus c'était une femme, ce qui n'arrangeait guère ses affaires, les femmes étant censés savoir coudre plutôt que savoir manier les lames. La jeune femme chercha pourtant dans toutes les voies possibles et inimaginables mais à chaque fois les portes se fermaient devant son nez avant même qu'elle ai pût rétorquer quelque chose. C'est donc passablement découragée que la jeune femme rentra à la taverne un soir. Cela faisait à peine une semaine qu'elle était arrivée à Dinas Uchel, et déjà elle avait du mal à payer sa chambre. Il ne lui restait plus d'argent que pour deux jours, et elle devrait bientôt trouver un autre endroit pour dormir. Dans sa tête elle voyait déjà le futur se profiler à l'horizon : vendre son corps restait sans doute la dernière solution pour elle. Sauf que voilà, arriva un événement qui lui permit de mettre ses talents à son propre profit. Alors qu'elle n'était qu'à quelques rues de la taverne, la jeune femme fut bientôt attaquée par deux jeunes hommes, d'une vingtaine d'années tout au plus, qui semblaient en avoir pour son argent. La nuit était déjà tombée et on ne voyait presque rien. Les deux hommes la menaçaient avec un couteau tandis qu'ils lui demandaient son argent – argent qu'elle n'avait pas, bien sûr. L'entrevue devint vite très violente, les deux hommes ne voulant pas croire la jeune rousse qui s'époumonait à leur dire qu'elle n'avait aucun argent et donc qu'il n'était pas possible pour elle de leur en donner. Alors l'un des deux perdit son sang-froid, et fonça sur la jeune femme, couteau levé. C'était sans connaître la demoiselle qui réagit au quart de tour, sortant elle aussi son arme. La lame de son couteau s'enfonça dans le ventre de son assaillant qui tomba à ses pieds, mort. Tandis que le complice s'enfuyait, ne voulant pas mettre sa vie en danger pour quelques pièces, la jeune femme regarda avec effroi le cadavre qui jonchait le sol, à ses pieds. Certes elle savait manier les armes, mais jamais elle n'avait été obligée de s'en servir pour tuer. Sa première victime, son premier meurtre. Mais pas son dernier. Car à quelques mètres de là, un homme avait observé la scène, très intéressé. Lorsque Mélusine le vit arriver, elle pensa que c'était un témoin de la scène prêt à avertir les autorités. Mais il n'en fut rien. L'homme disait s'appeler Perdan, et proposa à la jeune demoiselle un travail quelque peu … original. « Tu m'a l'air bien misérable, mais tu sais te défendre. Je pense que je peux te fournir un travail, si tu acceptes de me suivre bien sûr. » Il ne faut jamais se fier aux étrangers, et Mélusine le savait. Mais au point où elle en était, elle décida de mettre ses craintes de côté et suivit le jeune homme. Quelques jours plus tard, elle était « officiellement » assassin.

« épilogue »

Mélusine a vingt-deux ans. Cela fait déjà presque sept ans qu'elle est devenue assassin. Et sa vie n'en est que plus prospère. En effet, le métier paye bien, surtout lorsque l'on a les bonnes tactiques pour tuer. Et il faut dire que son don de voyance l'avantage considérablement sur les autres assassin singuliers. Elle peut prévoir avec plus ou moins de justesse les déplacements de ses victimes, ce qui s'avère très utile. Il faut dire qu'au fil du temps, la jeune fille est parvenue à dompter son pouvoir, ce qui fait qu'elle est maintenant capable de provoquer ses visions, même si elles sont moins nettes que celles qu'elle a involontairement. Aujourd'hui la jeune femme opère dans Cathairfàl, mais est parfois dans l'obligation de s'éloigner à cause de lourds soupçons qui peuvent peser sur elle. Mais elle ne se plaint pas de ce train de vie. Elle touche pas mal d'argent pour ses meurtres, elle est libre de faire ce qu'elle veut et les voyages ne l'ont jamais dérangés. D'ailleurs, cela lui fait du bien de changer d'air par moments, et de se retrouver loin de toute l'agitation de la ville. Hormis cela, la jeune femme est surtout connue pour son manque total de sociabilité. En effet, rares sont ses sourires, elle se contente de tuer et de vivre. Paradoxal. Mais tuer ne la dérange pas, elle s'est fait une raison avec le temps. Et puis, tout le monde va mourir un jour ou l'autre, alors que ce soit sous sa lame ou non … Son seul espoir, la seule chose qui lui redonne le sourire, c'est de se dire qu'elle aura peut être la chance de recroiser un jour Moran, bien que ce dernier ne soit sans doute pas très fier de ce qu'elle est devenue.